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                                                         ETONNEMENTS

 

 

 

 

         CELINE et L'IMMOBILIER...

 Le Courrier des Yvelines, hebdomadaire du Nord-est des Yvelines, consacre, dans ses pages été du mois d'août 2011, une série de cinq articles à Louis-Ferdinand Céline. Voici l'avant dernier volet paru dans le numéro du 24 août.
 

 Louis-Ferdinand Céline et Saint-Germain-en-Laye. C’est l’écriture, pour partie de Mort à crédit, c’est aussi le début de la guerre. Il s’installe comme médecin rue de Bellevue, mais l’expérience tourne court... 3 mois !
 On domine tout Paris de la terrasse du château de Saint-Germain-en-Laye. En particulier le quartier de la Défense, et Courbevoie, où naquit Céline le 27 mai 1894, dans le quartier de la rampe du pont, remplacé par les tours et le périphérique aujourd’hui. C'est là aussi que naquit Arletty, l'amie de Céline restée fidèle après guerre (1). Mais considérons que c'est la banlieue de Paris toute entière, d'Andrésy à Neuilly, et de Montmartre à Croissy qui inspira Céline. Dans Mort à crédit, le roman qui correspond d'un point de vue littéraire à l'enfance de Céline, l'auteur écrit à propos de sa mère, Marguerite, marchande de dentelles : « On lui avait dit à ma mère, qu'elle pourrait de suite essayer sa chance au marché du Pecq, et même à celui de Saint-Germain, que c'était le moment où jamais à cause de la vogue récente, que les gens riches s'installaient partout dans les villas du coteau... qu'ils aimeraient ses dentelles pour leurs rideaux dans les chambres, les dessus de lit, les jolis brise-bise... C'était l'époque opportune. » (2)

  Un appartement rue Claude Debussy


 Fin 1932, Céline est devenu célèbre grâce au Voyage au bout de la nuit. Ce succès lui apporte la gloire médiatique, et beaucoup d'argent car le Voyage s'est vendu à plus de 100 000 exemplaires et a déjà été traduit en plusieurs langues. Mais la critique attend au tournant le deuxième roman... Céline débute Mort à crédit fin 1933 - début 1934, et travaille à l'écriture du manuscrit jusqu'à sa remise aux éditions Denoël, début 1936. L'afflux d'argent ne change pas fondamentalement le mode de vie de l'écrivain. Fils de commerçants, il a grandi avec la nécessité de « faire tourner la boutique ». Il continue donc à travailler à son dispensaire. Une partie de l'argent qu'il a gagné avec ses droits d'auteurs est réinvestie dans l'immobilier. Céline achète un appartement à Saint-Germain-en-Laye où il vient profiter du calme pour écrire.
 Le 7 décembre 1933, il achète au peintre Charles Brooke Farran un trois pièces et salle de bains, au 5ème étage du 1, rue Claude Debussy, « tout moderne », et dominant la forêt. Un bon placement.
 
   Pourquoi Saint-Germain-en-Laye ? Probablement parce que la ville est bien desservie par le chemin de fer, pas trop loin de Paris. Il écrit dans ses correspondances aimer « l'air de Saint-Germain ». Le calme des lieux est propice à l'écriture. De septembre 1935 à février 1936, Céline prend une chambre à l'hôtel du Pavillon Royal, mais il a gardé l'appartement de la rue Lepic à Paris. Il compte le quitter en avril de l'année suivante. « Me voici ici, fixé à Saint-Germain. Je quitte la rue Lepic. Je n'y tiens plus. C'est le cœur aussi sans doute qui flanche. C'est l'âge. Je vais chaque jour à Paris pousser ma roue... Mais tout aura une fin j'espère... Quelle horreur cette infâme sujétion des boulots. Je le traîne depuis 31 ans ! », écrit-il à Eugène Dabit (3).
 La correspondance avec son ami, le peintre Henri Mahé, qui vivait sur une péniche à Croissy-Bougival (4), atteste aussi de cette intense activité littéraire : « (...) Je ne débloque pas du bouquin, je suis en maison pour ainsi dire. Je ne sors plus. St Germain me donne plus de ton. Je suis machine, je tourne mieux. Quelle vie ! Vu ici Gencive et Jojo, deux bons petits gars. Bien inspirants. Ce sera pour le prochain blot. L'actuel sera terminé vers mars, point avant. C'est court. C'est long. Il faut tirer juste et profond. (...) » A Saint-Germain, il termine donc Mort à crédit tout en mijotant Guignol's Band... La semaine, il écrit à Paris, le week-end à Saint-Germain-en-Laye, et à Saint-Malo pendant les vacances. Après la sortie de son deuxième roman en 1936, Céline revient épisodiquement à Saint-Germain-en-Laye.

     Médecin libéral sans la vocation

 En 1939, le docteur Destouches ouvre un cabinet médical au 15 rue de Bellevue, une expérience qui tourne court. Avec la danseuse Lucette Almansor rencontrée en 1936, il s'installe dans une petite maison en location. Il fréquente Madame Marzouk, qui tenait une librairie. Lucette Almansor, qu'il épousera en 1943, distribue des cartes de visite aux pharmaciens et en dépose dans les boîtes à lettres. Mais Céline ne parvient pas à se constituer une patientelle. Le médecin est pressé car son roman est très mal accueilli par la critique, et les ventes sont mauvaises. Voilà comment l'intéressé décrit son arrivée à Saint-Germain à sa secrétaire Marie Canavaggia, dans une lettre qu'il lui adresse douze jours après la déclaration de guerre à l'Allemagne : « Cette horreur est tombée sur nous avec une telle débauche de calamités violentes, imprévisibles, que j'ai été un peu déconcerté pendant quelques jours. Car enfin à présent je n'ai plus aucune ressource ni littéraire ni autre. Et dans mon cas - ... J'ai trois personnes à ma charge. J'essaye de monter une clientèle ici mais les débuts, même en guerre, sont tout à fait difficiles. La maison n'est pas prête. Rien n'est prêt. Enfin c'est un chapitre de plus à cette niaise apocalypse. » (5)
  Au mois de novembre 1939, Céline poursuit la narration de ses déboires, mais l'expérience saint-germanoise a déjà pris fin. Cela nous est raconté dans une lettre à son ami Gen Paul, peintre très en vue, tout comme Mahé : « J'ai déjà au moins tenté vingt trucs depuis septembre. J'en ai eu des marrants et des sinistres. C'est le sauve-qui-peut. Paris a l'air de rebourner un peu. Ils ont moins la chiasse - et du permissionnaire dans l'air. Tout doucement le mercanti reprend du poil, alors ça va sans doute aller mieux. Quand le fumier déborde on recommence à croquer un peu. Ma mère est cloche, de même Pipe, et la fille. Enfin la marrance totale. Mais le moral est bon. » (6)

  « On se serait cru au théâtre »


 Céline n'a jamais voulu prendre le temps de faire sa place de médecin libéral à Saint-Germain-en-Laye. Le docteur Destouches demeure le docteur des pauvres, l'exercice de la médecine au dispensaire de Clichy l'a marqué, et la misère humaine reste une source d'inspiration essentielle pour l'écrivain. D’ailleurs à Saint-Germain, a-t-il jamais été à sa place ? Céline s'épanouit auprès du peuple, « le bourgeois » ce n'est pas son truc. Et ce dernier lui rend bien ! Voyons ce que rapporte Lucette Destouches de cet épisode tragicomique quelques décennies plus tard : « On se serait cru au théâtre », écrit-elle. « Ça ne faisait pas sérieux ; je me souviens d'un noyer magnifique dans le jardinet. (...) On ne vit jamais un client. Louis aimait Saint-Germain et ses terrasses. (...) Il aurait voulu que j'y donne des leçons au conservatoire local. Pourquoi pas ? Mais d'abord, il aurait fallu prendre pied dans la ville. Louis était très impatient. Il aurait attendu un an, peut-être un cabinet aurait-il donné quelque chose mais après un mois d'attente vaine il a voulu partir. » (7)

 Après cet échec, Céline part à Marseille pour s’enrôler dans la marine toujours comme médecin « trimballeur de seringues ». Il ne reverra pas Saint-Germain-en-Laye. En 1951, à son retour d'exil forcé du Danemark, qui lui permet d'échapper à l'épuration (8), il demande à son avocat Me Tixier-Vignancour de s'occuper de sa maison de Dieppe, de celle de Saint-Leu, et évoque l'appartement de la rue Debussy. Il le donnera finalement la même année à Jules Almansor, le père de Lucette, pour le remercier des services rendus pendant leur exil danois. A son retour du Danemark, il pense un temps y revenir, pour y finir ses jours. Son projet est de racheter une sorte de villa avec jardin pour s'y installer avec Lucette, et leur « ménagerie ». Il choisira Meudon.
 Frédéric ANTOINE, avec les conseils de David Alliot
 (Saint-Germain, le calme avant la tempête, Le Petit Célinien, vendredi 26 août 2011).

 

 

 

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 (Le Petit Célinien, samedi 15 septembre 2012).

 

 


 

 

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 (Le Petit Célinien, dimanche 6 février 2011).
 

 

 

 

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          AU RENDEZ-VOUS DES MARINIERS.

 Toujours selon les notes de sa mère et les archives de sa famille, Dominique Fernandez nous apprend, dans Ramon, que Céline avait été, à ce moment-là, intéressé par l'appartement du quai de Bourbon que ses parents voulaient quitter, pour échapper sans doute à l' " écrasante proximité " de Mme Fernandez mère.
 A Ramon, Céline écrit ainsi : " Avec beaucoup de discrétion puis-je me permettre de vous faire souvenir que je suis candidat à votre appartement quand vous aurez décidé votre départ ? "
 Il revient à la charge quelques jours plus tard : " Encore moi ! A propos de votre appartement. Si vous vous décidiez au départ, le saurez-vous pour le 15 avril ? Date à laquelle je dois moi aussi donner congé. D'autre part pour la reprise j'irai (tout mon possible, hélas !) jusqu'à 3 000 frs. "
 Pour une raison ou pour une autre, les choses ne se firent pas. Les Fernandez ne déménagèrent que le 18 mai 1933. Céline resta rue Lepic, perché tout en haut de
Montmartre, dominant la capitale, avant de s'installer rue Girardon, à quelques pas de là, jusqu'à sa fuite en catastrophe, loin de Paris, vers le Danemark qu'il espérait atteindre, au début de l'été 1944.

