SA
VISION
C'est beau la vie
Sous le titre Un Français
libre, L'Age d'Homme publie le journal d'un
écrivain méconnu du grand public qui entretient
une fraternité d'esprit avec ces grands vivants
que furent Cendrars, Miller ou Stevenson.
Grand voyageur, ethnologue, cinéaste, artiste par-dessus tout, Jacques d'Arribehaude
considère la générosité comme la plus grande
qualité qu'on puisse trouver chez un être
humain. Originaire de Bayonne, émule de Don
Quichotte, il est adolescent quand l'armée
allemande envahit la France. Première rébellion,
premières aventures. Après avoir goûté de la
prison, il bourlingue sur les confins d'une
Europe en ruines, rencontre Céline puis
appareille pour l'Afrique... Pour lui, vie et
littérature sont inséparables... Perchée sur son
épaule, la perruche Phébus s'attaque à la Légion
d'honneur cousue au revers de son veston. Dans
un flamboiement d'élégance, il récite un poème
espagnol, parle de Shakespeare ou Saint-Simon...
Dans un monde critiqué pour son matérialisme,
cet incorrigible rêveur nous donne une belle
leçon de résistance...
Les quatre volumes du journal publiés aujourd'hui couvrent les
années 60 à 68... Dans quelles circonstances les
avez-vous rédigés ?
C'est la maladie qui m'a poussé à écrire... Ma santé se dégradait,
j'avais le foie en miettes. On me faisait des
transfusions, j'avais les pieds qui enflaient.
Les médecins m'ont dit : « Il faut faire une
transplantation du foie. » L'intervention a été
lourde puisqu'il a fallu non seulement me
changer le foie mais aussi un rein...
Votre existence a pris un tournant capital au moment de la guerre
car vous ne pouviez accepter l'Occupation...
J'étais un rebelle depuis l'adolescence. J'habitais alors chez mes
parents à Bayonne, petite sous-préfecture à la
frontière espagnole. L'inadmissible, ça d'abord
été la défaite de 1940, puis l'arrivée des
Allemands jusque chez nous, précédés par ce flot
insensé de réfugiés qui débarquaient dans des
conditions épouvantables. Du jour au lendemain,
le drapeau à croix gammée a flotté sur la
mairie. On entendait les chants allemands... Dès
que j'ai atteint dix-sept ans, je suis parti
vers la France libre. J'ai alors connu des
moments d'exaltation, mais aussi pas mal de
déceptions.
À la Libération, je n'ai pas rencontré l'idéal que je recherchais, pour
la bonne raison que la victoire, au lieu
d'amener le renouveau espéré, a réinstallé la
situation qui nous avait conduits à la défaite.
J'ai vécu cela comme une imposture, et à partir
de cette période, je me suis trouvé à
contrecourant des opinions générales...
Heureusement, toute ma vie, j'ai été accompagné
par de grandes lectures. Et cela me délivrait de
l'impression de solitude effroyable où je
marinais.
Vous avez eu le privilège de rencontrer un de ces grands écrivains,
justement. Je veux parler de Céline...
La rencontre de Céline m'a permis de surmonter la dépression que je
traversais durant les derniers mois de la
guerre. À la suite de mon incarcération dans une
prison d'Espagne, à Badajoz, j'avais été très
malade. J'avais attrapé une hépatite qui m'avait
considérablement affaibli. Après un petit
intervalle à la première division française
libre en Libye, je ne fus pas admis dans le
service armé. Je me suis donc retrouvé inscrit
maritime à Alger et bon pour la marine
marchande. J'ai navigué sur un pétrolier,
notamment en Sicile, dans l'Adriatique, et
jusqu'en Grèce... Tout le long, surtout en
Italie, je voyais un pays bombardé, dévasté.
Il régnait partout une misère et une corruption abominables. Je voyais la
destruction de l'Europe, une guerre fratricide
épouvantable, ce qui m'a plongé dans une
dépression profonde... En Sardaigne, j'ai acheté
le " Voyage au bout de la nuit " chez un
bouquiniste. Ça été une vraie thérapie, parce
que Céline exprimait exactement ce que je
ressentais, et notamment l'horreur de la
guerre...
Il avait plutôt mauvaise réputation...
Oui, mais je l'ignorais. Je voulais absolument le rencontrer. Cela s'est
produit quinze ans plus tard, grâce à un ami,
Philippe Sénart, qui connaissait une femme
inscrite aux cours de danse de Lucette Almanzor,
la compagne de Céline.
La première rencontre a été plutôt
brève. À votre demande d'entretien,
Louis-Ferdinand Céline répond : « Je
n'entretiens pas. »
C'est exact... Mais j'avais quand même senti de sa part un accueil
sympathique. Il avait fini par dire : «
Écrivez-moi et je vous répondrai... » Ce qu'il a
effectivement fait.
Comme vous étiez cinéaste, Céline a fini par imaginer que vous
alliez adapter le " Voyage au bout de la
nuit ".
Il m'a même raconté un nouveau départ du " Voyage " dans la
perspective d'une adaptation filmée ! C'est un
récit tellement intérieur... À mon avis, il ne
faut pas y toucher. Ce que je regrette n'avoir
pu faire, en revanche, c'est un documentaire sur
Céline. On a enregistré sa voix, mais il ne
voulait pas d'images. « Pas d'images ! », voilà
ce qu'il répétait.
D'importants chapitres de votre livre se déroulent en Afrique...
J'ai travaillé trois ans au Tchad dans une grande société... Puis, ça été
l'lndochine... J'ai tardivement obtenu un
diplôme d'ethnologue, et j'ai ainsi pu retourner
en Afrique. Ce magnifique continent a beaucoup
compté pour moi car j'y ai trouvé ce qui me
manquait le plus en Europe, une absence totale
de souci du temps et de l'argent. Je préférais
rester pauvre, mais garder la liberté de ne pas
me presser, de coller au rythme naturel des
choses. Échapper à la frénésie, voilà le luxe
véritable.
Vous ne vous êtes jamais laissé embrigader. Est-ce par tempérament ?
Je suis vraiment individualiste dans le sang. Peut-être est-ce dû à mes
origines ? Les navigateurs, les corsaires
basques, vivaient en marge des lois... Inféodés
à rien. Tous les Navarrais se considèrent comme
nobles. Ce qui compte, c'est la démocratie
municipale, aristos et peuple confondus... Vous
savez, j'ai récemment rencontré des jeunes gens
d'une trentaine d'années qui se retrouvent tout
à fait dans ce que j'écris. Le temps permet de
réajuster les choses, de s'y retrouver. Le
secret, c'est de durer.
(Entretien recueilli par Serge Sanchez, Imprévu, n° 5, avril 2001 ("
C'est beau LA VIE ")
***
AMITIES
1942-1943 : J'ai
pour professeur d'anglais au lycée de Bayonne
Jean-Louis Curtis (de son vrai nom Louis
Laffitte), futur prix Goncourt, qui, le premier,
m'encourage à écrire. Une amitié sans faille qui
s'est maintenue jusqu'à la mort de
l'académicien, en 1996.
1949 : Rencontre au Festival du Film Maudit à Biarritz de
Roland et Denise Tual, producteurs et
réalisateurs associés, dont je deviens
l'assistant. Roland Tual, lié dans sa jeunesse
au surréalisme, proche de Gallimard et de tout
ce qui compte dans la vie artistique et
littéraire de l'époque, s'éprend de mon premier
manuscrit, " Semelles de vent ", et
s'indigne de le voir refusé, malgré son
insistance, par son ami Gaston Gallimard.
Je reçois un meilleur accueil auprès des naissantes éditions de La Table
Ronde, que dirige Roland Laudenbach. C'est chez
mes amis Tual que je rencontre René Clair, Jean
Cocteau, Laurence Olivier et Vivian Leigh,
Annabella, et autres figures de l'époque, mais
c'est seulement avec Roland Tual que je garde
une relation durable jusqu'à sa mort en 1955,
peu après mon long séjour outre-mer, au Tchad et
en Indochine.
