TEMOIGNAGES
UNE TELLE LIBERTE
C'est
à Pierre-Vincent Guitard que l'on doit l'édition
du Journal de Jacques d'Arribehaude des années
1981-1986. Sur son site internet "
Exigence
littéraire ", il a beaucoup
œuvré pour faire connaître l'auteur de
Adieu Néri. Voici son témoignage.
Une rencontre hautement
improbable, la littérature a parfois cette vertu
de faire se rencontrer des hommes et de femmes
qui sans elle ne se seraient jamais rencontrés.
Tout aurait pu nous séparer mais Jacques d'Arribehaude
était un homme qui en dépit de ses prises de
position provocatrices avait l'esprit ouvert.
Lui que l'on a parfois qualifié d'anarchiste de
droite et moi qui penchait plutôt de l'autre
côté, lui qui avait près d'un quart de siècle de
plus que moi et qui aurait pu être mon père
comment s'est-il fait que nous ayions trouvé un
terrain commun ?
Il avait certes besoin de trouver un public et de sortir de
l'ostracisme où ses provocations l'avaient
cantonné, ses romans n'avaient eu qu'un succès
qui n'était pas à la hauteur de ses espoirs et
l'éditeur de son journal ne se donnait peut-être
pas les moyens de lui attirer un lectorat, mais
plus que tout il avait besoin de dire aux
générations plus jeunes ce qui restait pour lui
un formidable désastre, le profond
bouleversement qui avait entraîné la France dans
ce qu'il considérait
comme une régression et
pire que tout une formidable incompréhension, un
profond malentendu que La loi des vainqueurs
- titre d'un roman de Willy de Spens qu'il
appréciait - nous avait imposé.
C'est sans aucun doute là-dessus que nous nous sommes rencontrés par
l'intermédiaire de l'œuvre de Céline et du
célinien Marc Laudelout qui lui suggéra de
m'envoyer son Journal des années
cinquante : Cher Picaro. Ce fut un choc,
il y avait dans ce journal une telle liberté -
autant d'agir que de dire – que j'ai bien failli
crier mon dégoût pour ce qui me paraissait
profondément amoral. Il aura fallu le style de
Jacques d'Arribehaude pour m'entraîner loin de
mes petites certitudes et écrire une note de
lecture qui fut le point de départ de notre
rencontre.
Par la suite il m'a fait découvrir les écrivains que j'avais mis de côté,
qui appartenaient à une littérature que j'avais
appris à mépriser parce qu'elle était celle de
mes parents, parce qu'elle n'avait pas pris le
virage du nouveau roman et répondu aux
injonctions de Barthes et de Sollers, parce
qu'elle avait tenté de dire ce qui ne devait pas
être dit, ce qui allait contre le mythe d'une
avant-garde littéraire, comme il y avait eu une
avant-garde communiste poche de la Résistance
dans une France collaboratrice.
Bien sûr il y avait l'homme, son beau regard bleu, sa voix douce et
charmeuse tout à l'opposé de ses colères
d'écrivain, un homme plein de gaieté enfantine,
un enfant gâté qui savait capter l'attention et
en même temps un homme parfaitement lucide et
qui avait appris à juger ses contemporains sans
se soucier des étiquettes. Je l’ai entendu
notamment rendre hommage à Edgard Morin qui
n’avait pas eu à son égard la courte vue de
beaucoup d’autres, il savait également rendre
justice à François Mitterrand de son sens
politique. L’un comme l’autre avaient apprécié
son écriture, l’un comme l’autre ne jugeaient
pas le passé à l’aune du présent.
Comme Céline dont il aura recueilli la dernière entrevue, Jacques d'Arribehaude
gardait le souvenir d’une féerie disparue mais à
la différence de l’auteur de Mort à Crédit
il était resté fidèle à la gaieté de ce monde
d’enfance.
Avec Internet j’ai tenté de lui permettre d'entrer en contact avec des
lecteurs qui ne seraient jamais venus à lui par
le truchement des libraires, mais cela reste
tellement modeste que c'en est souvent
désespérant. Lui n'avait aucun doute sur la
postérité qui serait donnée à son œuvre, il
savait bien que ce serait pour plus tard, bien
plus tard. Il reste un travail considérable à
faire pour donner à cet écrivain la place qu'il
mérite et qu'il n'aura pas eu de son vivant.