 Je le déplore. Il me semble que l'île Saint-Louis, que la vue dont il aurait bénéficié, depuis le quai de Bourbon, sur les peupliers, la Seine, les trains de péniches, l'animation populaire des berges de l'Hôtel-de-Ville et des Célestins, sans oublier les bateaux-lavoirs en contrebas du pont Marie, se seraient accordées à l'homme Céline, à l'écrivain, au Breton qu'il était, obsédé par l'eau, la poétique ou les rêveries des départs, des grands voyages.
 Relisons pour s'en convaincre les dernières lignes du Voyage !
 
" De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l'écluse, un autre pont, loin, plus loin... Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout, qu'on n'en parle plus. "

 Mieux, la décrépitude de l'île, si farouchement à l'écart de toute actualité, aurait justifié son regard sur le monde ou sur son pays. Le Rendez-vous des Mariniers serait devenu peut-être sa cantine, pour lui si peu gastronome au demeurant, si ascète. Et Lucette Almanzor, qui partagea sa vie à partir de 1936 et devint par la suite son épouse, n'en aurait pas été fâchée.
 Elle aimait l'île Saint-Louis. Innombrables sont les promenades que nous avons faites, quand elle venait nous retrouver quai d'Anjou, Nicole et moi, pour le dîner ou pour le thé, et qu'elle était encore assez vaillante pour marcher. Ne nous a-t-elle pas confié un jour, avec le sourire - un sourire empreint tout de même d'émotion -, que c'est dans l'île Saint-Louis qu'elle avait été conçue, avant que ses parents n'entreprissent de déménager, en 1912, pour le quartier de la place Maubert ?

 Comme elle aurait été heureuse de vivre là, auprès de l'homme qu'elle avait aimé et qu'elle accompagnerait à travers ses fuites, ses exils et ses épreuves, des années durant, elle la danseuse, la femme de la grâce et du silence, comme pour tenter de donner un peu de légèreté à leur vie - cet antidote aux obsessions, aux violences, aux vertiges et aux hallucinations qui malmenaient Céline, qui l'écrasaient et nourrissaient son œuvre !
  Aurait-elle été un peu plus douce, cette vie, face aux peupliers qui bordent la Seine, à proximité du Rendez-vous des Mariniers ? L'île aurait-elle préservé Céline de ses délires impitoyables, de ses pamphlets, de ses peurs, de ses divagations racistes ? Je ne le crois pas. On transporte toujours ses cauchemars avec soi. Il n'est pas interdit tout de même d'y songer.
 (Frédéric Vitoux, Au Rendez-vous des Mariniers, Fayard, 2016, p. 239).

 

 

 

 

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               EPOQUE ET LANGAGE.

 Dans une interview accordée au Nouvel-Europe Magazine (déc. 1981, pp. 48-80), François Gibault donne également son point de vue sur la réédition des pamphlets : " Il est certain que les pamphlets sont des œuvres intéressantes pour les chercheurs et les gens qui s'intéressent à Céline et que, sur le plan littéraire, ce sont des textes importants. D'un autre côté, ce sont tout de même des œuvres de circonstance qui doivent être replacées dans leur temps, c'est-à-dire avant la guerre, à une époque où beaucoup de gens, dont Céline, sentaient poindre un nouveau conflit mondial et où un vent d'antisémitisme soufflait sur toute l'Europe.
  Les évènements tragiques de la guerre ont donné à ces pamphlets un aspect dramatique qu'ils n'avaient pas avant la guerre. Le risque, c'est donc que le lecteur moyen ne comprenne absolument pas ce qu'a voulu écrire Céline et déforme complètement l'esprit dans lequel il a écrit ses pamphlets.
 
  Une réédition aurait alors un succès de scandale et relancerait une mauvaise querelle à une époque où, malheureusement, les passions ne sont guère éteintes dans notre pays. Sur le plan politique, je crois donc qu'une nouvelle publication des pamphlets serait tout à fait inopportune. Les chercheurs qui veulent travailler sur ces textes peuvent toujours les consulter en bibliothèque ".
 (BC n° 1, Premier trimestre 1982, p. 4).

 

 

 

 

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               LE VETO, LES ANIMAUX ET LA MAISON QUI BRULE...

 - Pommery, le vétérinaire. Lui c'était un merveilleux garçon, d'une douceur parfaite, il a soigné tous mes animaux. Il venait le dimanche matin. Il était très fin. Il avait appelé son fils Tristan à cause de Wagner et il l'avait élevé avec un tigre à cause de Kipling. Vous voyez le genre ? Il était très littéraire. C'est lui qui a fait L'Herne. Dominique de Roux était trop brouillon. Pommery écrivait des pièces de théâtre très amusantes, il en avait donné à lire à Céline. Naturellement, Louis n'en a même pas lu le titre d'une seule, mais moi si : j'aimais beaucoup malgré quelques défauts de construction, j'ai eu le malheur de le dire à Louis. Quand Pommery lui a demandé s'il avait lu ses pièces, Louis lui a répété mon avis comme si c'était le sien. Découragé, Pommery a arrêté d'écrire du jour au lendemain, c'est idiot non ?

 - C'est un machin d'orgueil...
 - Pommery était si gentil ! Vous savez que j'étais chez lui le jour de l'incendie ? En 68, avec mon chat blessé, c'était un jeudi, juste le jour où je ne donnais pas de cours. La maison était vide. C'était criminel, j'en suis sûre... Rigodon allait paraître. On parlait d'un livre de Céline inédit. On croyait peut-être que c'était un nouveau pamphlet. Les voisins d'à côté avaient reçu des menaces plusieurs fois à ma place, par erreur téléphonique. Je suis revenue de chez le vétérinaire avec Billy dans les bras comme une momie dans ses bandelettes. Tout un tas de policiers en bas de la route. " On ne passe pas ! Une maison brûle. " Je dis en riant : " C'est peut-être la mienne ! " En effet ! Elle finissait de flamber. Les pompiers l'aspergeaient. Ils ont même noyé Tomy mon chien-loup qui était resté dans la cave sans vouloir sortir.
 Les autres, Delphine et Cricri étaient dans le jardin en cendre. Ils jouaient avec des bribes de manuscrits carbonisés qui s'envolaient dans l'air...

  Des morceaux de phrases de Louis flottaient au-dessus de la carcasse de la maison. On aurait dit une épave de bateau. La pelouse grillée était couverte de couteaux tordus. Je n'aurais jamais cru avoir entassé autant de couteaux ! A part ça, il ne restait rien, plus rien du tout, juste les murs... Et quelques grands miroirs debout dans les ruines, n'ayant plus rien à refléter...
  Quand il vous arrive quelque chose de grave, vous voyez ça de très très loin, comme si ça ne vous arrivait pas à vous, ça vous rend léger et vide. Les voisins m'ont recueillie très gentiment. François m'avait appelée comme tous les jours à minuit. Une fois, deux fois, trois fois, ça ne répondait pas. Alors, inquiet, il est venu. Il a vu le spectacle. Il a vu les chiens qui erraient dans les décombres. Il s'est dit que folle de tristesse, j'étais certainement allée me noyer dans la Seine, et il a fait cette chose très gentille, c'est de ramener les chiens chez lui... Je l'ai rejoint rue Monsieur, et j'y suis restée jusqu'à ce que Puck vienne me chercher : " Vous ne pouvez pas habiter chez un homme ! ", alors je suis allée chez elle à Saint-Cloud. Pendant plusieurs mois, j'ai eu une vraie vie de bohémienne ! Je me déplaçais tout le temps. En plus, j'entraînais chez les uns chez les autres toutes mes danseuses... Comme un essaim d'abeilles que je transportais d'une ruche à l'autre.

  Et puis j'en ai eu marre, je suis revenue à Meudon. Je me suis installée dans le garage avec le lit, seul lit rescapé (celui de Louis enfant) et mes oiseaux. Ça faisait un oiseau de plus dans la volière. C'est là que cet horrible Michel Polac est venu me poser des questions, et interpréter mes silences...

 Peu à peu, on a reconstruit la maison, mais comme il restait quand même les murs, les assurances n'ont pas voulu la considérer comme maison sinistrée : comme une idiote, j'ai dit à l'assureur : " Moi j'adore le feu ! " Le lendemain, il me remboursait une misère... Il a dû se dire : " Elle est folle, celle-là, elle admire son propre désastre ! " J'avais l'air complice du feu ! Le feu me poursuit. Le feu m'aime. Il faut dire que tous les meubles, toutes les affaires, je m'en foutais complètement de les avoir perdus. Au contraire, ça m'a même libérée. Du moment que Louis était mort, il fallait que la maison ne soit plus la même... Le feu m'a aidée à la transformer. Elle avait besoin de renaître, et moi aussi...
 Quand j'avais vraiment trop le cafard, je prenais ma voiture, je foutais mes chiens dedans, un ou deux oiseaux parfois, et hop ! En pleine nuit, je roulais comme une folle, dans un tourbillon de plumes et de poils, par la rive gauche, toute la boucle jusqu'à la place Maubert. J'étais poussée à aller là la nuit. C'était mon petit coeur qu'on allait entendre battre là-bas avec mes bêtes. Et puis je revenais à l'aube...
 (Nabe, Lucette, Gallimard, Folio, juillet 2012, p. 82).
 



 

 

 

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                  LA BANQUE AU SERVICE DE Mr DESTOUCHES (PERE).

 " J'ai fait la connaissance de Mr Destouches en 1904 : j'étais alors employé au service des titres d'une agence importante d'une grande banque du quartier de la Bourse où Mr Destouches avait un compte de dépôt de titres. Il venait de temps en temps, tantôt seul tantôt avec son garçonnet et ayant eu l'occasion de lui faire faire quelques opérations heureuses, j'avais réussi à obtenir sa confiance au point qu'avant de partir en vacances pour un mois, il me remettait deux ordres de Bourse signés " en blanc ", afin de lui faire effectuer une ou deux opérations pendant son absence si je jugeais que c'était intéressant pour lui.

 En juillet 1906, avant de partir en vacances, il me laissa donc deux ordres en " blanc " que je conservai dans mon tiroir de bureau. La Banque participait à cette époque à une émission d'oblig. Pensylvania Railroad Co à 3 3/4 % si j'ai bonne mémoire, je ne fis pas souscrire Mr Destouches à cet emprunt, il aurait fallu que je lui fasse vendre des titres plus intéressants et je laissai passer l'opération sans y participer.
 Quelques jours après, ayant ouvert mon tiroir devant mon chef de bueau Mr L..., celui-ci vit les ordres en blanc signés " Destouches " et montra quelque étonnement que je n'aie pas fait souscrire Mr Destouches à une opération avantageuse pour la Banque et pour moi-même (l'employé participait au placement des titres, bénéficiant d'une partie de la commission de l'agence).