1951 : Rencontre du génial Émile Cioran.
1956 : Rencontre du graphiste, créateur notoire de la maquette du
Club Français du Livre, l'artiste et
illustrateur Jacques Darche, qui comptera
jusqu'à sa fin parmi mes meilleurs amis, et me
fait connaître l'écrivain et critique Philippe
Sénart, qui soutient mon premier livre publié à
La Table Ronde, " La grande vadrouille ",
comme il soutiendra " Semelles de vent "
enfin paru en 1959, ainsi que la suite de mes
publications jusqu'à nos jours.
Roland Laudenbach me présente Alexandre Astruc, avec lequel je
sympathise, et Jean-Edern Hallier, que je
reverrai souvent et longuement par la suite.
1957 : Guy Deray, jeune cinéaste connu au Laos (auteur du
court-métrage : " Les petites filles modèles
", tiré de la comtesse de Ségur), me présente
Éric Rohmer. Ce sera le début de relations
durables. En 1967, Rohmer m'aidera à remanier le
scénario du film " Deux filles " (co-écrit
avec Roussia de Khotcholava, ma future épouse)
pour lequel j'obtiens l'avance sur recettes du
C.N.C. (Centre National de la Cinématographie),
que les événements de 1968 m'empêchent de
réaliser.
1959 : Rencontre du légendaire scénariste Charles Spaak et
relations amicales jusqu'à sa retraite dans le
Midi...
1960-1961 :
Entretiens à Meudon avec Louis-Ferdinand Céline.
Philippe Sénart me fait connaître deux jeunes
auteurs que j'apprécie autant que lui, Gabriel
Matzneff et Christian Dedet. Origine d'une
relation suivie et particulièrement amicale avec
Christian Dedet, prix des libraires 1985 avec "
La mémoire du fleuve ".
Rencontre des cinéastes Jean Rouch et Joris
Ivens.
1963 : Correspondance et amitié avec Dominique de Roux, fondateur
des célèbres Cahiers de l'Herne.
1967 : Rencontre de l'écrivain et philosophe Edgar Morin, qui donne
un avis favorable au C.N.C. pour l'attribution
d'une avance sur recettes pour mon scénario : "
Deux filles ", et que je reverrai
beaucoup plus tard.
1972 : Rencontre et correspondance amicale avec le romancier Willy
de Spens que me fait connaître Philippe Sénart.
1982 : Correspondance et amitié avec Marc Laudelout, directeur du
Bulletin célinien.
1983 : Rencontre avec l'écrivain-mélomane Marc-Edouard Nabe.
1995 : Lettre d'Edgar Morin, intéressé par le manuscrit d' " Une
saison à Cadix ". Sur la suggestion d'Edgar
Morin, l'essayiste Jean-Claude Guillebaud
envisage, sans se décider, la publication du
manuscrit chez les éditions Arléa.
Rencontre très amicale du jeune auteur-éditeur Pierre Chalmin, qui publie
" Une saison à Cadix ", premier volume de
mon journal, Jean-Claude Guillebaud acceptant sa
distribution par Le Seuil.
1997 : Rencontre de l'écrivain, scénariste et critique
cinématographique Michel Marmin, qui me fera
connaître un autre poète remarquable, son ami
Jean-Charles Personne.
1999 : Rencontre de Michel Arveiller, universitaire, spécialiste de
Léon Bloy, dont l'érudition et l'amitié
apportent un précieux soutien dans mes
recherches.
***
L'encre du Salut, par Pierre-Vincent Guitard
L'encre du Salut
est l'histoire de ce troc, où il abandonnera le
vagabondage sexuel qui commence à lui peser pour
entrer dans un monde où l'argent ne manque plus
:
- Maintenant à moi de m'accrocher, mais
c'est bien parti. Très bons contacts avec les
techniciens, caméraman, sondier,
chauffeur-éclairagistes, monteur, et pour les
conditions, j'ai failli tomber raide, finie la
mouise, c'est Byzance!
C'est à partir d'un travail sur Louis Lecoin que commence sa carrière
cinématographique et c'est pour nous l'occasion
de revenir sur les idées de J. d'Arribehaude
héritier de Céline bien sûr, et bien que ne
l'ayant pas vécue ayant comme lui en mémoire le
souvenir de cette effroyable guerre de 14 .
- Il me suffit d'être un peu fatigué ou
désemparé pour que la moindre évocation des
tueries de 14-18 me submerge parfois, et de plus
en plus fortement avec les années, d'émotions
incontrôlables. [...]
La dignité, le courage, l'honneur, de tous
ces humbles massacrés, morts pour rien, et
tellement bafoués.
A chacun de mes séjours à Bayonne, je regarde la
photo de cet oncle que je n'ai pas connu ; sa
croix de guerre, sa " médaille militaire à titre
posthume ", l a " citation à l'ordre du régiment
".
Maman m'a toujours dit que je lui ressemblais.
C'est peut-être là que commence la parenté avec
Céline, c'est en tout cas l'une des racines où
se nourrit sa résistance aux idées toutes
faites, la seconde étant la défaite de 40.
Jacques d'Arribehaude est avant tout un
résistant :
- Réaction se confond tout simplement
pour moi avec résistance, et de toutes mes
forces. Résistant, donc réactionnaire, mais bien
sûr, et plutôt mille fois qu'une. Dissident
j'étais, dissident je reste.
Si l'on est parfois choqué de ses accès de colère et de la violence non
maîtrisée de ses mots contre les lieux communs
de notre époque c'est de ne pas comprendre le
désespoir qui les anime, la formidable perte
dont ils sont issus, celle du paradis, celui de
l'enfance bien sûr et particulièrement de la
sienne, mais c'est surtout de ne pas comprendre
la violence de l'agression qu'il a subi lorsque
les Allemands entrant dans Bayonne lui ont volé
ses rêves.
Cette colère apparaît ici parfaitement cohérente, tout d'abord celle de
l'inhumain sacrifice de 14, puis du stupide
traité de Versailles, de l'incompétence de la
3eme République, enfin après la guerre, des
mensonges sous lesquels on a enseveli la réalité
de Vichy :
- Dieu sait pourtant si [...]
j'avais pu me sentir loin des mines contrites,
des faces de carême et du " patrouillotisme "
cocardo rataplan catéchiseur de
Vichy-les-Nouilles, mais enfin, tant
d'acharnement à dénoncer ce régime si
tranquillement supporté par l'immense majorité
de la population n'en est pas moins répugnant.
Et de la Résistance : [...] mais il [de Gaulle] porte le poids de
l'immense supercherie, qui me fut intolérable à
l'époque, d'un pays unanime dans la " Résistance
" ...
PENVINS (20-08-2005)
***
QUESTIONS A JACQUES D’ARRIBEHAUDE
Au sujet de La grande vadrouille, d'abord la même question :
quelles années de votre vie sont narrées là ? La
fin des années 40, le début des années 50 ? Y
a-t-il des épisodes fictifs dedans ?
La grande vadrouille. Puisé
dans mon Journal de 50 à 54. Arrangé en
roman mais avec moins de fiction que dans
Semelles de Vent. Tout ce qui concerne mes
relations avec " Sébastien " est pure réalité.
En reprenant cela dans Cher Picaro,
j'avais l'intention d'améliorer le personnage
pour lequel on me reprochait d'avoir été trop
dur. Je voulais ignorer ses mœurs particulières,
qu'il prenait soin de me cacher, et n'ai pu me
faire à la petite bande de pédés choisis par lui
pour que je les dirige dans ses projets
d'exploitation, derrière lesquels il dissimulait
un très secret trafic d'opium avec les maîtres
du Laos. J'aurais dû prévoir tout cela, qui fait
ressortir l'étendue de ma connerie, mais je ne
vois pas comment la figure du personnage (Préval
dans Cher Picaro et non plus Sébastien)
pouvait sortir améliorée d'un nouvel éclairage
cinquante ans après.