Pierre-Vincent GUITARD
Sur le site de P.-V. Guitard (http://www.e-litterature.net),
on trouvera un entretien inédit avec Jacques d'Arribehaude
datant de 2007 et une demi-douzaine de
comptes-rendus de ses livres.
***
Jacques
d'Arribehaude, ce cher Picaro !
Voilà quatre ou cinq
ans, l'ami d'Arribehaude eut la frénétique envie
d'aller habiter Nice rue de la Buffa. Séjour
idyllique, rêvé, à en oublier les pollutions
atmosphériques et intellectuelles de notre
infortuné Paris.
Ces derniers mois, selon son habitude, il dégonflait l'idylle, commençait
à trouver Nice abominable et formait le projet
de transporter ses cadre de vie, précieuses
cargaisons et bibliothèques de lecteur éclairé
en des endroits meilleurs. Probablement dans son
pays basque natal. Non plus Sort-en-Chalosse,
près Dax (on ne l'y prendrait plus !) Non plus
Bayonne, où il avait restauré une folie, "
Musette ", chemin de Jupiter, pour la quitter
peu après. Pourquoi pas Biarritz, la plage de
ses vingt ans ? Son cœur
d'octogénaire ne manquerait pas d'y refleurir...
Pourtant, au
milieu de nos fantasmes, une autre émigration
nous attend tous, mon pauvre Jacques, et te
voici maintenant en la terre - basque, oh certes
- d'Hasparren. Tu y reposes auprès du père et de
la mère que tu pensais avoir si souvent déçus,
qu'à distance tu n'avais cessé de vénérer.
Le combat est fini, cher " Picaro ", mais quel combat fut le tien, qui
jamais ne t'arracha une plainte !
Le dilettante
Jacques d'Arribehaude
était, dans les années 60, un ami des Sénart. Je
le rencontrai grâce à eux : trentenaire
sympathique, au front déjà dégarni, au sourire
affable et craintif. A la terrasse des
Deux-Magots il se cassait la tête des journées
entières sur le Financial Times avec le
ferme espoir de gagner sa vie sans travailler.
Il était né à l'un de ces mauvais moments de l'histoire qui ne peuvent
proposer, comme un titre d'Arthur Koestler
(auteur capital d'alors) que des Croisades
sans Croix. A moins que par nature
d'insoumis, comme ses compatriotes
contrebandiers, plus encore à cause d'un bon
sens invétéré, d'un jugement très sûr (donc
pessimiste) il eût organisé sa vie - et
préfiguré son destin - selon la formule
magistrale d'Unamuno (un de ses maîtres à
penser, avec Pio Bajora) : " La véritable
foi, c'est de savoir se résigner au songe ".
Une génération perdue
Le songe commence
par l'épopée de la France libre, à l'âge du bac.
On retrouvera toutes les aspirations de la
jeunesse en cette période atroce, ses fêtes et
ses fracas devant l'absurdité du monde dans ses
premiers romans : La Grande vadrouille et
Semelles de vent, envers qui on se montra
distrait ; plus tard dans Adieu Néri,
très belle pavane pour un ami défunt.
Néri Mazzotti ? Une victime, lui aussi, de cette après-guerre qui, déjà,
ne disait rien de bon. Un autre sceptique devant
les tenants du Bien universel. Et pour l'heure,
un compagnon de séjour aux Diablerets où, entre
enfants de la victoire, il fallait bien soigner
des poumons momentanément mités. Allaient suivre
pour Jacques quelques années de bohème au
Portugal. Là, on pouvait au moins jouer les
dandys sans peur du lendemain, il était possible
de se frotter à de jeunes lords échappés de leur
île brumeuse, à des beautés incomparables,
envisager de faire sa vie - ou des vies
successives - avec des jeunes filles nordiques
pleines de feu et d'imprévu.
Qu'importe si, malgré achat et revente de diverses masures, sur les
rivages lusitaniens, malgré les jobs les plus
divers, ensuite, dans une Indochine aussi
empiastrée qu'ensanglantée, la fortune ait paru
sans cesse remise au lendemain ? L'essentiel
n'était-il pas d'avoir, avec un goût stendhalien
de l'intrigue et de l'instant, une vie
sentimentale animée ? La sienne le fut - ah !
fichtre oui ! - elle fut même trépidante,
souvent désopilante, car jamais l'outsider
ne se crut autorisé à battre sa coulpe sur la
poitrine du voisin. Pas d'autre morale (et moins
encore d'idéologie !) dans ce qui sera un jour
Cher Picaro, journal des années cinquante.