 Je lui répondis en lui montrant la liste du portefeuille Destouches, qu'il n'avait aucun intérêt à souscrire à cet emprunt. Mr L... se fâcha me disant que je devais avant tout m'occuper des intérêts de la Banque qui me faisait vivre, que mes scrupules étaient inadmissibles, qu'il restait encore quelques titres de l'emprunt à placer et qu'il serait dans l'obligation d'en référer au Directeur si je persistais à refuser la souscription Destouches.
 Le lendemain j'étais devant le Directeur de la succursale qui commença par me couvrir de fleurs, que c'était exceptionnel d'accéder au service des titres d'une importante agence de la Banque avant le service militaire, qu'il avait pensé à mon avenir, qu'il voulait faire de moi un second Mr L... et qu'en ne faisant pas souscrire Mr Destouches, je récompensais bien mal la confiance etc. etc.

  Je renouvelai tout ce que j'avais dit à mon chef de service et il me répondit comme Mr L... en ajoutant que devant mon entêtement, au lieu de favoriser mon avancement, il me " casserait les reins ". Je lui répondis que partant au Régiment en octobre, il n'aurait pas à me casser les reins, qu'au retour du service militaire je ne rentrerais pas à la Banque, écœuré que j'étais des méthodes employées qui allaient jusqu'à fournir à certains clients (notamment ceux qu'il avait amenés d'une autre succursale) des états de titres truqués pour que ces clients ne s'aperçoivent pas que leur capital avait diminué par suite de certains placements, nous dirons aventurés !!!

  Quand Mr Destouches rentra de vacances, je lui racontai toute cette histoire et il me dit qu'à mon retour du service militaire, je n'aurai qu'à venir le voir, qu'il me ferait rentrer dans les assurances, au Phénix dont il était un des cadres et que là je n'aurai pas de cas de conscience à me poser, que l'honnêteté était la règle dans sa Compagnie et que j'y ferai certainement mon chemin. C'est ainsi qu'en 1909 après mon service militaire Destouches me fit entrer au Phénix point de départ de ma carrière dans les assurances.

  Mr Destouches que j'ai connu jusqu'à sa mort était un homme d'honneur, d'une honnêteté parfaite. Il habitait à cette époque 64 Passage Choiseul où Mme Destouches tenait un magasin de dentelles et autres lingeries de luxe.
  Il m'est impossible d'avoir des souvenirs sur leur fils que je n'ai connu que jeune garçon lorsqu'il accompagnait son père à la Banque, puis vint la coupure de la grande guerre et mes relations avec Mr Destouches s'espacèrent puis s'éteignirent quand il quitta le Phénix. "
 (Témoignage daté du 23 septembre 1962, Manuscrit autographe de 4 pages signé " I. Mouloury ", archives Frédéric Monnier, Année Céline 2017, p.119).

 

 

 

 

 

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             Arthur PAULY, 16 ANS : IL POSTULE à L'ACADEMIE FRANÇAISE.

  Plus original, François Gibault invitera à Meudon Arthur PAULY, un jeune homme de seize ans (en 2013), alors élève en seconde, qui avait eu le culot monstre de se présenter à l'Académie française, à l'élection du deuxième fauteuil, celui d'Hector Bianciotti. Aussi improbable que cela puisse paraître, la candidature du jeune impétrant avait été retenue par Mme Hélène Carrère d'Encausse, le secrétaire perpétuel de l'Académie, et il réussira même l'exploit d'être reçu par quelques " immortels " qui seront épatés par les connaissances littéraires et historiques du jeune homme.

  Le 12 décembre 2013, le jour de l'élection, les immortels doivent départager Catherine Clément, Yves-Denis Laporte, Dany Laferrière, Jean-Claude Perrier, Georges Tayar et Arthur PAULY, qui obtient une voix, celle de Jean-Marie Rouart, apparemment séduit par l'adolescent, au grand dam de certains académiciens, qui s'étaient offusqués de ce gâchis. Finalement, c'est l'écrivain haïtien Dany Laferrière qui sera élu au deuxième fauteuil à une écrasante majorité ; les académiciens ayant probablement jugé que seize ans, c'est un peu jeune pour l'immortalité... Cet échec ne démontera pas le jeune homme, lycéen à... Meudon.

 Passant régulièrement devant le portail du 25 ter, et ne masquant pas son admiration pour l'auteur de Voyage au bout de la nuit, Arthur PAULY écrivit une lettre à François Gibault lui demandant de pouvoir rendre visite à Lucette. Amusé par la démarche du jeune homme, le célèbre avocat souhaite au préalable le rencontrer : " je ne peux évidemment pas vous présenter Mme Destouches sans vous connaître au moins un peu. "
 Le 31 mai 2014, la rencontre " autour d'un Coca-Cola " se déroula dans de bonnes conditions, et le dimanche qui suivit, Arthur PAULY reçut le coup de fil tant espéré : " Arthur, c'est François Gibault ; prends tes affaires : je monte, je t'emmène ! " La persévérance finit toujours par payer...

 Le jeune Rastignac relatera cette mémorable rencontre : " Nous entendons d'abord les sifflements du perroquet Toto, deuxième du nom, qui s'agite dans sa cage contre la fenêtre. A côté, il y a une spatule en bois clair, usée, rongée, pleine d'échardes, pour calmer l'animal lorsqu'il chante trop fort. Au bout de la spatule, une main, puis un bras et, au bout de ce bras, Mme Destouches. J'ai cru voir un enfant. Une petite fille dans une chaise longue, oui. Des cheveux très fins, brillants, et les yeux qui pétillent là-dessous. On se serre la main. Les doigts se tordent, comme broyés par l'âge. L'épaule gauche échappe au gilet rose qui l'enveloppe. " Intimidé, le jeune Arthur restera silencieux, " en observation " face à la vieille dame et quelques fidèles réunis.

  Ce soir-là, c'est la finale de Roland-Garros entre Nadal et Djokovic. Lucette " s'extasie devant la beauté des joueurs qui ne sont pas mal fichus ". Au moment de se séparer, le jeune homme offre un livre gentiment coquin à Lucette avec une douce dédicace : " Alors j'emplis mes yeux, dans un dernier regard ; je grave tout dans ma mémoire, jusqu'au saladier vide posé sur la table basse. Soudain, elle a ce geste comme une signature portée au bas du souvenir. Lucette Almanzor, épouse Destouches, sans se redresser, m'a jeté un baiser, du bout des lèvres, d'un grand geste aérien, que j'ai reçu au creux de ma main, tenue serrée le temps du voyage pour qu'il ne s'envole pas. Je me suis rappelé que cette petite bonne femme, avec ses cheveux d'ange et son gilet rose avait connu Céline ; qu'il lui avait beaucoup fait l'amour, entre ces mêmes murs, où nous nous tenions aujourd'hui ; et que, cinquante ans après, elle m'envoyait un baiser, à moi, le petit rien du tout. "

  S'il est permis de douter de cette dernière affirmation, nul doute que le jeune Arthur a été, comme bon nombre de visiteurs venus à Meudon, subjugué par le charme de Lucette...
 (David Alliot, Madame Céline , Tallandier, janvier 2018, p.330).

 

 

 

 

 

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                        VOICI DE LA BELLE HAINE BIEN NETTE.


  Jules Rivet (1884-1946), journaliste libertaire est l'auteur de cet article. On n'ose penser, encore moins imaginer rétrospectivement, ce que serait la réaction des rédacteurs actuels de ce journal devant une telle lecture...

 Un joli titre,  un titre de poète, après tout, que porte, là, le nouveau livre de Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre. Cela évoque autant la petite fleur poussée dans les démolitions que la ruade dans les brancards ! Et que voilà de beaux coups de trique et de la belle langue solide, verveuse et bien constituée !
 
Je n'ai pas aimé beaucoup Mort à crédit dont j'ai dit, il m'en souvient, que c'était " l'épopée du vomissement ". Mort à crédit indiquait, peut-être à tort, chez l'auteur, le goût de se rouler dans l'ordure, de nier systématiquement la pureté des forêts, la clarté du soleil, la limpidité attardée de certaines petites rivières... Tout était pourri, bourbeux, verdâtre et nauséabond...

  Dans Bagatelles pour un massacre, rien de sale, rien qui ne soit, au contraire, très sain et aéré. Voici de la belle haine bien nette, bien propre, de la bonne violence à manches relevées, à bras raccourcis, du pavé levé à pleins biceps ! Ici, Villon complète Rabelais et l'épure ! Ici, le non-conformisme se débat avec vigueur, le solitaire s'affirme, montre les crocs, règle des comptes.
  Par exemple : " Les critiques, ils sont bien trop vaniteux pour vous parler d'autre chose que de leur magnifique soi-même. C'est un spectacle de grande lâcheté que de les voir ces écœurants, profiter de votre pauvre ouvrage pour se faire reluire ! Les torves fumiers ! "
 
Et plus loin :
 " Renégat, moi ?... Renégat qui ?... Renégat quoi ?... Renégat rien !... Mais j'ai jamais renié personne... L'outrage est énorme !... Quelle est cette face de fumier qui se permet de m'agonir à propos du communisme ?... Un nommé Helsey qu'il s'appelle !... Mais je le connais pas !... D'où qu'il sort ce fielleux tordu ?... Il est soufflé, merde, ce cave !... De quel droit il se permet, ce veau, de salir de la sorte ?... Mais j'ai jamais rien renié du tout ! Mais j'ai jamais adoré rien ! Où qu'il a vu cela écrit ?... Jamais j'ai monté sur l'estrade pour gueuler à tous les échos : " Moi, j'en suis !... moi, j'en croque !... "
  Moi, j'ai jamais voté de ma vie !... j'ai toujours su et compris que les cons sont la majorité, que c'est donc bien forcé qu'ils gagnent !... Pourquoi je me dérangerais, dès lors ?... "

  Je ne voudrais pas banaliser ce livre libérateur, torrentiel et irrésistible du mot de chef-d'œuvre. C'est beaucoup plus grand que cela, et plus pur. C'est une barricade individuelle avec, au sommet, un homme libre qui gueule, magnifiquement...
  (Le Canard enchaîné, 12 janvier 1938).

 
 
       
 

 

 

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                    LE PARADIS, C'EST PIRE QUE SIGMARINGEN !

 

   Mort le 1er juillet 1961 à Meudon, Louis-Ferdinand Céline n'exerce logiquement plus ses activités médicales. Lorsque nous l'avons rencontré au paradis, il y a quelques semaines, il était installé en charentaises sur un rocking-chair planté sur un cumulonimbus. A ses côtés, sa mère, faiseuse, faisait de la dentelle tout en lançant la cuisson des nouilles...

 Alors, monsieur Destouches, comment ça se passe, là-haut ?
 

