RÉACTIONS

 

 

           

            LETTRE à COMBAT.

  Combat avait reproduit, le 11 juillet 1947, des extraits d'un article des Izvetia du 20 juin qui voyait dans la réédition et la traduction de Mort à crédit aux USA une preuve de décadence. Dans le premier paragraphe Céline était traité de " nullité littéraire " et de " criminel fasciste ". 
 
  Hé diable ! Monsieur, je parie bien les Dardanelles que ce jean-foutre des " Investias " (sic) n'a jamais lu un seul de mes livres ! Que veut dire tout son cafouillage ? Qu'ai-je de commun avec Sade, Sartre, Millner (sic) ? le Pape ? En sait-il lui le premier mot ce damné troufignon ? Sait-il même lire ? Je ne crois pas. Ecrire ? Certainement non. Il bafouille des choses, sans queues ni têtes, n'importe quoi !... Il est payé ! Il rapproche tout, confusionne tout, merdoye, aboye, tout est dit.
   On s'écoeure à penser que de grands empires emploient de tels crétins. En si minuscules affaires tellement déconner !... Que ce doit-il être dans les grandes ! J'aimerais à parler de ces tristesses au Docteur Braun, à M. Sokoline que j'ai bien connus... Ils seraient bien gênés... Ces " Investias " d'abrutis quelle tare ! Et vas-y pour l'existentialisme ! Pan ! pour l'homosexualité ! Vlan ! pour Voltaire ! Boum ! pour la lune ! Quelle salade ! Quelle honte !

   Je veux bien faire un petit effort encore, une suprême gentillesse pour les Soviets, leur fixer une bonne fois pour toutes un petit point de l'Histoire littéraire française, qu'ils n'y déconnent plus. La " nullité littéraire Céline " leur apprend (puisqu'ils ne savent rien, même de ce qui les concerne, ils bavent sous eux !) que le Voyage au bout de la nuit a été lancé par un article de Georges Altman dans le Monde communiste d'Henri Barbusse, en 1934 (sic). Les articles de Daudet, Descaves, Ajalbert, ne sont venus " qu'ensuite ".
   J'ai d'ailleurs toujours entretenu avec Altman des relations très cordiales. Je leur apprends " secundo " que le Voyage a été traduit d'OFFICE par les Soviets (sans absolument me demander mon avis !) et que les traducteurs ne sont pas moins qu'Elsa Triolet et son mari Aragon, qui ne se sont point gênés pour tripatouiller mon texte dans le sens de leur propagande. Les Soviets me doivent d'ailleurs toujours de l'argent sur cette traduction.
  Avant d'engueuler les gens il est bon de leur rembourser ce qu'on leur doit. Voici une première mise au point. Les " Investias " ignorent également qu'en tant que " criminel fasciste " tous mes romans ont été " interdits " en Allemagne dès l'avènement d'Hitler et pendant tout le règne Hitlérien ? Savent-ils que mon dernier éditeur " allemand " est Julius Kittel, Juif réfugié à Marich-Ostrau, Moravie (1936) ?
  De telle crétineries découragent la polémique, on comprend que la parole soit de plus en plus à la bombe, à la mine, au déluge !
  Je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments très distingués.                  L.-F. Céline.

  (Cahiers Céline 1, Gallimard, 1985).