Le
Blanc au ventre noir
De 1960 à 62,
Jacques d'Arribehaude séjourne en Afrique. Il y
est envoyé pour une mission hautement
civilisatrice - lui, dira : " burlesque " - d' "
observateur rural " au Malaloudougou, province
malienne. On peut retrouver aujourd'hui ses
indignations d'alors devant les cuistreries
d'importation, les mesquineries de nos petits
blancs, les mascarades administratives, mais
aussi ses chants d'amour devant de petites
déités noires, sa complicité avec l'innocence
sans illusion du monde noir dans Complainte
mandingue, lumineux journal de ces deux
années au cœur des
ténèbres.
Rattraper le train perdu des diplômes ? Envisager une carrière
d'ethnologue salarié, sous le regard complice et
amusé de Michel Leiris ? La question se posa
pendant quelques mois.
L'esprit du placard
C'eût été mal connaître
celui qui " réactionnaire, donc résistant "
toujours, ne se ferait jamais aux diarrhées
verbales ni aux jargons structuralistes de ces
années glorieuses. Le moment venu, autant
considérer sa carrière comme le meilleur moyen
de se tirer. Sacré Jacques-le-fataliste,
toujours habile à climatiser le cauchemar,
heureux à partir des années 80 de se faire
mettre en un placard doré, quai du président
John-Fitzgerald-Kennedy : ce fameux placard qui
lui aura permis de vivre sans faire une rame et
d'observer avec une franche hilarité le manège
des satrapes, des courtisans, des pitres
décorés, d'ex-potentats aux oubliettes, des
nouveaux lidiadors.
Chronique journalière récemment parue, S'en fout la vie narre ce
carnaval avec les philosophies convergentes du
taxi-brousse et du gentilhomme qui s'en délecte.
Il y aurait fort à parier que ce brûlot,
aujourd'hui sous le boisseau de la pensée
unique, fasse avant peu le régal de nos
petits-enfants.
Céline
Mais il y eut Céline,
aussi, dans la vie de Jacques d'Arribehaude !
Serait-ce trop dire, l'amitié de Céline ? Vers
la fin de la décennie cinquante, il s'est
produit entre le vieux paria revenu du Danemark
et le jeune outsider d'un monde que tous
deux jugeaient complètement fêlé, plusieurs
rencontres empreintes d'une imprévue confiance.
Le prétexte en fut un gros magnétoscope et de
vagues espoirs de caméra. Tout cela a été
raconté en 1987 dans Le cinéma de Céline,
paru au Lérot rêveur. Jean Guenot, associé (et
je crois mentor) de l'aventure, en parlerait (en
a parlé) à plus juste titre.
Ce sur quoi je voudrais insister, m'en étant souvent entretenu avec
Jacques, ce serait le pourquoi du premier
regard, alors que Céline, mis à part le cercle
ultra-restreint de ses proches, refusait tout
contact et se bardait de sarcasmes ; les raisons
de cet accueil quasiment affectueux.
Solidarité, d'une
génération l'autre, entre démolis de guerre
absurdes ? Peut-être. Premiers propos d'exclus,
même si venus de camps naguère opposés ?
Peut-être aussi. Mais plus encore, je crois, un
sentiment d'appartenance aux mêmes vertus
anciennes de loyauté et de courage : vertus en
voie de disparition dans un monde voué au
machinisme et à l'avidité. Originaires l'un -
l'ancien, l'archaïque -, et l'autre - le brocard
de l'année - de ces mêmes couches populaires
dédiées à l'honnête labeur au point d'y renouer
- respect et savoir-vivre - avec une sorte de
chevalerie.
Le vieil homme brisé fut-il
indulgent pour le garçon de l'âge de Bardamu
qui, à son tour, allait rouler sa bosse (et
probablement pas carrosse) aux Afriques ?
Touchant comme à plusieurs reprises, avant
départs, Céline lui recommande de bien prendre
ses anti-paludéens. Céline soucieux pour lui,
médecin toujours. Céline consciencieux. Céline
affectueux. Beaucoup seront surpris. D'autres
pas.