 Oh, eh bien, voyez-vous, ce qui me manque le plus, c'est les bêtes. Le patron n'accepte pas les animaux. Demandez à Léautaud : pas un perroquet, pas un greffe, pas un cabot ! Vivre entouré d'hommes, c'est pas le paradis, c'est l'enfer ! Ça me rappelle Sigmaringen, en pire...

 Vous avez retrouvé des amis ?

 Ben, y a Gen Paul, toujours aussi lubrique et délirant hélas, et La Vigue (Robert Le Vigan, ndlr), qui se prend encore pour Jésus-Christ : un comble en ces lieux ! Heureusement qu'il y a Marcel (Aymé, ndlr). Je l'aime bien, lui, parce qu'il ne dit jamais rien... Il est encore plus sinistre que moi.

 Et avec Proust, ça se passe comment ?

 C'est toujours la même chose avec lui : il met une journée pour choisir une cravate, puis il en fait une phrase de 50 pages. L'autre jour, il est venu me voir pour me poser des questions sur mes points de suspension. " Retourne donc à tes chiffons, ça t'occupera ! " que je lui ai dit. Vexé, il est parti causer portes étroites avec Gide.

 Vous avez croisé Sartre ?

 L'agité du bocal, le ténia de mes étrons ? Il m'a vu et je lui ai chanté les premières mesures de ma composition Règlement : " Je te trouverai, charogne, un vilain soir ; je te ferai dans les mires deux grands trous noirs ! " Il m'a fixé avec ses chasses de caméléon puis a poulopé pour se réfugier dans le giron de sa mousmé Simone ! Je me suis adressé à ses fanatiques existentialisses, ceux qui sont pleins d'idées, qui me regardaient dans le genre haineux, et j'ai repris ma chanson : " Faut-il dire à ces potes que la fête est finie ? " Personne n'a moufté. Je ne suis pas très populaire dans ce coin, faut bien l'avouer...

 Vous vous occupez comment ?

 C'est-à-dire que, n'est-ce pas, tout le monde se conduit comme en bas : ils s'abrutissent d'alcool et de nourritures lourdes. Et encore, ils n'ont pas l'auto ! J'essaye de voir des ballets, mais faut que je trouve des danseuses qui sont crevées bien jeunes, parce que voir des vioques danser Casse-Noisette en tutu, merci bien !

 Vous regardez un peu ce qui se passe en bas ?

 J'observe ma Lucette, bien sûr ! Et je constate les changements : j'avais bien dit que lorsque les Chinois arriveraient à Cognac, ils y prendraient goût et iraient plus au nord. Mais je n'avais pas prévu les Africains que j'ai bien connus dans ma jeunesse ! Vous allez bientôt bouffer du mafé à La Tour d'Argent, croyez-moi. Prévoyez de la quinine ! " Youp ! Profundis ! Yop ! Te Deum ! " Vous connaissez mon autre chanson, A nœud coulant ? J'y résume la civilisation : " Grosse bataille, petit butin ! "

 Et votre héritage littéraire ?

 Je me suis déjà exprimé à ce sujet : " Celui qui parle de l'avenir est un coquin, c'est l'actuel qui compte. Parler de sa postérité, c'est s'adresser aux asticots ! "

 Que vous a dit Saint-Pierre lorsque vous êtes arrivé ?

 Le pauvre a voulu me prévenir : " Je dois vous avertir, Céline, ou puis-je vous appeler Louis ? Ils sont lourds ! " Je lui ai répondu : " Ça fait longtemps que je suis au courant, mon pote ! "

 (Propos miraculeusement recueillis par Nicolas Ungemuth, Le Figaro-Magazine 21-22 juillet 2017).

 

 

 

 

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  ERREURS et INCONNU.

  Le 25 février 1977 : A l'occasion de la « Quinzaine de la Pléiade », les Editions Gallimard consacrent leur 16e album [numéroté 17 par erreur] à Louis-Ferdinand Céline : 441 documents réunis et commentés par Jean-Pierre Dauphin et Jacques Boudillet.
 
   La date de la mort de Robert Denoël est datée fautivement du 3 décembre 1945. On ignore toujours, trente plus tard, qui est Jacques Boudillet, précurseur célinien disparu sans laisser de traces.
 (Site Robert Denoël, www.thyssens.com).

 

 

 

 

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             CELINE ou HEMINGWAY ?

 " Le 15 juillet 1961 : Paris - Match se déshonore en publiant, dans son n° 640, les nécrologies d'Ernest Hemingway et de Louis-Ferdinand Céline, décédés à 24 heures d'intervalle.

  Match a préféré accorder sa couverture à un imposteur américain alcoolique dont le principal fait d'armes était d'avoir libéré le bar du Ritz en août 1944, plutôt qu'au plus grand écrivain français de sa génération. "
 (Site Robert Denoël, www.thyssens.com).

 

 

 

 

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            DEVANT L'ECHAFAUD.

  Le 19 octobre 1933 : Exécution capitale, boulevard Arago. Des échotiers du Populaire et de Marianne rendent compte de l'événement, non sans remarquer parmi les badauds un personnage qui sort de l'ordinaire :

 

                                                                 

                                                                Le Populaire, 20 octobre 1933                                                Marianne, 25 octobre 1933

 

   (Site Robert Denoël, www.thyssens.com)

 

 

 

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             LES FURONCLES EN FAMILLE.

 Le 10 août 1931, de Pau, Destouches envoie une carte postale à Mahé (La Malamoa, quai de Bourbon, île Saint-Louis) : " Drena te demande (elle n'a pas été au bobi). Elle demeure hôtel Colisée - rue Colisée). Nous fûmes au bobi (mais ceci secret) et avec quel trois mâts mes empereurs ! Je me suis tellement agité que j'en ai un furoncle qui me bouffe la cuisse ! C'est te dire ! " (Lettres, 31-10).
 Le " trois mâts " : Margaret Severn ou une autre danseuse ? " Mes empereurs " : expression familière d'intensité apparue vers 1908. Parmi les causes de la furonculose : malnutrition, transpiration, friction cutanée par contacts violents. Dans Mort à crédit, si le jeune Ferdinand est sujet aux furoncles, chez son père, cela devient énorme : " Il lui est sorti au début du mois de septembre toute une quantité de furoncles, d'abord sous les bras et puis ensuite derrière le cou alors un véritable énorme, qu'est devenu tout de suite un anthrax. Chez lui, c'était grave les furoncles, ça le démoralisait complètement... "

 Et Clémence nous donne le remède : " De la bière, nous en avons... Hortense va rapporter de la levure... Avec ton père et ses furoncles je crois que la salade c'est la meilleure chose pour le sang... " Elle-même n'échappe pas à ce mal : " Et puis une huile de réséda pour se masser la jambe le soir... Il lui venait quand même des furoncles, mais ils étaient supportables comme douleur et comme gonflement. Ils crevaient presque tout de suite. "
 Malnutrition, anémie, manque d'hygiène ? Encore aujourd'hui, les facteurs génétiques sont mal connus.
 (Eric Mazet, Spécial Céline n°15, Céline en son temps ou Céline avant Céline, printemps 2015).

 

 

 

 

 

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  LE PREMIER PORTRAIT.

 Ce dessin à la mine de plomb est une curiosité, sans doute le premier portrait représentant Louis Destouches, bien avant qu'il se fasse connaître sous le nom de Louis-Ferdinand Céline. Il fut réalisé à Paris en avril 1916, entre un séjour à Londres et son départ pour l'Afrique.
  On le doit à Simone Saintu, une amie d'enfance du jeune Destouches, rencontrée lors d'une audition de piano au théâtre de l'Athénée-Saint-Germain et à qui il écrira de nombreuses lettres du Cameroun (certaines contenant des poèmes).

  Sur ce portrait, Céline a vingt et un ans, porte une cravate et a déjà les yeux rêveurs. Ce n'est que seize ans plus tard, avec la parution du Voyage, que son visage deviendra familier au grand public... Ce tableau étonnant fait aujourd'hui partie de la collection François Gibault.
 (Jérôme Dupuis, Lire H-S n° 7, juin 2008).

  


 

 

 

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              EDUCATION TROP BIENVEILLANTE.

 Mais cette éducation des parents est précisément mise en cause aussi bien par les supérieurs que par les inférieurs : " Je vous en prie, écrit le capitaine, ne lui donnez ni les moyens ni l'idée de faire la moindre fantaisie dans sa tenue, ni ici, ni en permission. " (Lettre 5 août 1913). Et le cavalier Servat : " Il faudrait que vous soyez un peu plus durs, comme cela il travaillerait un peu plus et ça marcherait bien mieux. " (Cependant, il ne faudra pas moins de trois lettres d'officiers bienveillants pour que les parents cessent d'intervenir pour obtenir à leur fils une permission à laquelle il n'a pas droit.)
  Le jeune Louis tend en effet à se consoler de la dureté de la vie de quartier par toutes sortes de dissipations qui ne doivent pas être étrangères aux dettes qu'il contracte. Un autre correspondant des parents, un élève officier qui, lui, est de leur milieu, a la charge de surveiller les aspects intimes de sa conduite. En décembre 1913, il rend compte de sa mission en termes non équivoques : " Ensuite arrive la question de sa petite amie. Tous deux nous en avons parlé plusieurs fois en bons camarades et j'appris au cours de nos entretiens qu'il avait rompu avec elle définitivement et ne veut plus en entendre parler. De ce côté également il n'y a plus rien à craindre. " (Lettre, 11 décembre 1913).

 Encore le camarade confident ne sait-il peut-être pas tout. Louis entretient parallèlement, non sans complaisance, des relations épistolaires vaguement amoureuses avec d'autres jeunes filles, " en tout bien tout honneur " prétendra-t-il rétrospectivement. (Lettre, 24 décembre 1916 à Simone Saintu). Toujours est-il, avoue-t-il dans la foulée, qu'au moins une d'entre elles continue quatre ans après de le " taper " (et vient, incidemment, de commettre une tentative de parricide). On est loin, quoi qu'il en soit de la conduite exemplaire que les parents Destouches pouvaient espérer de l'éducation qu'ils lui avaient donnée. Louis, précise le même camarade élève officier, ignore tout de la complicité qu'il a avec ses parents. On ne sait si l'intéressé l'ignore vraiment ou si, le sachant, il en tire un sentiment de sécurité, mais le fait est qu'à dix-neuf ans et demi il est toujours l'objet de la part de ses parents de la plus extrême surveillance.