La grande vadrouille est le
seul de vos livres à ne pas avoir été publié ou
republié récemment. Cela vous est-il interdit
depuis que le titre a été racheté pour le cinéma
ou cela tient-il à d'autres raisons ?
Claude Guillebaud avait envisagé de rééditer La grande vadrouille
chez Arlea, filiale du Seuil qu'il dirige, mais
la confusion avec le film risquait de déplaire
et nous avons préféré renoncer.
Le maître à penser Snadjieff que vous nommez pages 137 et 141, c'est
Gurdjieff ? Vous avez l'air d'avoir de lui une
piètre opinion.
Snadjeff = Gurdjieff, bien sûr. Type d'un charisme incontestable, dont
j'ai connu des disciples. Il a hâté la mort de
Catherine Mansfield en prétendant la guérir. Un
peu de charlatanisme et beaucoup de dégâts, que
Pauwels était le premier à reconnaître en dépit
de son admiration.
Page 242 vous donnez entre guillemets une citation non signée dans
laquelle on peut reconnaître une phrase de
Rimbaud, dans Une saison en enfer : " Le
meilleur, c'est un sommeil bien ivre sur la
grève ". Vous en omettez la syllabe " c'est ".
Est-ce pour le plaisir d'en faire un alexandrin
?
J'ai fait la citation sans vérifier dans Rimbaud tant elle me paraissait
connue, et en supprimant le " c'est " parce que,
isolée du contexte, la musique des mots sonnait
mieux, me semblait-il, et sans penser, pour
autant, à l'alexandrin.
(Journal documentaire, Messages 3 mai 2005).
***
REPONSES DE JACQUES D’ARRIBEHAUDE
AU QUESTIONNAIRE DIT DE PROUST
(janvier 2005)
Quel est votre principal trait de caractère ? –
L’incertitude.
Quelle qualité appréciez-vous le plus chez un
homme ? – La loyauté.
Quelle qualité appréciez-vous le plus chez une
femme ? – La bonté.
Quelle est votre vertu préférée ? - La volonté.
Quel est votre principal défaut ? – La paresse.
Quelle est votre occupation préférée ? – La
rêverie.
Quel est votre rêve de bonheur ? – Aimer et être
aimé.
Quel serait votre plus grand malheur ? –
Survivre à la perte de toutes mes facultés.
Qui aimeriez-vous être ? – Un des 13 de Balzac.
Où aimeriez-vous vivre ? – Là où je suis (Nice).
Quelle est votre couleur préférée ? - Bleu roi.
Quelle est votre fleur préférée ? – La pensée.
Quel est votre oiseau préféré ? - Le canari.
Quels sont vos prosateurs préférés ? –
Shakespeare, Balzac, Dostoïevski, Céline.
Quels sont vos poètes préférés ? – Villon,
Ronsard, Rimbaud, Apollinaire.
Quels sont vos héros favoris dans la fiction ? –
Don Quichotte, Fabrice del Dongo, le Prince
André.
Quelles sont vos héroïnes préférées dans la
fiction ? – Les Illustres Françaises, du roman
éponyme du XVIIIe siècle.
Quels sont vos compositeurs préférés ? – Bach,
Beethoven, Chopin, Albeniz.
Quels sont vos peintres préférés ? – Angelico,
Rembrandt, Velázquez, Goya, Matisse, Bonnard.
Quels sont vos héros dans l’histoire réelle ? –
César, Napoléon.
Quelles sont vos héroïnes dans l’histoire réelle
? – Héloïse, Jeanne d’Arc.
Quels sont vos noms favoris ? – Horst, Kurt,
Knut (scandinaves ou germaniques, qui claquent
comme des épées.
Que détestez-vous par-dessus tout ? –
Prétention, lâcheté, bêtise.
Quels personnages historiques méprisez-vous le
plus ? – Pilate, nos dirigeants politiques de
36-39.
Quel fait militaire admirez-vous le plus ? /
Quelle réforme estimez-vous le plus ? - M'en
fous. L'Angleterre se passe de constitution
depuis mille ans.
Quel don naturel aimeriez-vous avoir ? – La
composition musicale.
Comment aimeriez-vous mourir ? – Intact, sans
m’en apercevoir.
Quel est votre état d’esprit présent ? – Le
doute, ouvert à l’espoir.
Quelles fautes tolérez-vous le mieux ? – La
gourmandise, la curiosité.
Quelle est votre devise ? – Celle du Taciturne :
« Il n’est pas besoin d'espérer pour
entreprendre, ni de réussir pour persévérer. "
POST-SCRIPTUM au questionnaire de Proust :
L’incertitude vient en premier. Et pourtant je
suis plutôt gai, bon public,
me
marre
facilement.
Questions
bizarres, choix pas évident pour les réponses.
Je n'ai
jamais songé à être quelqu'un d'autre et si je
m'emmerde quelque part, je vais ailleurs, voilà
tout. " Où aimeriez-vous vivre " n'a pour moi
aucun sens. Noms favoris : lesquels ? Lieux ?
Professions ? Pour les prénoms, les français
manquent de musicalité, sonnent neutre, plat. Je
préfère les sonorités scandinaves ou tudesques,
ou le romantisme latin hispanique ou italien :
Consuelo, Maria, Silvio, Salvador, Ettore.
Personnages historiques détestés ? Tout le personnel de la IIIe, mais
surtout toutes les crapules vénérées comme "
grands ancêtres " de la Révolution et toutes
celles qui ont suivi, plus néfastes et
stupidement criminelles les unes que les autres.
(par Philippe
BILLÉ, dans Notes et
documents sur Jacques d'Arribehaude).
***
Le chroniqueur
De 1987 à 1999, Jacques d'Arribehaude donna une
vingtaine de chroniques littéraires au
Bulletin célinien. Nous en avons exhumé
quelques-unes où ressortent sa vision des
choses, comme son tempérament d'homme libre et
dérangeant pour ce que l'on nomme " le
politiquement correct "...
Eric Séebold,
Essai de situation des pamphlets de
Louis-Ferdinand Céline (nouvelle édition revue).
Editions du Lérot, coll. " Céline Etudes ",
1987.
" Le mérite de
Séebold est de ne viser ni au panégyrique ni à
l'éreintement, mais de s'en tenir le plus
rigoureusement possible aux faits. D'emblée il
rejette ainsi les amalgames et tripotages de
textes qui tentent trop souvent d'imposer la
pire image de l'écrivain français le plus génial
mais aussi le plus dérangeant du siècle.
Caractéristiques de ces tripotages, grossièrement montés au nom d'un "
ordre moral " digne de Tartuffe, les
publications du " journaliste " Ganier-Raymond,
ou de " l'historien " Pascal Ory, fanatiques de
délation et de zèle épurateur.
Dans le fourmillement de polygraphes qui officient par ailleurs dans une
" critique " tout aussi alignée et chafouine,
Séebold épingle également Nourissier qui,
s'avisant de distinguer entre le Céline
romancier et le Céline pamphlétaire, nous
ressert l'écœurant
poncif habituel : " Outre que les pamphlets
de l'avant-guerre sont méprisables dans leurs
propos, ils sont littérairement assez médiocres
".
Séebold n'a aucune peine à démontrer que l'éblouissante virtuosité des
pamphlets, leur verve torrentielle, leur
puissance satirique inégalée, s'intègrent
parfaitement à l'ensemble de l'œuvre
et qu'il est ridicule de prétendre les en
dissocier.