Un
miraculé
C'est que les
micro-organismes des pays chauds, avec ou sans
prophylaxie bien prise, devaient se révéler
meurtriers. Je ne trahis nul secret car d'Arribehaude
ne nous laisse rien ignorer dans ses journaliers
de ses maladies, épuisements d'alors,
œdèmes, dont je vis
à plusieurs reprises les ravages et qui, un
jour, allaient le mettre à quia. Conséquence
d'un foie détruit : en 1986, la mort était
proche. Et c'est alors que le miracle eut lieu.
Jacques fut des rares patients à bénéficier d'une double transplantation
hépatique et rénale. Il supporta le choc avec
une détermination exemplaire et, quinze ans plus
tard, il était probablement le plus ancien
greffé de France.
Quinze ans au cours
desquels nous pûmes nous téléphoner ou nous
écrire, parlant de toutes choses, sans que
jamais je ne l'aie entendu proférer une plainte.
Salut, gentilhomme ! Quinze ans au cours
desquels il eut l'énergie de déménager et
d'emménager trois ou quatre fois. Quinze ans au
cours desquels s'est écrit ou mis en forme le
plus important de son travail d'écrivain : deux
ou trois milliers de pages. Il était des rares
humains pouvant se vanter d'avoir eu une seconde
vie.
Un
Français libre
C'est alors que, grâce au
jeune Pierre Chalmain d'abord, il commença de
publier ses journaux, puis, à l'enseigne de
L'Age d'Homme, ceux-ci (Complainte mandingue,
Le Royaume des Algarves, Une Saison à Cadix,
L'Encre du Salut) se trouvèrent reclassés et
réunis en ce fort volume d'Un Français Libre.
On pourra prendre ainsi la mesure d'un parcours
exceptionnel et d'une épopée significative,
emblématique d'une génération.
œuvre tour à tour et avec le même élan, la
même aisance, palpitante, touchante, coruscante,
désopilante, éblouissante de lucidité. Une
œuvre servie par un
style d'un naturel parfait, d'un ton
équanimement juste, qui va, brassant les
lectures, les grands auteurs, les désastres
historiques, caressant avec le même
émerveillement les petites blondes vikings et
les perles noires, cherchant sans cesse le
paradis perdu, ne se décourageant jamais de ne
trouver que limbes. Journal d'égotisme ? Je m'en
remets pour décider à plus jeune, Rémi Soulié,
qui en une postface a pu écrire si finement : "
Ici, pas d'amour-propre ni même d'égotisme,
mais la conscience d'une singularité qui
s'exprime aussi bien dans les actes manqués du
misfit velléitaire. Jacques d'Arribehaude a le
sens du comique et comme il a toujours dix-sept
ans, il n'est presque jamais sérieux. " Cela
voudrait-il dire qu'un jour il sera sauvé ?
Son journal va nous
laisser de belles soirées de lecture. Retenons
pour l'heure ce qui pourrait être une morale de
l'allure : " Les vrais mérites ne mènent à
rien, voilà ce que nous enseigne l'expérience au
mépris de la laborieuse honnêteté dont l'exemple
nous est offert dès l'enfance. Et cependant
cette morale que je sais dérisoire, mais qui est
inséparable de l'image de mon père, je ne puis
faire autrement, tout au fond, que de la
respecter, et de la vivre.
Tout au fond de moi il y a cette certitude que rien de ce que j'estime ne
sera vraiment acquis sans renoncement, sans
solitude, sans souffrance acceptée, sans misère.
Le choix se réduit ainsi devant les seules
forces que reconnaissait Balzac avec son génie
simple : l'argent et la force morale.
Choisir ? Laisser parler le destin ? Choisit-on vraiment ? En a-t-on
jamais le pouvoir ? Au-delà de notre confiance,
de notre volonté, et de nos actes, il nous
arrive de discerner notre chemin, mais, comme
toujours, les dieux décident. "
Christian DEDET
***
Un gentilhomme égaré dans ce
siècle
Sa
disparition n'a pas fait la une des journaux, et
pour cause. Jacques d'Arribehaude n'écrivait pas
pour le grand public. Il allait à rebrousse-poil
des idées communes et flatter le chaland, humer
l'ait du temps avant de prendre la plume, eût
été contraire à son éthique.
Il avait un petit cercle d'admirateurs, mais fidèles, à toute épreuve. "
Notoirement méconnu ", comme Alexandre Vialatte
en son temps. Ainsi en va-t-il de ceux qui
portent sur le monde un regard lucide.