  Ils ne pouvaient qu'y être encouragés par cette appréciation d'un officier au moment de la nomination de leur fils au grade de brigadier : " C'est un garçon sympathique et méritant - il a tout pour bien faire. Mais un peu faible de caractère, et vous pouvez énormément sur lui, pour le diriger et le maintenir. " (Lettre, 9 août 1913).
 
Mais protection, direction et surveillance n'aident pas fatalement une personnalité à se construire.
 (Henri Godard, Céline, Biographies, Gallimard, 2011).

 


 

 

 

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                  SINÉ ÉTONNÉ...

 Quatorze ans en 1942, le dessinateur SINÉ est issu d'un milieu modeste où on ne lit pas. Après l'avoir prévenu contre les pamphlets antisémites, son professeur de français lui conseille Voyage au bout de la nuit : " Je fonçai acheter le bouquin et le dévorai aussitôt avec une jubilation orgastique. Mon exultation à son comble, je relisais plusieurs fois les mêmes pages malgré une envie folle de passer aux suivantes. J'étais fébrile, subjugué, envoûté. Bardamu me sciait le cul ! Ferdinand taillait à tous des costards pure haine, il secouait tellement fort le cocotier que tous les clichés dégringolaient, il foutait le feu aux poncifs, chiait dans la colle et s'essuyait aux bégonias. Je n'avais jamais rêvé un tel jeu de massacre ! Il tirait dans le tas à bout portant, faisant voler les mots en éclat et torturant la ponctuation pour lui apprendre à ne pas respecter les convenances. Le coup de foudre fut violent et immédiat. [...]
  Après la lecture de Mort à crédit qui m'envoya presque plus haut que le Voyage, j'étais pulvérisé, en morceaux, à ramasser à la cuiller. Ce mec, c'était de la dynamite et il vous enfonçait des suppositoires à la nitroglycérine dans le cul. "

  Malgré les mises en garde, SINÉ ne résiste pas à la curiosité et achète les pamphlets : " Je ne tardai pas à me procurer les trois bouquins vilipendés. Ah, nom de Dieu ! Quelle douche... de chiasse... de glaires... de sanies... une avalanche d'ordures en putréfaction... [...] Même averti c'était dur à avaler... encore plus à digérer... Un raz de marée diarrhéique et cyclopéen... parano... antisémite et xénophobe... du jamais vu... du jamais lu... avec cependant, toujours des perles comme la sublime petite phrase en exergue de L'Ecole des cadavres : " Dieu est en réparation. "
  (Siné, Ma vie, mon œuvre, mon cul !, tome 3, Charlie Hebdo, Editions rotatives, 2000, in Emile Brami, Céline, Ecriture, 2003).


 

 


 

 

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               CELINE JOURNALISTE " COLLABO " ?

 Pendant l'Occupation, Horace de Carbuccia, directeur de Gringoire, l'une des principaux hebdomadaires collaborationnistes, rencontre Louis-Ferdinand Céline en prévision d'une contribution de ce dernier dans son hebdomadaire.
  Henri Mahé relate l'entrevue, qui n'aura pas de suite.

 " Ce qu'on a pu rigoler, tu te souviens Louis ? le jour où Carbuccia, le puissant éditeur de l'hebdo Gringoire, débarqua rue Lepic.
- Je viens solliciter votre collaboration ! qu'il dit, le gars ! sûr de lui. Béraud se ramollit !... Remplacez-le !
- Ça ! jamais !... Et puis, c'est pas mon truc !...
- Votre prix sera le mien !
- Pas d'intérêt ! On ne peut pas écrire ce qu'on veut dans les journaux !
- Si ! justement, je veux que ça pète ! je veux que ça gueule !
- Vous oseriez jamais m'imprimer !
- Mais si ! je viens spécialement pour ça : imprimer tout ce que vous pensez !
- Alors je commence : " Le maréchal Pétain est un enculé !... "
- Ah ! ben !... Tout de même, là !... Ça me paraît difficile !...
- Alors, tu vois !... "
 (Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, La Table ronde, 1969, in David Alliot, Céline, Idées reçues, Le Cavalier Bleu, 2011).

 

 

 

 

 

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                  L'ENORME FLOUZE.

 CELINE - Je finis à la seconde même l'ultime paragraphe, cette torture. Sans un énorme flouze je ne recommencerais jamais ! j'ai failli cette fois en crever.

 J'étais de passage chez lui, rue Lepic, quand Denoël vint prendre possession de Mort à crédit.
   Quelle corrida !... Tous deux debout, gueulant, riant, se bousculant dans le studio. Deux gosses qui se battent - " pour de rire ", mais prêts quand même à se faire du mal !...
 - Déchire le contrat !... hurlait Louis.
 - Non ! T'as signé pour le Voyage et la suite !...
 - Déchire le contrat, ou aussi vrai que je suis médecin !... Tiens, voilà le paquet !... Je le fous dans les chiottes !...
 - T'as signé !
 - T'as abusé !
 - Allez ! fais pas l'con, puisque t'as signé !...
 - De la merde ! C'est 20 balles ou les chiottes !
 - Arrête ! T'es dingue !
 - J'exige 25 !
 - Pourquoi pas 100 ?...
 - 40 ! que je veux à présent !
 - Allez ! donne-moi ça, t'auras 30 !
 - 35 !
 - Bon !... T'auras 35 !... mais tu me trucides !...
 - 35, d'accord !
 Et ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre... Obtenais-tu à ce prix l'énorme flouze sans lequel tu ne recommencerais jamais ? Tu aurais payé pour écrire, quitte à en crever !... Voyou !...
 (Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, Ecriture, 2011, p.126).

 

 

 


 

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               CES CONS QUI VIENNENT VISITER LA RUINE...

 Chardonne n'a pas changé d'opinion sur l'auteur du Voyage - dont il n'a, vraisemblablement, jamais lu une ligne - mais il admire l'exploit de Nimier qui, avec la complicité amoureuse de Madeleine Chapsal, a réussi à décrocher ce " scoop " : une longue et explosive interview de Céline dans L'Express qui se veut la voix de la France progressiste.
  On a du mal, aujourd'hui, si l'on n'a pas vécu cette période, à imaginer le raffut qu'a pu produire cette interview, dans le Landerneau journalistico-politico-littéraire. On s'en fera néanmoins une idée si l'on sait qu'au cours des années qui précédèrent, un Albert Béguin, " grande conscience chrétienne ", traitait Céline de " chien servile, gluant de bave rageuse ", un André Breton l'accusait de " faire appel à ce qu'il y a de plus bas au monde ", un Roger Vailland regrettait de ne pas l'avoir exécuté en 1944, un Pierre Hervé, dans L'Humanité, l'accusait le plus sérieusement du monde, d'avoir été un " agent de la Gestapo ", et qu'un journaliste comme Bernard Lecache qui, plus tard, se taillera une réputation dans la défense des Droits de l'Homme et de la Laïcité, menaçait, tranquillement : " Qu'il revienne, Céline ! Nous l'attendrons à la gare ! "

  Dans son interview à L'Express, titrée " Voyage au bout de la haine ", Céline y est allé gaiement, en en donnant pour son argent à un public qu'a priori, tout, chez lui, hérisse. Devant André Parinaud, accouru aux nouvelles, au lendemain de l'entretien du 14 juin, il a encore forcé la dose : " Tous ces cons qui me redécouvrent... Ils viennent visiter la ruine... pour voir si ça tient encore. Si je ne sens pas trop mauvais... Je me suis roulé dans la fange de gros cochon. Ça les excite. "
 (Christian Millau, Au galop des hussards, dans le tourbillon littéraire des années 50, Ed. de Fallois, 1999).

 


 

 


 

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           LE PORTEMANTEAU...

 [...] Sur un autre sujet : l'amour.
 CELINE. - L'homme moderne est un branlé (en français dans le texte). Croyez-vous que l'homme des cavernes avait le temps de penser à l'amour ? Il tirait son coup, puis allait aux champs ou à la chasse. Du reste, l'amour ou la joie de l'amour n'est qu'une sorte de récompense que la nature nous offre pour répondre à son dessein. C'est un cadeau de printemps. Quand la jeunesse est passée, c'est fini, ça devient de l'onanisme, du simili...

 On s'excite toujours, hommes et femmes, bien au-delà du printemps et de la littérature. Le théâtre, toute notre façon civilisée de vivre, ça nous excite constamment. Non, le milieu, celui des maquereaux et des filles, quand il y en avait un, était bien plus proche de la vérité : pas de chatteries là, pas de chichis, c'était réservé aux clients. Pauvres clients ! Et pas touche aux nénettes des copains ! Sinon on était bon pour le portemanteau...
 - Le portemanteau ! ?
 - Oui, un portemanteau, comme pour y accrocher des vêtements, mais ici ça signifie un couteau, planté bien proprement entre les deux omoplates !

  Le rire secoue Céline, qui poursuit :
 - Un jour, un libertin m'a dit : " Qu'est-ce que je ferais, moi, si je n'avais pas les femmes de mes amis ? Il n'y en a pas d'autres ! " Raisonnement de bourgeois typique ! Pas touche, c'est on ne peut plus simple. J'aime l'anatomie, voyez-vous, c'est pour ça que je m'intéresse aux danseuses... Présentez-m'en une, et hop ! Voilà ! (en français dans le texte). Je ne dis pas non... mais je tourne vite la page. Pas de cour assidue chez moi, pas de complications, non merci !
 (Ole Vinding, Au bout de la nuit, Capharnaüm et Editions de la Pince à linge, 2001, traduit du danois par F. Marchetti).

 

 

 

 

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                 LA SERVIETTE DE CUIR...

   Léon Degrelle, l'orateur, entreprit alors de critiquer la politique française depuis 1940 et de stigmatiser l'attitude de certains collaborateurs qui répugnaient à s'engager, au-delà de la collaboration politique et économique, jusqu'à la collaboration armée. A ce moment, Louis-Ferdinand Céline, invité, mais en retard, pénétra dans la salle. Du regard, il chercha une place discrète ; il n'en vit pas. Il n'y avait une place libre qu'au second rang de l'assistance.