(...) En 1934, trois ans
avant Bagatelles, Paul Morand, dans
France la doulce, observant la jungle
financière de certains milieux, " qualifiés
on ne sait trop pourquoi de français ",
avouait, face à " ce mépris pour nos mœurs,
la torture infligée à notre langue et à notre
culture, n'avoir rien inventé et s'être souvent
tenu en deçà du réel... En défendant les
Français, je revendique simplement pour eux,
écrivait ironiquement Morand, le droit des
minorités. "
Céline, au fond, n'en demandait pas davantage, mais comme il criait
plus fort que Morand, qu'il n'épargnait personne
et qu'il s'époumonait surtout à vouloir la paix
avec l'Allemagne - crime inexpiable - rien ne
pouvait lui être pardonné. "
(BC n° 62, octobre 1987).
*
Marc-Edouard
Nabe, Le Bonheur (roman), Editions Denoël, 1988.
" Déjà manifeste avec Au
régal des vermines et les diverses
publications qui ont suivi, le talent de
Marc-Edouard Nabe force à nouveau l'attention
avec son premier roman, Le Bonheur.
On se souvient que d'emblée, l'exceptionnelle liberté de ton, la voix
éclatante et l'ironie dévastatrice du jeune
auteur eurent ce mérite d'arrêter net le
bêlement morne, exaspérant et satisfait, des
cuistreries régnantes. On put voir alors des
brebis de la tolérance universelle, des
professionnels de la pétition larmoyante et de
la bonne conscience à pancartes, tomber sur Nabe
à bras raccourcis et le désigner à la vindicte
publique comme un criminel de guerre en
puissance, digne de la potence de Nuremberg.
La cavale des dévots et des médiocres qui orchestre le matraquage et la
crétinisation des médias veilla dès lors avec un
soin maniaque à ce que ni le nom ni les écrits
de Nabe ne fussent désormais mentionnés.
Cependant, l'image de cet auteur solitaire, armé
de sa jeunesse, de son courage et de sa passion
d'écrire, et continuant à produire malgré tout,
a fini par toucher des écrivains, des artistes,
sensibles au véritable talent (il en existe
encore), au point qu'il est permis de penser que
la tentative d'étouffement a heureusement fait
long feu. "
(BC n° 66, février 1988).
*
Micberth, La Lettre, Editions Res Universalis,
1986, 296 p.
Je
viens de dévorer La Lettre, de
Michel-Georges Micberth, suite d'articles et de
textes parus Dieu sait où en 84-85, qui ont
l'admirable éclat d'une série de beignes
appliquées à toute volée sur les faces de
pitres, de loufiats et de tarés qui règnent sur
ce pauvre monde et mettent à l'abrutir une
opiniâtreté, une haine, une infamie dans la
délation et le sournois verrouillage juridique,
qui rendraient aimable le souvenir de
l'Inquisition.
(...) Je reprends Micberth pour respirer un peu d'air frais et ne pas me
sentir trop seul : " La simple honnêteté et
l'hygiène mentale " ont justement inspiré à
Micberth quelques réflexions sur l'affaire
Barbie que vous ne trouverez pas dans vos
quotidiens habituels. " Mais les Juifs !
écrit-il. Vous oubliez les Juifs, les enfants
Juifs, les vieillards juifs, les femmes juives !
" A cela je réponds : " Mais vous oubliez les
catholiques, les enfants catholiques, les femmes
catholiques ! "
A
trop en faire dans l'exploitation holaucostique
à sens unique, craignez que l'ultime réponse
chrétienne aux " Six millions " de " l'Unicité
fatidique " (dixit Levy) devienne, un jour de
très humaine lassitude : " Et que voulez-vous
que ça nous foute ? ". " Sous la plume des
apprentis sorciers qui le couvrent d'immondices,
écrit encore Micberth, Hitler apparaît aux
nouvelles générations comme une sorte d'ange
satanique blasphémé par les penseurs épais du
conformisme débilitant. Pour un peu, il
deviendrait le symbole d'un romantisme
intemporel. "
N.B. Avis à la LICRA et à ses cafards. Je suis Grand Invalide de guerre
100/100 au titre " interné résistant ", couvert
de toutes les bananes patriotiques que vous
n'avez généralement pas, évadés, engagé, FFL et
tout le boxon. Inutile de m'emmerder.
Jacques d'ARRIBEHAUDE
(BC n° 67, mars 1988).
*
François Richard.
L'anarchisme de droite dans la littérature
contemporaine. Presses Universitaires de France,
coll. Littératures modernes, 1988.
...
On conçoit aussi que, dans l'asphyxie du
conformisme ambiant, étayé d'un appareil
judiciaire et policier parfaitement au point,
appuyé à tous les créneaux possibles par des
aboyeurs médiatiques, des enseignants abrutis et
l'armée socialisante d'une pléthorique fonction
publique où nul ne semble avoir jamais vu
l'ombre d'un prolétaire, le moindre propos d'un
Drumont, d'un Céline, d'un Rebatet, et, plus
près de nous, d'un Nabe ou d'un Micberth, soit
aussitôt perçu comme une menace intolérable.
De Gobineau à Micberth en passant par Drumont, Bloy, Darien, Léautaud,
Daudet, Céline, Rebatet, Marcel Aymé, Bernanos
et bien d'autres, François Richard éclaire à
merveille le talent, la vigueur polémique et la
fécondité d'un courant qui, en dépit de toutes
les censures, de tous les éteignoirs et de
l'immense peur des Bien-pensants de tous bords,
apparaît " comme l'une des tendances politiques,
morales et intellectuelles les plus stimulantes
de notre modernité. "
Où
l'auteur de cette excellente étude s'égare un
peu, me semble-t-il, c'est lorsqu'il cite Louis
Pauwels en bonne place parmi ces irréductibles
briseurs de tabous dont il souligne pourtant
bien, par ailleurs, le caractère irrécupérable.
Certes Pauwels est honni et abreuvé d'injures
par les tout puissants foutriquets de ce qu'il
nomme si justement " la gauche caviar ", qui ne
sauraient lui pardonner ses ricanements à propos
du " sida mental " dont il les voit atteints.
Mais Pauwels est une institution qui se
recommande, tout comme ses adversaires et
détracteurs, de la démocratie, de la République,
et de l'épilepsie moralisante de nos cardinaux
judéo-chrétiens.
Je distingue mal le rapport avec Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Darien,
Rebatet, Micberth, etc. Je regrette, en
revanche, que François Richard ait omis de citer
Brigneau, Gripari, Marc-Edouard Nabe, Willy de
Spens, d'autres peut-être, qui appartiennent,
sans conteste, par l'éclat, le talent et le
caractère, à cette flamboyante aristocratie de
réprouvés qu'il s'est attaché à dépeindre. Mais
ne boudons pas notre satisfaction dès lors qu'il
s'agit du premier ouvrage sérieux sur un sujet
pratiquement tabou jusqu'à ce jour.
(BC n° 68, avril 1988).
*
André Figueras, L'Adieu aux Juifs,
Publications André Figueras, 1987.
Avec sa franchise habituelle, André Figueras
nous livre ses réflexions d'honnête homme sur la
prétendue race élue et sa fatigante frénésie à
abrutir les masses mécréantes.
" Le seul point commun, écrit-il, entre les personnes dites juives où
qu'elles se trouvassent et à quelque époque, est
d'avoir été en proie à d'immenses désagréments.
On pourrait donc dire que les Juifs semblent
secréter l'antisémitisme comme le foie secrète
la bile. Et aujourd'hui ils ont réussi à se
faire de l'antisémitisme un rempart puisque
l'escroc le plus fieffé, s'il a le bonheur de se
dire juif (Flatto Sharon), se prétend victime de
menées racistes et trouve en tout cas refuge,
place et honneurs en Israël. L'antisémitisme a
longtemps été un malheur qu'aujourd'hui les
malins ont transformé en aubaine. "
Indemne de toute espèce de racisme mais se reconnaissant néanmoins
Français et chrétien, au reste ancien résistant
et non suspect de sympathie pour la " bête
immonde ", Figueras en a par dessus la tête de
se voir à chaque instant chapitré comme un
morpion au cas où il oublierait une minute de
pleurer sur l'holocauste. Le cas n'est pas rare,
finalement, où l'irritation finit par l'emporter
sur un chagrin sollicité sans trêve ni répit, à
grands renforts de boniments, de gesticulations
et d'anathèmes, depuis des générations.