Ses journaux intimes en témoignent. Ils fourmillent de portraits, de
réflexions qui se sont avérées au fil des ans.
Exemplaire, à cet égard, le tableau du "
mundillo " médiatique dans lequel il a été
immergé.
Réaliste, sans complaisance. Cruel, parfois, et toujours brillant.
Dépourvu d'amertume - car ce pessimiste joyeux
ne nourrissait guère d'illusions sur ses
semblables.
Lucidité ne signifie nullement, dans son cas, sécheresse de cœur.
Il suffit d'ouvrir Adieu Néri pour en
être convaincu. Simplement, plus encore que des
femmes dont il fut un grand admirateur, Jacques
d'Arribehaude était épris de liberté, en tous
domaines. Cet aristocrate de cœur
et d'esprit n'était inféodé à rien ni à
personne. C'est avec son style, ce qui faisait
sa qualité.
Je voudrais enfin saluer en ce bretteur égaré dans notre siècle
l'élégance, l'attention et l'affabilité qu'il
réservait à ses amis. Il fut un homme aimable,
dans le sens du XVIIe siècle. L'honnête homme
selon Gracian. Ceux qui l'ont connu ne me
démentiront pas.
Jacques ABOUCAYA
***
Adieu, cher Jacques
On
m'a appris hier la disparition de mon ami
Jacques d'Arribehaude, vendredi dernier le 27
mars, je ne sais pas encore de quoi précisément.
Cette nouvelle m'a peiné, sans vraiment me
surprendre. Je le savais affaibli, et il n'était
pas tout jeune.
J'avais fait sa connaissance vers la fin de 2004. Des articles favorables
m'avaient incité à me lancer dans la lecture
d'un de ses principaux livres, Un Français
libre, le recueil de ses journaux des années
60. Je lui avais écrit en apprenant que nous
étions tous deux nés un 6 juin, mais lui bien
avant moi, en 1925. Il aurait eu 84 ans en juin
prochain.
A l'époque, d'Arribe
venait de quitter Paris pour s'installer à Nice,
il râlait dans ses mails contre l'ébéniste qui
ne construisait pas assez rapidement sa nouvelle
bibliothèque. Dans la foulée, j'ai lu son autre
grand livre, Cher Picaro, recueil de ses
journaux des années 50, et en mai 2005 j'ai
publié sur le net une sélection des entretiens
que j'avais eus avec lui par courrier.
Nous sommes restés amis,
nous nous contactions de temps en temps, il
téléphonait volontiers. J'ai composé un grand
index de ses deux recueils de journaux, qui l'a
enchanté. Du coup, l'an dernier, il m'a demandé
de faire l'index de son dernier livre, S'en
fout la vie, ses mémoires des années 80,
imprimé par The Book Edition.
Je ne l'ai rencontré en personne qu'une fois, au printemps dernier, vers
Pâques. Rentrant de Santander, je me suis arrêté
me reposer une heure en sa compagnie chez son
amie Margot qui l'hébergeait alors quelques
jours, dans son pays basque natal, sur les
hauteurs de Guéthary.
Son dernier coup de fil
date je crois de fin janvier, il m'avait appelé
à la bibliothèque pour me présenter gentiment
ses vœux et discuter
un moment. Je comptais lui récrire,
dernièrement, et puis voilà.
C'était un gentilhomme, peu diplômé mais très cultivé, de bon goût,
subtil mais simple. Il m'a beaucoup apporté, il
me manquera.
Philippe BILLÉ
Autour du blog
" Le Nouvel Obscurantiste "
(journaldoc.canalblog.com). On y trouve
d'intéressants entretiens avec Jacques
d'Arribehaude.
***
Jacques
d'Arribehaude a toujours été un irrégulier. Il
n'avait pas 18 ans quand il rejoignit les Forces
françaises libres. Son gaullisme se garde de
tourner à cette dévotion qui l'aurait rendu
rentable : l'abandon des harkis l'indigna et
l'esprit de vindicte des professionnels de
l'épuration politicienne envers des écrivains de
talent (comme, par exemple, Willy de Spens) le
révulsa.
Si ce refus du conformisme entrava sa carrière, son œuvre, en particulier
son journal littéraire, en bénéficia avec un
éclat dont on ne cessa d'éprouver l'intensité.
C'est si rare, l'allégresse d'un bretteur qui
combat pour restaurer l'honneur d'une profession
prudente parfois jusqu'à la lâcheté !