  Dans son étrange accoutrement habituel : canadienne crasseuse, gants de laine pendus à une ficelle autour du cou, une serviette de cuir à la main et sous le bras son chat " Bébert " dont la tête seule émergeait d'un sac caoutchouté, Louis-Ferdinand Céline, placidement, traversa l'allée centrale pour aller s'asseoir. Degrelle, dans le feu de sa péroraison - ne connaissant pas ou ne reconnaissant pas l'auteur du Voyage au bout de la nuit - s'écriait : " ... La France, pour se redresser, a besoin d'un nouveau type d'hommes, de révolutionnaires farouches et décidés à se battre, les armes à la main, jusqu'à la victoire ou jusqu'à la mort. Ce n'est pas avec des embusqués qui se baladent une serviette à la main mais avec des hommes qui auront  le courage d'affronter l'ennemi que vous pourrez, vous, Français, refaire une nation puissante et respectée, intégrée à l'Europe nouvelle, à l'Europe nationale-socialiste... "

  Céline s'était arrêté, clignait des yeux et regardait l'orateur avec étonnement. Il haussa les épaules. Puis, tournant le dos au " beau Léon " qui poursuivait ses remarques insolentes sur la France et les Français, L.-F. Céline gagna la sortie, non sans avoir lancé à haute et intelligible voix : " Quel est ce roi des c... qui ne fera pas même un beau pendu avec sa g... de jean-foutre ? "
 (André Brissaud, Pétain à Sigmaringen 1944-1945, de Vichy à la Haute Cour, Perrin, 1966, dans D'un Céline l'autre, D. Alliot, p.750).

 

 

 


 

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                   RÉSISTANT OU MENDIANT ?

 Après l'armistice de juin 1940, j'appris que Céline était resté à Paris, comme d'ailleurs la plupart des intellectuels et des artistes. Il est toujours très surprenant de considérer que, pendant les années de l'occupation allemande, des gens comme l'Espagnol Picasso, qui n'avait jamais fait mystère de ses convictions communistes et était célèbre dans le monde entier pour des tableaux comme La Colombe de la paix, Pour Staline, ou encore Guernica, ont travaillé pendant toute la guerre à Paris sans être autrement inquiétés.

  Je ne sais plus ce qui a motivé le premier contact avec Céline, mais j'ai très vite appris qu'il fréquentait l'ambassade d'Allemagne de la rue de Varenne. Je me souviens qu'un jour le planton m'annonça qu'un homme d'aspect douteux souhaitait me parler. Il me demandait s'il pouvait le laisser passer. Quand j'ai entendu le nom de cet homme, j'ai mandé que, sans plus le faire attendre, on le conduise au plus tôt jusqu'à moi. Lorsque enfin, toujours flanqué du planton, il pénétra dans mon bureau, je ne compris que trop la méfiance de la sentinelle : Céline ressemblait vraiment à l'image que l'on pouvait se faire d'un résistant ou de quelqu'un qui se disposait à commettre un attentat.

  Cet homme de haute taille, large d'épaule, portait une pelisse en peau de mouton en laine retournée. Ses cheveux noirs, sur un visage plutôt pâle, étaient en désordre. Toute sa personne d'ailleurs était vêtue sans aucun soin ni élégance. Il avait coutume de se rendre à moto depuis son logement montmartrois à ses consultations dans une banlieue de Paris où il travaillait comme médecin des pauvres. Cependant, après une brève conversation, nous nous entendîmes au mieux. Après notre première rencontre, Céline avait demandé l'obtention d'un permis de port d'armes parce qu'il se sentait menacé par les gaullistes, permis qui lui fut délivré sans autre forme de procès.
 (Hermann Bickler, Erinnerungen Teil II, Souvenirs, autoédition, 1996, in D'un Céline l'autre, David Alliot, Robert Laffont, 2011, p.535).  


 

 

 

 

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               UN BOUQUET TOUS LES MATINS.

 - Edith et Louis, vos parents, ont donc divorcé malgré eux ?
 - A peu près. Ils s'entendaient très bien, et cela allait durer jusqu'à la fin de leur vie. Après le retour de mon père du Danemark, en 1950, ma mère, qui ne savait pas où il était, me téléphone pour me dire : " Je n'y comprends rien, chaque matin, je reçois un bouquet de roses. J'ai normalement passé l'âge de ce genre de choses. "
  Puis, un jour, mon père est arrivé chez elle. Les roses, c'était lui. Comme deux petits vieux, ils se sont pris les mains : ils s'étaient retrouvés.
 (Jacques-Marie Bourget, Entretiens avec Colette Destouches, Paris-Match, 31 mars 1994).

 

 

 

 

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                     CE 6 FEVRIER 34...

  Place de la Concorde, où sont les troupes ? Alentour, les groupes, à la fois pressés et clairsemés, ne sont visiblement que des groupes de curieux. Où sont les manifestants ? [...]
  Poussés par la curiosité, par le besoin de se rendre compte, par une force, peut-être aussi, qui les tire vers une foule plus agissante que la leur, les gens avancent. Soudain, l'on recule en courant : manœuvre des agents. Matraque en main, courbés par leur course, ils se sont élancés. Ils se hâtent, le long de la balustrade du terre-plein sud-ouest. Mais, de la barricade tendue entre les Chevaux de Marly, on les arrose de projectiles.
  Sans pousser vers l'avenue Gabriel, ils se replient vers le Cours-la-Reine, doublant la pointe de la balustrade. Un instant, et ce détachement a disparu, résorbé dans la masse armée qui reste immobile, rangée le long du quai.

  A ce moment, une dizaine d'agents cyclistes, isolés - venus d'où et s'employant à quel dessein ? - prétendent franchir la barricade, contre le cheval de Marly, côté Seine. Leurs machines s'embarrassent dans l'obscurité, eux-mêmes y demeurent pris. Ils sont lapidés. L'un des agents s'empêtre. La foule sur lui se referme. On l'emporte sanglant. Les autres se sont enfuis vers les troupes du pont.
  C'est alors que... Des coups de feu !
 Une stupeur, je l'affirme, suspend le vacarme général, le temps d'un éclair. Mais c'est assez pour que ce silence se perçoive, et laisse mieux entendre la fusillade.
 On a compris. C'est l'évidence : les troupes tirent. Elles ont tiré... se dissociant, à cette minute, des manifestants, la foule, par vagues successives, reflue.

  Un temps d'accalmie. Les troupes de manifestants, de tendances diverses, se détachent du front d'attaque et se mêlent à la foule. Devant la statue de Clémenceau, des UNC et des Jeunesses communistes se rencontrent. Face à face, comme on se donne l'aubade, ils se contentent de chanter, les uns L'Internationale, les autres La Marseillaise.
  Les gens se parlent. On rencontre des amis. Joseph Kessel, d'un œil accoutumé aux troubles cosmiques de l'Orient, regarde circuler cette foule où, dans ces parages, les curieux dominent, où les gens vont par couples.

  Plus loin, Louis-Ferdinand Céline, solitaire, les cheveux à l'air, le front taciturne, la bouche soudain sarcastique, écoute chacun au hasard, me dit trois mots et brusquement s'éloigne. Le lendemain encore, sur les boulevards, je verrai passer cet homme à la tête nue, aux épaules un peu courbées, au dos large, au pas rapide : réellement seul, à travers l'émeute et la nuit, il voyage.
 (Philippe Hériat, La nuit du 6 février, D'un Céline l'autre, Laffont, Bouquins, 2011, p. 346).


 

 

 

 

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          QU'EST-CE  LE " CAS CELINE " ?

 L'histoire ne s'arrête pas là. Dix ans plus tard, le critique belge Jean Vigneaux (de son vrai nom, Nestor Albessart) signe dans l'hebdomadaire Pourquoi pas ? un grand article sur le " cas Céline ". Il s'ouvrait de la sorte :
 " C'était un écrivain considérable, entreprenant, courageux aussi, il l'avait maintes fois prouvé. Le hasard des réservations dans le TEE nous avait fait voisiner pour la durée d'un Bruxelles-Paris. A l'inverse de l'avion qui isole les passagers, le train a le privilège d'encourager les conversations. Nous étions seuls dans notre compartiment. Après un quart d'heure, nous en étions à parler, comme de très vieux amis, des auteurs que nous aimions. Et bientôt, nous nous étions découvert une passion commune pour Céline.
 Mon interlocuteur connaissait son " Ferdine " sur le bout des doigts. Il le citait d'abondance, il l'analysait avec intelligence. Cela dura deux heures, et ce fut un véritable festival. Pourtant, il y eut une fausse note. Nous approchions de Paris et, déjà, mon prestigieux compagnon de voyage rassemblait ses bagages quand soudain, se penchant vers moi, il me demanda :

- Vous allez travailler en France ?
- Oui...
- Me permettez-vous de vous donner un conseil ?
- Je vous en prie.
- Ne parlez jamais de Céline à Paris.

  J'étais abasourdi. Cet homme qui, quelques instants plus tôt, m'avait ébloui par son indépendance d'esprit, par ses connaissances ; cet homme qui s'était battu (et pas seulement au sens figuré) pour ses idées, voilà qu'il rentrait prudemment dans le rang. Involontairement, il avait baissé le ton. De toute évidence, il était gêné de s'être laissé emporter par l'enthousiasme ? Peut-être même se sentait-il " compromis ".
  Ce jour-là, je compris ce qu'était le " cas Céline ".

 Dix ans plus tard, lorsque je décidai de reproduire cet article dans le premier numéro de feue La Revue célinienne, Jean Vigneaux m'accorda très volontiers son autorisation. Intrigué, je lui demandai qui était ce fameux interlocuteur. Sa réponse fusa : " Louis Pauwels ".
 (Marc Laudelout, BC n°356, octobre 2013).
 

 

 

 

 


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                   OSER TRAVERSER LA RUE EN PURETTE.

 Louis-Ferdinand Céline (Dr Destouches) a habité Revin en juillet-août 1923. Il y remplaçait le Dr Bouchet. Contrairement aux affirmations de presque toute la critique, son Voyage au bout de la nuit n'est nullement une autobiographie. Les Revinois qui ont connu le Dr Destouches ont gardé le souvenir non pas d'un Bardamu, mais d'un garçon très sympathique et très distingué, n'ayant en commun avec son héros que l'amour du paradoxe.
 Le peuple ardennais a discerné en lui un type : un type original qui osait traverser la rue Victor-Hugo en purette...
(1)

  Un jour qu'il voulait ausculter le côté droit d'une bonne vieille perchée dans un de ces vieux lits ardennais hauts sur pattes - ce côté droit étant celui du mur, le docteur était très embarrassé. Ne pouvant déplacer le lit tout seul, il fit un bond par-dessus la brave femme, et put ainsi accomplir scrupuleusement son devoir professionnel...
  La pauvre a survécu quelques mois à ce traitement acrobatique.
   (La Grive, n°20, avril 1933, in D'un Céline l'autre, D. Alliot, 2011, p.184).
 
(1) En purette : locution utilisée dans les Ardennes pour désigner quelqu'un de très incomplètement habillé.


 

 

 


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         50 MILLIONS...