Geneviève Dormann, qui n'a pas froid aux yeux, déclare tout net que les
Juifs l'emmerdent. Les protestants ont eu, note
Figueras, l'intelligence et la dignité de ne pas
nous pomper l'air en défilant cinquante fois
l'an avec les fantômes de la Saint-Barthélémy.
Le
résultat est là. Des Français comme les autres,
fondus dans la masse et dont la fortune
économique et politique ne soulève nul problème.
Mais quand on nous envoie sans arrêt les six
millions (?) à travers la gueule, quand il est
impossible d'ouvrir un journal, un poste de
radio, la télévision, sans que nous soit rappelé
à tout instant la communauté de l'exclusif
malheur juif, on en a vraiment sa claque.
Le journal " Le Monde ", qui n'en rate pas une dans ce domaine, vient
précisément de nous gratifier (26 mars), sous la
plume du rabbin honoraire Poireau-Delpech, du
solennel rabâchage de rigueur sur " Auschwitz
relais de la mémoire ". Aucun poncif n'est
épargné, c'est du pur Hugo lacrymal avec la
touche Zola pour le vécu garanti sur facture.
Pour conclure, une allusion aux masses de cheveux pieusement conservés
dans un coin, et cette perle époustouflante : "
les bidons de Ziklon B., preuves scientifiques
des chambres à gaz. " Fermez le ban ! Aussi
définitif que la vérité théologale du XVIe
siècle. Pauvres Galilées que nous sommes ! La
terre est plate, le soleil tourne autour, il est
clair que les Indiens et les nègres n'ont pas
d'âme. Inclinez-vous sur les bidons de la
transcendance céleste, ou le bûcher vous attend.
Jacques d'Arribehaude
(BC n° 69, mai 1988).
*
Jacques Vergès, Je
défends Barbie (préface de Jean-Edern Hallier),
Editions Jean Picollec, 1988.
Soigneusement
passée sous silence par les médias, couverte par
les clameurs hystériques de ceux qui refusent
toute vérité dérangeante, la plaidoirie de
Jacques Vergès réduisant le procès Barbie à sa
triste réalité, celle d'une écœurante
palinodie de justice truffée d'impostures, de
témoignages bidons et de faux grossiers,
marquera certainement une date dans la
courageuse dénonciation du mythe extravagant
imposé aux masses crédules depuis près d'un
demi-siècle et selon lequel le peuple allemand
unique au monde serait jusqu'à la fin des temps
coupable contre l'humanité de crimes
inexpiables.
(...) Qui peut croire que ces procès de lampistes et de bureaucrates
octogénaires dont on nous promet l'incessante
répétition, ont un sens quelconque si l'on
s'avise que de telles mascarades, affligeantes
caricatures, dignes de la pire légende des
Inquisiteurs du Saint Office, ne peuvent que
desservir le but recherché, qui est la
condamnation du racisme en général et de
l'antisémitisme en particulier ? Même protégé
par tout un arsenal de lois scélérates, un
mensonge reste un mensonge, et a tôt fait
d'irriter une opinion qui se sent mystifiée.
Le plus
lamentable est ici que des Juifs de bon sens,
sages et clairvoyants, le plus grand nombre sans
doute, parfaitement conscients du danger,
s'efforcent de s'opposer à cette stratégie
calamiteuse, et que ce sont les ultras qui
l'emportent, avides de pouvoir, ivres de haine,
sourds à tout raisonnement susceptible de
contrarier la mythologie conquérante née de
leurs délires et de leurs fantasmes.
" Arrêtons le délire, s'est précisément exclamé le député RPR Claude
Labbé, repris par d'autres, et nullement suspect
de racisme. Le Pen n'est ni raciste, ni nazi. Ce
qui est bien plus grave, c'est Simone Veil. Plus
elle parle, plus elle développe l'antisémitisme
en France. "
Pareils
propos, inconcevables avant le procès Barbie,
les anathèmes contre Le Pen quotidiennement
rabâchés, en disent long sur un certain
ras-le-bol, le même qui expliqua en son temps
l'extraordinaire succès de librairie de
Bagatelles pour un massacre.
(BC n° 72, août 1988).
*
Yves Chiron, Edmond
Burke et la Révolution Française, Editions Téqui,
Paris, 1988.
Les
" Réflexions sur la Révolution de France
", publiées à Londres le 1er novembre 1790 par
Edmond Burke, célèbre parlementaire Irlandais
n'ont cessé depuis lors d'irriter la longue
suite de nos dirigeants politiques épris de
niaiseries démagogiques et accoutumés à endormir
l'opinion de mascarades égalitaires dans
l'imposture généralisée des " Droits de
l'homme et du citoyen ".
A la veille du Bicentenaire dont les fastes
dispendieux et grotesques vont encore ajouter au
trou sans fond de la Sécurité sociale et crever
un peu plus la misérable vache à lait électorale
saignée à blanc par les criminels irresponsables
qui, au nom de l'Etat et pour le bonheur du
peuple, osent encore exhiber le bonnet phrygien
et se réclamer de la " Carmagnole ", la lecture
de Burke, telle une cure d'altitude, est un
merveilleux contrepoison.
(...) Or, par une sinistre ironie de l'Histoire, il se trouve que la
France s'est précipité dans cet interminable
bourbier au moment précis où son prestige était
le plus éclatant, son économie en pleine
ascension, la qualité de sa civilisation
reconnue partout sans conteste. Ainsi que le
souligne Yves Chiron, Burke note que les "
droits de l'homme " flattent l'égoïsme de
l'individu et sont ainsi négateurs, à terme de
la vie sociale.
Dans un discours au Parlement (britannique), en février 1790, il
s'élève avec violence contre ces droits de
l'homme tout juste bons, dit-il, à "
inculquer dans l'esprit du peuple un système de
destruction en mettant sous sa hache toutes les
autorités et en lui remettant le sceptre de
l'opinion. " L'abstraction et la prétention
à l'universalisme de ces droits, poursuit
Chiron, contredisent trop en Burke l'historien
qui n'apprécie rien tant que le respect du
particulier, la différence ordonnée et le
relativisme qu'enseigne l'Histoire.
Il n'aura pas de mots assez durs pour stigmatiser Jean-Jacques
Rousseau, " ami du genre humain " dans
ses écrits, théoricien de la " nature bonne
" de l'homme
et
qui abandonne les enfants qu'il a eu de sa
concubine : " la bienveillance envers
l'espèce entière d'une part, de l'autre le
manque absolu d'entrailles pour ceux qui les
touchent de plus près, voilà le caractère des
modernes philosophes... ami du genre humain,
ennemi de ses propres enfants. "
(...)
Nul ne s'avisait, dans le tumulte emphatique qui
remplissait ces pauvres cervelles de débiles et
de gredins, de ces " liaisons secrètes "
que Chateaubriand a si bien perçu par la suite
entre égalité et dictature, et qui la rendent
parfaitement incompatible avec la liberté.
L'Angleterre, pays de gens pratiques, ne pouvait
qu'être aux antipodes de l'imitation " améliorée
" que l'on croyait en faire, et ses grands
seigneurs, accourus pour acheter à vil prix le
mobilier et les trésors de la Nation vendus à
l'encan, n'en revenaient pas de ce vertige de
crétinisme et de l'hystérie collective et
criminelle emportant follement le malheureux
peuple de France vers l'esclavage, la ruine et
l'effacement de la scène du monde au nom de
fumées et d'abstractions extravagantes,
mensongères et pitoyables.