Jacques d'Arribehaude,
en s'exposant aux représailles des puissances
régnantes, crible de traits féroces, d'une
précision redoutable, la médiocrité et la
bassesse de quelques importants du microcosme
télévisé.
Avec cet écrivain spontané pour qui la polémique est l'hygiène même des
lettres. Léautaud n'est pas mort sans postérité.
Pol VANDROMME
***
De Meudon à Cochon-sur-Marne
Le
voyage continue, Dieu merci. Après Une saison
à Cadix (Editions Pierre Chalmin/Arléa) et
L'Encre du salut (Editions Pierre Chalmin/
L'Age d'Homme), la troisième station du basque
bourlingueur, une Complainte mandingue
qui couvre d'une voix singulière les années
1960-1962. Complainte ? Oui, élégiaque, parfois,
mais sans aucun pathos, et bourrée de swing. Les
céliniens connaissent, du même auteur, Le Cinéma
de Céline
(1).
Ils découvriront ici, outre la relation des
visites à Meudon ou à Arletty, comment l'esprit
du cuirassier continue d'animer un homme
définitivement allergique à l'air pollué du
temps. (En contrepoint, lire le récit de la
brève rencontre avec l'Agité du bocal.)
Education
sentimentale d'un adolescent éternel. Carte du
Tendre aussi alambiquée et broussailleuse que
l'Afrique vécue, la Complainte mandingue
chante les ratages d'un anti-héros velléitaire,
d'un énergique lymphatique oscillant entre la
profession et la vocation - dirait Baudelaire.
Tour à tour Pierrot lunaire, auguste ou clown
blanc, Jacques d'Arribehaude explose -
d'orgasmes en saintes colères, comme dans ce
morceau de bravoure, parmi au moins huit autres
de la même poudre :
" La religion du prêt-à-penser dans la platitude des quotidiens, hebdos
et éditoriaux interchangeables, toute la machine
à décerveler qui, sous couleur de répandre
l'égalité ( " la même chose pour tout le monde
"), étouffe la liberté par la multiplication de
besoins inutiles, crétinise la terre entière, et
condamne tranquillement la planète à l'hébétude
de la plus morne soumission aux dieux du jour :
pognon, cul et vulgarité. Vaste entreprise de
totalitarisme sournois riche de la plus
formidable armée de cuistres, larbins et
collabos, et qui devient sans qu'on y prenne
garde un quatrième Reich en train de gagner la
planète entière. "
Fragile, tendre, animé par une douce piété
filiale et un amour pudique de la France, le
Quichotte à Cotonou joue la montre, rêve -
rarement - que l'arbitre siffle la fin du match.
En attendant, il lit Saint-Simon et Proust, puis
leur consacre des pages magnifiques, l'air de
rien. Ce dandy stendhalien chasse le bonheur
évidemment en solitaire, loin des safaris
collectifs où les accidents cynégétiques
provoquent des hécatombes (sans doute la Ruse de
la Raison). Le bonheur n'est pas une idée neuve
à Bambola-Fort-Gono... D'ailleurs, ce n'est même
pas une idée, alors. Heureusement, le braconnier
maladroit vise à côté, manque la cible. Il ne
lui reste plus qu'à écrire juste, ce dont il
s'acquitte depuis toujours.
D'Arribehaude
éclate d'un rire intolérable aux bigots de
toutes factions, rossignol moqueur des carnages
et de soi-même. Autant dire que les gens
sérieux, pions, dames d'œuvre,
saintes-Nitouche-toujours-vierges ne pigeront
que pouic à l'insolente liberté de cet
aristocrate démystificateur. A l'irrégulier qui
dit merde aux troupeaux ! Verbaliser le Verbe,
c'est toute l'affaire, toujours. Infraction ?
Sanction... Censure... Silence. Ça tombe bien,
les Basques naissent contrebandiers. Jacques d'Arribehaude
trafique de la littérature pendant que les
truqueurs la trafiquent. Les douaniers auront
beau déployer leur zèle d'oiseaux de mauvaise
augure, ils ne les auront pas vivants, ni lui,
ni elle. On continuera longtemps à se passer les
volumes du Journal - au besoin, en samizdat.
Rémi SOULIÉ
(1)
Le Cinéma de Céline, Le Lérot rêveur, n° 45,
septembre 1987.
(Bulletin célinien n° 199, juin 1999).
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