 Un ami que m'avait présenté, comme d'habitude, Jean-Pierre, me dit : " J'ai rencontré Monsieur M. Il parlait tout le temps de Céline. " " Monsieur M. veut rencontrer Céline ? Mais c'est très facile. Mon amie Arletty le connaît bien. " J'ai téléphoné à Céline qui fut tout de suite d'accord pour rencontrer Monsieur M., très connu, qui vivait à Tahiti. Fou de joie, Monsieur M. vient me rejoindre pour aller chez Céline. Entre-temps, en voiture, il m'explique qu'il veut inviter Céline et sa femme (ainsi que ses " nombreux " animaux) à Tahiti. Il peut tout arranger, une grande maison sur la plage, des leçons de danse pour sa femme, et tout et tout.

 Nous arrivons chez Céline et Monsieur M. lui fait sa proposition. Tout se passe très bien, Céline a l'air d'accord. Il dit même : " Comme c'est touchant, comme c'est généreux de votre part. " Tout semble réglé. Mais avant notre départ, il dit à Monsieur M. : " J'ai une petite chose à ajouter. Pouvez-vous me faire déposer en même temps 50 millions à la banque du Canada ? "
  Monsieur M., sans s'affoler, lui répondit : " Hélas, ce n'est pas dans mes moyens. Je regrette. " Sur la route du retour, Monsieur M. m'a dit : " Je ne m'attendais pas à autre chose de la part de Céline. " J'ai trouvé cela très intelligent de sa part.
 (Arletty, Je suis comme je suis, Vertiges du Nord Carrère, 1987, in D'un Céline l'autre, D. Alliot, mai 2011).

 

 

 

 

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         CELINE, AUTEUR DE CHANSONS.

 Le Figaro et L'Intransigeant du 6 décembre 1936 annoncent que Marianne Oswald devrait interpréter au printemps suivant une chanson écrite par Louis-Ferdinand Céline. Il s'avère que l'écho n'était pas fantaisiste puisque l'écrivain, qui séjourne alors à Anvers et qui a lu l'un de ces journaux, écrit le lendemain à la chanteuse : " Je vois que vous avez tous les courages ! Tant pis pour vous ! Vous verrez ce que mon nom apporte d'hostilités ! de haines irrémédiables ! Enfin ce sera une expérience. Travaillez bien. " (Cahiers Céline 2004, p.36).

La chanson dont il est question est vraisemblablement A nœud coulant, éditée quelques mois plus tôt par Jean Noceti, auteur de la musique. Fille d'émigrés juifs polonais, Marianne Oswald, née Sarah Bloch [1901-1985], qui avait connu la célébrité dès 1933 au " Bœuf sur le toit ", venait justement d'imposer son répertoire populaire au public difficile de L'ABC, mais faisait l'objet, dans la presse bourgeoise, d'attaques antisémites que dénonçait L'Humanité, trois jours plus tôt.

  Céline, qui lui souhaitait alors de réussir dans cette entreprise, raconta plus tard à sa façon cette collaboration qui faillit aboutir : " Elle m'a pendu à la braguette pendant des mois [...] Elle me fusillait de télégrammes avec Cocteau pour que je la saute, lui fasse une chanson, la lance à Paris - à l'ABC " (Lettre à Albert Paraz, 22 avril 1948).
 Marianne Oswald était alors la protégée de Jean Cocteau, qui lui avait écrit une chanson : " La Dame de Monte-Carlo ".

 Le cas de cette chanteuse est singulier. Elle avait quitté l'Allemagne lors de l'arrivée d'Hitler au pouvoir et avait tenté de s'imposer, dès la fin 1932, dans les cafés-concerts de Montparnasse avec un répertoire d'extrême-gauche. Autant que ses textes, sa personnalité ne laissait pas indifférent : voix grave et éraillée (due à un goitre thyroïdien opéré à Berlin), cheveux rouges et maquillage blanc, elle suscitait enthousiasme ou rejet.
 Des débats avaient eu lieu en 1934 au Club du Faubourg sur le thème : " Pour ou contre Marianne Oswald ". Des journaux de droite vilipendaient cette " hideuse juive allemande ". A Genève des spectateurs en étaient venus aux mains. La pression médiatique fut telle qu'en mars 1937 elle tenta de se suicider dans sa chambre d'hôtel en absorbant des barbituriques.

  Après un essai sans lendemain au cinéma aux côtés d'Arletty, elle quitta la France en 1940 et s'exila aux Etats-Unis durant la guerre. De retour à Paris elle publia en 1948 un volume de souvenirs : " Je n'ai pas appris à vivre " chez Domat-Montchrestien, la maison d'édition de Jeanne Loviton. C'est ce volume, dont Paraz lui avait parlé, qui avait fait réagir Céline.
 (Site d'Henri Thyssens sur Robert Denoël).

 

 

 

 

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           LE TRAITEMENT DES ACOUPHENES.

 Le docteur Louis Destouches, qui habite alors quai Richement à Rennes, où il termine ses études de médecine, publie dans l'Union Pharmaceutique, mensuel destiné à la profession, une communication assez singulière sur le traitement des acouphènes, c'est-à-dire les bourdonnements d'oreilles, dont lui-même est affligé depuis une blessure reçue en 1914.
 Il a apparemment inventé un petit cornet métallique, semblable à un sifflet, qu'on maintient entre les dents et dans lequel on souffle, déclenchant une vibration de l'anche qui se trouve à l'intérieur et qui interrompt les bourdonnements durant quelques heures, parfois même définitivement, assure-t-il.

             

  En lisant ce qu'il faut bien appeler une notice publicitaire, on ne peut s'empêcher de penser à Henry de Graffigny, le héros farfelu de Mort à crédit, inventeur durant la Grande Guerre d'un " dentier auditif " pour artilleur, qui écrivait : " Si celui-ci se bouche les oreilles, il n'entend plus les commandements. Or on n'entend pas que par les oreilles. On entend aussi par les dents et par les poils de la barbe [...] A notre sens, les artilleurs devraient porter toute leur barbe et tenir entre leurs dents pendant la manœuvre un appareil conducteur de son ".

 On ne sait si le jeune Destouches s'est inspiré de l'invention curieuse de Graffigny, mais la sienne ne lui a pas réussi car il a souffert de l'oreille interne jusqu'à la fin de sa vie.
 ( Site Robert Denoël, d'Henri Thyssens).

 

 

 

 

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         VISITE a CUBA (2-9 mars 1925).

Nous sommes en 1925. L'année précédente, Louis Destouches a soutenu sa thèse de médecine « La vie et l'œuvre de Philippe Ignace Semmelweis » et a été recruté par le Dr Ludwig Rachjman qui dirige alors la section Hygiène de la Société des Nations. Céline signe son contrat le 10 août 1924 pour être nommé au poste de « responsable des échanges de médecins spécialistes ».    C'est sous l'égide de cette organisation internationale que Céline, alors seulement connu sous le nom de Docteur Louis Destouches (Voyage au bout de la nuit ne sortira qu'en 1932) se verra confier, après une mission au Pays-Bas et à Paris (novembre 1924-janvier 1925), la direction d'une délégation de médecins sud-américains qui l'amènera à traverser toute l'Amérique de Nord. De Cuba en Louisiane, De New York à Montréal, les quatre mois du voyage se feront sur un rythme soutenu.

Le passage à La Havane a pour but essentiel de rassembler le groupe de médecins latino-américains. Avant l'arrivée de tous les participants, Céline est accueilli à la Direction de la Sanidad « grand et magnifique palais », un ministère qui « possède par ailleurs des moyens financiers qui surpassent ce qu'on pourrait imaginer quand on a vécu en Europe ».   La qualité des infrastructures médicales et le faste de la ville frappe Céline dès son arrivée : « L'or en effet ruisselle à Cuba.  [...] J'ai visité un hôpital Mercedes où sont réunis pour le bien de 200 malades à peine tout ce que la science moderne peut

 offrir de plus coûteux y compris 500 milligrammes de radium. L'aspect de la ville et de ses environs a quelque chose  d'invraisemblable par le luxe et la beauté réelle de l'ensemble
» mais Céline remarquera tout de même quelques jours plus  tard que « les prix de toutes choses sont terrifiants » et notera « aucune réception officielle, aucune auto, rien. L'accueil  est charmant mais réservé. »
(Photo: le Dr Destouches et le groupe de médecins latino-américains (1925).

 (Le Petit Célinien, 17 juillet 2013).

 

 

 

 

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           LA MEDECINE CHEZ FORD.

 Alors que dans d'autres fabrications américaines, non encore mécanisées aussi complètement que chez Ford, les ouvriers gardent une certaine valeur personnelle et doivent encore, par conséquent, faire preuve de connaissances spéciales, bref de " métier ", et que, dès lors, le fait de remplacer dans ces fabriques un ouvrier par un autre non familiarisé avec son travail coûte encore en gaspillage matériel et temps perdu de 40 à 80 dollars à l'employeur, chez Ford n'importe qui peut remplacer n'importe quel ouvrier dans n'importe quel emploi, immédiatement, sans qu'il s'ensuive, ou presque, de diminution dans le nombre des pièces fabriquées à la fin de la journée.
 
 Ford s'est donné pour règle d'employer n'importe qui dans ses usines, et cette condition est exactement appliquée. Nous avons vu procéder à l'embauchage, ce sont des postulants les plus déchus physiquement et psychiquement qui sont les plus appréciés par la direction de l'usine. Ford encore s'est engagé à payer chacun de ces semi-inutiles, au moins 6 dollars par jour, il tient aussi cette promesse.

 (...) Nous avons assisté à l'examen médical d'entrée de plusieurs centaines d'ouvriers qui venaient combler les emplois vacants depuis plusieurs mois. On ne procède à l'embauchage que quelquefois par an.
  Le médecin chargé de cet examen nous confiait que ce qu'il fallait, c'était des chimpanzés, qu'ils suffisaient pour le travail auquel ces ouvriers étaient destinés et qu'on faisait d'ailleurs des essais pour en employer à la récolte du coton dans les Etats du Sud.
 (La médecine chez Ford, " C'est un Rêve ", n°9/n°10, Spécial Céline).

 

 

 

 

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           GALLIMARD ET NORMANCE.