Quant à la masse du peuple, dit Burke, quand une fois ce
malheureux troupeau s'est dispersé, quand ces
pauvres brebis se sont soustraites, ne disons
pas à la contrainte mais à la protection de
l'autorité naturelle et de la subordination
légitime, leur sort inévitable est de devenir la
proie des imposteurs. Je ne peux concevoir,
dit-il encore, comment aucun homme peut
parvenir à un degré si élevé de présomption que
son pays ne lui semble plus qu'une carte blanche
sur laquelle il peut griffonner à plaisir... Un
vrai politique considèrera toujours quel est le
meilleur parti que l'on puisse tirer des
matériaux existants dans sa patrie. Penchant à
conserver ; talent d'améliorer ; voilà les deux
qualités qui me feraient juger de la qualité
d'un homme d'Etat.
Céline, si lucide et si imperméable à la
rémoulade d'abstractions humanitaires dont
résonnent sans trêve nos grands tamtams
médiatiques, et qui savait son Histoire comme on
ne l'enseigne nulle part, a décrit la situation
une fois pour toutes dans une des pages les plus
saisissantes du " Voyage ". "
Ecoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez
plus passer sans bien vous pénétrer de son
importance, ce signe capital dont resplendissent
toutes les hypocrisies meurtrières de notre
société : L'attendrissement sur le sort du
miteux... C'est le signe... Il est infaillible.
C'est par l'affection que àa commence...
Autrefois, la mode fanatique, c'était " Vive
Jésus ! Au bûcher les hérétiques ! " mais rares
et volontaires, après tout, les hérétiques.
Tandis que désormais... les hommes qui ne
veulent ni découdre, ni assassiner personne, les
Pacifiques puants, qu'on s'en empare et qu'on
les écartèle afin que la Patrie en devienne plus
aimée, plus joyeuse et plus douce ! Et s'il y en
a là dedans des immondes qui se refusent à
comprendre ces choses sublimes, ils n'ont qu'à
aller s'enterrer tout de suite avec les autres,
pas tout à fait cependant, mais au fin bout du
cimetière sous l'épithète infâmante des lâches
sans idéal, car ils auront perdu, ces ignobles,
le droit magnifique à un petit bout d'ombre du
monument adjudicataire et communal élevé pour
les morts convenables dans l'allée du centre, et
puis aussi perdu le droit de recueillir un peu
de l'écho du Ministre qui viendra ce dimanche
encore uriner chez le Préfet et frémir de la
gueule au-dessus des tombes après le déjeuner. "
Que l'on me pardonne cette citation un peu
longue et d'ailleurs incomplète, mais elle m'a
paru comme un prolongement naturel des "
Réflexions " de Burke, tout en évoquant
irrésistiblement l'Auguste Président, grand
amateur de cimetières, panthéons et nécropoles,
qui s'apprête à commémorer en grande pompe et
dans l'extase universelle le Bicentenaire de
l'incomparable Révolution Française.
(BC n° 73, septembre 1988).
*
Elizabeth
Craig raconte Céline (Entretien avec la
dédicataire de Voyage au bout de la nuit,
par Jean Monnier) Bibliothèque de Littérature
Française Contemporaine, 1988, 45, rue de l'Abbé
Grégoire, 75006 Paris).
Une
rumeur cafarde suintait de quelques officines
éditoriales et journaleuses. L'héroïque phalange
de cloportes, d'enflures et d'arrogantes
nullités qui règne sur le prêt-à-penser de la
chienlit culturelle assurait d'une seule voix
qu'il s'agissait d'un document minable et
fabriqué. Elizabeth Craig, n'ayant strictement
rien à dire, gâteuse au dernier degré, aurait
été passée à la moulinette pour exprimer, vaille
que vaille, l'ombre de souvenirs sans intérêt
aucun.
Mais tout lecteur de bonne foi qui ne se laisse pas impressionner par ces
glapissements de nains découvrira ici un
témoignage exceptionnel de sincérité, de
présence authentique, de précision dans le
souvenir, de dignité dans l'évocation et la
mémoire, un témoignage - et c'est probablement
cela qui agace et fait grincer pas mal de dents
- d'où l'image de Céline sort grandie,
magnifiée, et décisivement anoblie.
D'entrée de jeu, Jean Monnier fait pourtant ce
qu'il peut pour complaire à nos sourcilleux
cagots rabâcheurs de patenôtres et de vulgates
où la " bête immonde " n'en finit pas de
nous être envoyée à travers la gueule. Le
dialogue vaut d'être cité. Sur Céline, à Jean
Monnier qui lui parle de sa collaboration,
Elizabeth a cette réaction.
- " Collaboré avec qui ? Etait-elle contre la
France ? - Il était pro Nazi. - Eh bien !... Il
a toujours été pour les pauvres. Il était
médecin et il n'a jamais pris un sou à ses
malades ! " De toute évidence, le cri d'un cœur
toujours ardent et généreux, chez cette dame de
quatre-vingt-six ans qui n'a rien oublié d'une
passion exceptionnelle vécue il y a près de
soixante ans avec un homme qui, privé de sa
présence et de sa grâce, n'aurait peut-être pas
écrit le " Voyage " et réduit à
l'insignifiance d'immenses pans de la
littérature contemporaine (ce qu'on lui pardonne
encore moins que sa prétendue collaboration ou "
intelligence avec l'ennemi ").
A plusieurs reprises, et probablement conscient d'être guetté au tournant
par la cabale des cagots et les inquisiteurs du
nouveau Saint-Office, Monnier s'efforce de
remettre sur le tapis la " bête immonde ".
Chaque fois, Elizabeth Craig, avec des mots très
simples, des souvenirs très précis, écarte ses
niaiseries et complaintes de demeurés pour en
revenir à Céline douloureusement marqué par la
guerre, désespérément attentif à la misère et
aux souffrances des humbles.
Pour la première fois aussi nous avons une évocation précise et touchante
de sa mère, qu'au fond il vénérait. Les Juifs ?
S'il ne les a pas épargnés, il en voulait
davantage à la faiblesse, à l'incurie, à
l'aberration cocardière des Français toujours
prêts à se laisser mener à l'abattoir pour des
motifs qui ne le concernaient pas. En tout cas
il était incapable de bassesse, de délation.
- " Il était toujours en train de combattre pour
l'humanité, il était l'ennemi de l'autocratie et
se voulait le défenseur des petites gens, des
gens qui souffrent, les exclus qui n'ont pas le
droit à la parole... C'était un de ces guerriers
qui vont se battre tout seul contre le Dragon...
il était terriblement émotionnable... "
(BC n° 77, janvier 1989).
*
Micheline PEYREBONNE,
Articles sur l'immigration (1965-1981), Editions
Europe Notre Patrie, B.P. 512-02, 75006 Paris
Cedex 02, 1987, 150 p.
Depuis
1965, où elle lançait sa revue Europe Notre
Patrie, Micheline Peyrebonne n'a cessé
d'écrire des articles bourrés de faits précis,
de cas concrets, d'intelligence obstinée et
courageuse, sur l'invasion délibérément
incontrôlée que les intérêts les plus sordides
du patronat, des banques et des gouvernements
successifs et interchangeables de la droite
mollasse et de la gauche pourrie ne cessent de
nous imposer. Dans cette mascarade où les droits
de l'homme ne sont plus, sous peine de
poursuites judiciaires et de condamnations
infâmantes, que le devoir impératif du pauvre
Blanc à se faire enculer sans broncher, mais où
commence à percer tout de même, en dépit de tous
les rabâchages crétinisants des politiciens et
larbins médiatiques, un assez évident
ras-le-bol, il faut lire, relire et surtout
répandre ce recueil d'articles où le pur bon
sens de Micheline Peyrebonne, clair comme l'eau
de roche et devenu si rare en ces temps
d'imposture, est d'un effet aussi ravageur que
tonique.
Quand le sublime Auguste de l'Elysée, lippe tombante, regard au ciel sous
la paupière tremblante, profère benoîtement : "
Les étrangers sont ici chez eux ", de
manière à accélérer sans aucune limite
l'invasion de toutes les hordes possibles de
raclures, de parasites, et de déchets pestiférés
du Tiers Monde, il devrait commencer par élire
domicile dans un HLM de banlieue ou dans une des
rues poubelles de Marseille. Alors peut-être
aurait-il le droit de parler, mais il est
probable qu'il fermerait sa gueule ou parlerait
un autre langage, vrai, pour une fois.
(...)
Parenthèse. Au moment où j'écris ces lignes,
l'épouvante, plus que jamais à l'ordre du jour,
désigne à nouveau, toutes chaînes confondues,
tous larbins au créneau, l'infortunée " bête
immonde ", en l'occurrence Jean-Marie Le
Pen, coupable d'avoir utilisé le mot "
crématoire " pour désigner un certain
Durafour, maniaque zélé de l'ostracisme, de la
persécution et de la provocation totalitaire
anti-occidentale au nom des " potes ", de
droits de l'homme, et du sida réunis.
Dans une hâte frénétique, guignols habituels du vedettariat politicien,
ministres, technocons (je pique la trouvaille à
la merveilleuse Peyrebonne), jaillis de tous les
fromages nomenklaturés, ont conclu à la
nécessité d'une action en justice et d'une
exclusion de l'Assemblée européenne en attendant
la potence réservée aux crimes contre l'humanité
aussi odieux et caractéristiques que la
profération du mot " détail " ou du mot "
crématoire ". (Il importe à propos que la
société Gaz de France renonce de toute urgence à
la connotation gravement alarmante de son
label).
Il ne faisait aucun doute que le public invité à participer à l'hallali
par Minitel interposé, allait soutenir avec une
ardeur sans faille la voix de cette imposante "
majorité d'idées " en approuvant
incontinent les mesures prises, poursuites
judiciaires et tout le tremblement. Un embarras
monumental, peint sur la tronche des gilets
rayés de service, a précédé les résultats,
péniblement annoncés le lendemain. Les réponses
(taux record de participation, avait-on précisé)
désapprouvaient à 66 % la farce grotesque et
scandaleuse de l'action en justice annoncée à
son de trompe. Tout s'est alors terminé en
clapotis vaseux, en murmure à peine audible sur
" l'absence de signification de tels sondages
". N'empêche que le verdict populaire était
on ne peut plus clair. En langage de Cour (celle
d'Henri IV), il revenait à dire, sans la moindre
équivoque : Allez donc vous faire foutre !
(...)
Quelles que soient les contradictions bibliques
et les subtilités dialectiques du pilpoul,
l'opinion, il faut s'y résigner, messieurs
Fabius, Macias, Béachelle et compagnie, comprend
mal cette frénésie qui conduit à vouloir à la
fois l'expulsion des arabes d'Israël, et leur
installation en France de plus en plus massive
dans le plus parfait mépris des misérables
autochtones et de leurs protestations
risiblement réac.
Ne croyez surtout pas que je me sois éloigné de Peyrebonne. L'Europe,
notre patrie, est comme d'habitude au cœur
de l'enjeu. Il est encore temps, tout juste
temps, d'arrêter les dégâts et la subversion
définitive. Que les technocons dégoisent, nulle
importance si nous nous pénétrons bien de ce que
martèle inlassablement dans ses articles la
vaillante Micheline.
" L'antiracisme n'est que la forme tyrannique du racisme qui veut
imposer aux autres, par la force, une conception
contre nature. Toute immigration qui n'apporte
pas avec elle une possibilité d'assimilation par
le sang est une guerre civile en puissance. "
Sur un sujet qui concerne l'intégralité de la civilisation
occidentale, toute autre considération ne
saurait être que sottise infatuée et criminelle.
(BC n° 74, octobre 1988).
*
IN MEMORIAM
En 1948,
les revues étaient encore rares, le conformisme
intellectuel dominait, l'existentialisme était
accepté comme la marque d'une civilisation
insurpassable, et Sartre comme un génie
proprement surhumain.
Rétrospectivement, je me demande si cette époque imbécile n'était pas
plus ouverte, malgré tout, que le régime de
dictature sournoise et haineuse qui, sous
couleur de démocratie et de grands principes,
interdit actuellement toute véritable liberté de
pensée. C'est ainsi que, en dehors des pesants
sermons de Sartre, et de l'assommante prose de
sa Beauvoir, Les Temps Modernes à leurs
débuts publiaient parfois des textes, des
témoignages de jeunes qui, échappant aux
catégoriques certitudes, touchaient par leur
sincérité. Au sommaire de la revue parue en mai
1948, mon œil fut
attiré par l'article d'un certain Pierre Gripari
intitulé : " Nés en 25 ". C'était là ma
génération, celle-là même qui avait eu le triste
privilège d'avoir quinze ans en 40 et vingt ans
en 1945. Je courus à l'article et le dévorai.
" Ce n'est pas en pleurant, écrivait Gripari, qu'on augmente la
part de bonheur du voisin. Au contraire, être
heureux est une bonne œuvre,
car la joie est au moins aussi contagieuse que
la tristesse... Je ne crois pas qu'il existe de
but plus sérieux dans la vie que mon propre
perfectionnement. Travailler à mériter ma propre
confiance en moi-même. Car si je n'ai pas
confiance en mon propre honneur, en qui, en
quoi, pourrai-je l'avoir ? Etre celui qui ne se
fie trop à personne et sur lequel les autres
puissent se fier. Etre une île, une terre ferme.
Augmenter, de si peu que ce soit, la somme de
bonheur du monde... "
Je retrouve aujourd'hui ces lignes, que je notais alors comme un
viatique, avec, maintenant que Gripari n'est
plus, ce vain regret de ne l'avoir jamais
rencontré chez notre ami et éditeur Roland
Laudenbach, mort lui aussi après une vie de
combat contre le conformisme idéologique et la
haine de toute pensée libre.
Comment ne pas se rappeler, en ces jours calamiteusement victorieux de
l'Amérique et de ses tristes vassaux occidentaux
sur la malheureuse nation arabe, la courageuse
insolence de Gripari qui osa écrire, voilà
quinze ans :
" Il
y a, dans Bagatelles pour un massacre,
une vision quasi prophétique de tout ce que nous
voyons se réaliser aujourd'hui : règne des "
idoles " (le mot y est !), de la
camelote ; de l'avachissement généralisé ;
dévalorisation de la chose peinte, de la chose
chantée, de la chose écrite. Le titre signifie
que la Seconde guerre mondiale, qui se préparait
alors, serait avant tout une guerre coloniale
juive, ce qu'elle fut en effet. Voilà ce qui
rend ce livre dangereux, il est vrai.
(1)
On
peut supposer que la sinistre répétition que
nous sommes condamnés à vivre, drapée des mêmes
arguments hypocrites, a plus que lassé Pierre
Gripari. Il a préféré s'éclipser et rejoindre,
sans plus, l'univers enchanté de ses contes
d'enfant, où il excellait, et dont le charme
survivra, quoiqu'il advienne.
(1)
Frère Gaucher ou le voyage en
Chine, L'Age d'Homme, 1975, Réédité par Presse
Pockett, 1984.
*
Michel
Lécureur, Marcel Aymé, Lyon, La Manufacture,
1988, 245 p.
Dès
son avant-propos, Michel Lécureur exprime avec
une sympathique modestie son inquiétude, " le
sentiment désagréable que certains aspects de la
vie de l'auteur lui échappent et qu'il s'est
peut-être fourvoyé ". Il est vrai que la vie
de Marcel Aymé, dans son effacement, son
caractère familial un peu terne, routinier,
exempt de bouleversements spectaculaires, la
rareté de ses apparitions et de ses confidences,
n'offre pas au biographe une matière
particulièrement romanesque.
Très honnêtement, Michel Lécureur n'essaie à aucun moment de suppléer à
la relative platitude de cette existence par de
vains effets de rhétorique et ce que l'on
appelle, en langage de prétoire, des effets de
manchettes. Son mérite n'en est que plus grand
d'être parvenu, par petites touches, à nous
restituer un Marcel Aymé aussi vivant, proche et
fraternel que possible.
" On peut
estimer, écrit-il, que Marcel Aymé a créé
des héros particulièrement toniques parce que
lui-même ne l'était guère... Ainsi s'expliquent
en partie, sans doute, sa longue amitié avec Gen
Paul et Louis-Ferdinand Céline, ainsi que ses
fréquentations de la Butte. Leur truculence,
leurs excès même satisfaisaient chez lui une
aspiration à la vie que sa propre physiologie ne
lui apportait pas. "
Ses premiers romans attirent l'attention de Gaston Gallimard qui
publie La table aux crevés, prix Renaudot
1929. Désormais, le succès s'installe, et avec
lui une
sécurité croissante, soutenue par une production
régulière et constante. En même temps naissent
les premiers malentendus. Ces années 30,
considérées plus tard comme celles de la "
montée des périls ", sont marquées en France
par toutes sortes d'engagements idéologiques où
le conformisme intellectuel penche de plus en
plus nettement à gauche. C'est l'époque où il
commence à être très mal vu de ne pas prêcher à
tout bout de champ les droits de l'homme, le
combat à
outrance pour les démocraties, et autres
redondantes niaiseries de révolutionnaires et de
guerriers en chambre.
Avec une
ironie meurtrière, Marcel Aymé fera le parfait
tableau de cette société imbécile et de ses
grotesques maîtres à penser dans Travelingue
et dans Le confort intellectuel. Mais,
dès 1935, il s'est distingué par une fausse note
retentissante dans le grand concert de pétitions
et de déclamations incendiaires contre
l'agression de l'Italie " fachiste " contre
l'innocente Ethiopie esclavagiste. Au comble de
la sottise et de l'abrutissement, des plumes
serviles condamnaient le colonialisme italien
tout en glorifiant la haute mission
civilisatrice des démocraties de Dakar à
Djibouti, du Cap au Caire, ou d'Alger
à Brazzaville.
Ne pouvant digérer ces énormités, Marcel Aymé n'hésite pas à écrire : "
Il faut être fou de l'espèce furieuse pour
vouloir s'embringuer, quels que soient les torts
de l'Italie, dans une guerre de principes. Je
suis stupéfait de l'empressement des
intellectuels de gauche à donner leur accord aux
lords de l'Amirauté nous
signifiant par la voie hiérarchique dont ils
disposent d'avoir à mettre sac au dos. "
Même son de cloche dans une lettre à son frère
Georges, auquel il écrit sans la moindre
illusion : " On aura vu à l'œil nu comment
peuvent nous conduire à la guerre des
philosophailleries servant de paravent à des
intérêts de grosse galette.
Prochainement, quand les droites et les gauches
(il n'est pas impossible qu'il y ait unanimité)
déclencheront la guerre contre l'Allemagne à
propos de quelque Ethiopie de la Baltique ou de
l'Europe centrale, j'entends bien protester de
toutes mes faibles forces. "
La
guerre venue, et la défaite, que faire, sinon
survivre, et pour survivre, quand on ne sait
rien faire d'autre, écrire et publier. C'est ce
que fait Marcel Aymé, sans se préoccuper de voir
paraître ses nouvelles dans un journal aussi
marqué que Je suis partout dès l'instant
que sa liberté de ton reste entière et que,
uniquement concerné par sa création et ses
personnages, il demeure étranger en apparence à
toute espèce de vicissitude politique. Mais il
est trop bon observateur, il a trop bien vu la
veulerie sournoise, la couardise geignarde et
malveillante, l'opportunisme sordide du grand
nombre de ses compatriotes sous l'occupation
pour ne pas être révolté par le spectacle de
l'épuration. Hostile depuis toujours à la peine
de mort, il admet d'autant moins que des
écrivains qu'il estime en soient frappés qu'au
même moment toutes sortes de trafiquants
cyniques, enrichis par l'occupation, ne sont
même pas inquiétés et continuent tranquillement
leurs profits.
l'insuccès pour sauver Brasillach le marque alors profondément. Sur de
Gaulle, son opinion est alors faite une fois
pour toutes. " On chercherait en vain dans sa
vie publique, la moindre manifestation de
générosité, de bonté, le plus petit élan de
bonté et de
charité. l'homme est sec. "
"
Sensible à ce qui est vrai ". Voilà bien le
maître mot, celui qui définit aussi le mieux
l'auteur de La jument verte, du Chemin
des écoliers, de Clérambard, et de
tant de chefs-d'œuvre où le merveilleux, par
les voies les plus imprévues et les plus
cocasses, le dispute au réalisme le plus
minutieusement saugrenu. Plus encore qu'un très
grand écrivain, Marcel Aymé est poète de son
temps et rejoint les sources les plus fécondes
de notre littérature.
Michel Lécureur souligne encore avec raison qu'il fut un ami sans faille,
et d'une générosité qui le situe bien au delà
des considérations partisanes et sectaires qui
restent l'horrible plaie de notre époque. Cela,
en dépit de ses convictions communistes, un
honnête homme comme le cinéaste Louis Daquin,
parmi bien d'autres, l'avait parfaitement
compris. On connaît la fidélité de Marcel Aymé à
ses camarades de la Butte et à Céline en
particulier. Fidélité d'autant plus remarquable
qu'il arriva à Céline, accablé de ressentiments
et d'amertume, de se montrer parfois injuste
envers lui. En dépit de quoi Marcel Aymé ne
cessa jamais de le soutenir.
Lécureur
fait une part importante, à très juste titre
également, à l'œuvre théâtrale de l'auteur de
Lucienne et le boucher, œuvre abondante qui
accrut sa renommée et assura définitivement son
aisance financière et sa liberté créatrice. On
peut regretter tout de même le caractère un peu
rapide et sommaire de ses aperçus, son manque de
discernement par exemple à propos de Vogue la
galère, violente satire, pour qui sait voir
et entendre, de la démocratie, parue chez
Grasset en 1944, et jouée sans aucun succès et
dans l'incompréhension la plus totale, en 1951.
Le triomphe de La tête des autres, plus directement tiré de
l'actualité, permit heureusement à Marcel Aymé
de surmonter sa déconvenue et de persévérer. Et
Lécureur montre très bien, dans sa conclusion,
que le profond pessimisme de Marcel Aymé, si
naturel aux plus grands auteurs dits " comiques
", n'était nullement fermé à l'espoir. La
meilleure preuve en est cette exhortation à la
jeunesse, dans le journal Arts que
dirigeait alors Roger Nimier, et dont il extrait
cet appel poignant et plus que jamais actuel.
" Ameutez vos amis, ne passez pas devant une fenêtre sans appeler au
secours, sans crier qu'on assassine la France.
Entre votre génération et les précédentes
décidez-vous à creuser le fossé... Refusez
carrément le mythe de la gauche et de la droite,
qui abuse tant de pauvres gens et sert aux
roublards à noyer le poisson. Habituez-vous, en
matière politique, à nommer précisément ce à
quoi vous tenez. Dites par exemple : " Je suis
pour l'école laïque, la neutralité et la bombe
atomique. " Et ajoutez rituellement : " Merde
pour la droite, merde pour la gauche. "
Jacques d'Arribehaude.
(BC n° 84, août 1989).
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