 Aucune illusion !... soucis personnels... vous me direz... quand même ! quand même ! que ce soit Gertrut ou Brottin, ou un autre, personne m'avancera plus une flèche pour une histoire genre Normance ! je le dis !... le lecteur veut rire et c'est tout !... jamais Paris ne fut bombardé !... d'abord !... et d'un !... aucune plaque commémorative !... la preuve !... moi seul, qui me souviens encore de deux, trois familles ensevelies !... Normance, question livre, a été qu'un affreux four !... parce que ceci !... parce que cela !... en plus de saboté comme !... par Achille, sa clique, ses critiques, ses haineux " aux ordres ", canards enragés !... les gens s'attendaient que je provoque, que je bouffe encore du Palestin, que je refonce au gniouf ! et pour le compte !... des " bienfaiteurs ", ça s'appelle !... les " hardi-petit " ! un de ces sapements ! joli Monsieur ! vingt ans !... " à vie " !... oh, mais gourrance ! bévue ! maldonne ! moi qu'attends ferme, tout au contraire, qu'on les écroue tous !... flirteurs voyous des échafauds, traves et " recluses " ! qu'on rouvre la belle Guyane pour eux ! réarme l'Ile du Diable !... plus, prime, chacun quelque chose à la langue... petits épithéliomes... tout choix ! entre carotides et pharynx...

  Bon !... mais en attendant, Brottin m'avertit : zéro !... " Vous vous vendez de moins en moins !... votre Normance ? une catastrophe !... rien possible à vous refoutre au trou !... ni pornographe ! ni fâchiste ! misère de vous !... les critiques pourtant, les crocs hors ! prêts ! venins ! tout !... se la mordent !... vous les écœurez !... leur bœuf alors ?... sans cœur !... leurs enveloppes ?... leurs familles ?... "

  (D'un château l'autre, Gallimard, 1979, p.55).

 

 

 

 

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 LE MACCHABEE ENVOLE.

 Raconter comme ça... choses et d'autres... me remet en mémoire l'assassinat de " la Maison Verte... " le maccabe esquivé !... banal ! un meurtre au bistrot, au zinc... le mystère piquant, qu'on a jamais retrouvé le cadavre ! on l'a pourtant vu ! le mec s'effondrer ! deux couteaux dans le dos !... servi le pote ! le temps qu'on avertisse les flics, qu'ils viennent qu'ils voient le mort... qu'ils aillent chercher une civière... le maccabe était envolé !... pas tout seul, bien sûr. Ils arrêtent tout le monde !... le tôlier, les témoins, la bonne, tout ! une heure après les flics rallègent ! micmac ! le cadavre était là, revenu !... bien le même ! trois couteaux dans le dos !...

  ça va plus !... ils retournent au Quart, alertent Paris !... mais le temps qu'ils retournent eux au bistrot, le cadavre encore refoutu le camp ! positif ! cache-cache !... finalement ils ont renoncé ! souvenirs en souvenirs... " Maison verte "... Porte Pouchet, bon !... je viens à parler de Saint-Vincent-de-Paul...
 (D'un château l'autre, 1979, Gallimard, p.32).

 

 

 

 

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          ORDRE A BERLIN.

 Moi, mes cannes, Lili, Bébert, nous voici touristes... cherchons un hôtel ! cette ville a déjà bien souffert... que de trous, et de chaussées soulevées !... drôle, on n'entend pas d'avions... ils s'intéressent plus à Berlin ?... je comprenais pas, mais peu à peu j'ai saisi... c'était une ville plus qu'en décors... des rues entières de façades, tous les intérieurs croulés, sombrés dans les trous... pas tout, mais presque... il paraît à Hiroshima c'est beaucoup plus propre, net, tondu... le ménage des bombardements est une science aussi, elle n'était pas encore au point... là les deux côtés de la rue faisaient encore illusion... volets clos... aussi ce qu'était assez curieux c'est que sur chaque trottoir, tous les décombres, poutres, tuiles, cheminées, étaient amoncelés, impeccable, pas en tas n'importe comment, chaque maison avait ses débris devant sa porte, à la hauteur d'un, deux étages... et des débris numérotés !... que demain la guerre aille finir, subit... il leur faudrait pas huit jours pour remettre tout en place...

  Hiroshima ils ne pourraient plus, le progrès a ses mauvais côtés... là Berlin, huit jours, ils remettraient tout debout !... les poutres, les gouttières, chaque brique, déjà repérées par numéro, peints jaune et rouge... là vous voyez un peuple s'il a l'ordre inné... la maison bien morte, qu'un cratère, tous ses boyaux, tuyaux hors, la peau, le cœur, les os, mais tout son dedans n'empêche en ordre, bien agencé, sur le trottoir... comme l'animal aux abattoirs, un coup de baguette, hop ! vous rattraperez tous ses viscères ! hop !... se remettrait à galoper ! Paris aurait été détruit vous voyez un peu les équipes à la reconstruction !... ce qu'elles feraient des briques, poutres, gouttières !... peut-être deux, trois barricades ?...
 (Nord, Folio, Gallimard, 1988, p.54).

 

 


 

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            LE CHIEN D'ULYSSE.

  Comme j'avais depuis longtemps mes entrées dans la maison, une certaine complicité s'était créée entre nous. Je ne me gênais pas pour lui saboter un peu sa révérence que je lui servais avec un petit sourire en coin assez impertinent. Je voyais alors son visage se détendre et ses yeux pétiller de malice. J'étais bien contente de voir qu'il appréciait ma rébellion.
 Je revois encore cette petite Dominique, toute menue, ouvrant de grands yeux effarés en s'accrochant à moi, un jour que nous étions devant lui :
- " Allez ! petit pas de deux et révérence ! "
 Ce cérémonial ne dura pas trop longtemps. Les enfants se plaignirent auprès de Lucettte. " Il nous fait peur. " Lucette priva Louis de révérences. L' " étiquette " fut abolie. Certainement un peu frustré, il n'en continua pas moins à siéger au bas de l'escalier.

 S'il faisait peur à beaucoup, moi, il ne m'impressionnait pas du tout, mais j'avais toujours conscience quand je l'approchais d'être devant un homme très important. " C'est un grand écrivain. " Cette affirmation de ma mère était toujours présente à mon esprit et tout naturellement l'admiration s'imposait. Je n'étais absolument pas gênée par son accoutrement un peu bizarre. C'était comme ça que devaient s'habiller les grands écrivains. C'était admis. Un point c'est tout.
  Je l'embrassais toujours de bon cœur, et avec tendresse, à chaque rencontre, et je ne doutais pas de l'affection qu'il avait pour moi. Ma mère m'avait dit aussi qu'il était très beau et j'étais fascinée par sa grande bouche. Allez savoir !

  Un jour de visite dominicale, je me trouvais dans son bureau. Il m'offrit des biscottes avec de la confiture et puis tout de go me dit :
- " Je vais te raconter une belle histoire, tu verras ça peut-être un jour dans tes études. "
 Et il me raconta l'Odyssée : Ulysse, les compagnons transformés en cochons, le Cyclope, les Sirènes... J'étais émerveillée. Sa manière de raconter me fascinait. J'avais l'impression qu'il inventait tout ça pour moi... Patatras ! Il s'arrêta :
- " Nom de Dieu ! le chien d'Ulysse ! le nom du chien ! "
 Il ne trouvait pas et répétait, agacé :
- " Le nom du chien ! le nom du chien ! "

 Rien à faire. Il ne trouvait toujours pas. Je restais la bouche ouverte. C'était terminé pour aujourd'hui.
 Le lendemain matin, ma mère trouva un bout de papier dans la boîte aux lettres. Sans bien comprendre, elle le ramena à la maison. Sur le message, écrit de la main de Céline, un seul mot : Argos.
 (Serge Perrault, Routes des Gardes : les voisins d'à côté, Autour de Céline 3, Du Lérot 1994).
 

 

 

 

 

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          CES ACADEMICIENS...

 Maurice Schuman déclare :
 " Je suis allergique, totalement allergique au style de Céline, avant même l'époque à laquelle il s'est prosterné devant l'occupant. "
  Son collègue Jean Dutourd :
 " Il y a pourtant de très bonnes choses chez Céline. "
  Félicien Marceau est là pour les rassurer :
 " il n'y a pas de fautes de grammaire ".
 (Le Quotidien de Paris, 12 janvier 1994, dans Autour de Céline 3, Ménage de printemps par J.-P. Louis).

 

 

 


 

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          L'ARRIVEE A SIGMARINGEN.

 Quand un matin du début de novembre 1944, le bruit se répandit dans Sigmaringen : " Céline vient de débarquer ", c'est de son Kränzlin que le bougre arrivait tout droit. Mémorable rentrée en scène. Les yeux encore pleins du voyage à travers l'Allemagne pilonnée, il portait une casquette de toile bleuâtre, comme les chauffeurs de locomotives vers 1905, deux ou trois de ses canadiennes superposant leur crasse et leurs trous, une paire de moufles mitées pendues au cou, et au-dessous des moufles, sur l'estomac, dans une musette, le chat Bébert, présentant sa frimousse flegmatique de pur parisien qui en a connu bien d'autres.
  Il fallait voir, devant l'apparition de ce trimardeur, la tête des militants de base, des petits miliciens : " C'est ça, le grand écrivain fasciste, le prophète génial ? " Moi-même, j'en restais sans voix.

 (...) La première stupeur passée, on lui faisait fête. Je le croyais fini pour la littérature. Quelques mois plus tôt, je n'avais vu dans son Guignol's band qu'une caricature épileptique de sa manière (je l'ai relu ce printemps, un inénarrable chef-d'œuvre, Céline a toujours eu dix, quinze ans d'avance sir nous).
  Mais il avait été un grand artiste, il restait un prodigieux voyant.
    (Lucien Rebatet, Les Cahiers de l'Herne, Poche-Club, 1968, p.43).

 

 

 


 

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         ALPHONSE JUILLAND A RETROUVE ELIZABETH CRAIG.

 En 1988, on sut qu'était retrouvée Elizabeth Craig, cette danseuse américaine qui fut la compagne de Céline pendant qu'il rédigeait Voyage, de 1926 à 1932.
 (...) La première, l'extraordinaire surprise, fut d'apprendre qu'elle n'avait pas ouvert l'exemplaire de Voyage envoyé par Céline. Elle le donna à un frère (décédé sans héritier direct : l'exemplaire est donc devenu un objet célinien mythique, comme le totem à l'oreille cassée de Tintin). Elle ignorait même que Voyage lui fût dédié. Elle avait vaguement compris que Céline avait été emprisonné (pendant l'Occupation par les Allemands, pensait-elle). Le professeur Juilland lui fit lire la traduction anglaise de Voyage, elle n'en vint pas à bout.

  (...) Elle se souvenait qu'il tenait volontiers des propos germanophiles. Mais antisémite, ce lui fut une découverte. Le seul ami de Céline qu'elle ait continué à fréquenter aux Etats-Unis était un juif (probablement le Dr Gozlan) ! Notons au passage combien le professeur Juilland est détaché des tabous et prudences (obligatoires) qui brident en Europe les études céliniennes. A la fois peureux et brave, Céline, écrit-il, " mit sa carrière en danger en écrivant Bagatelles et L'Ecole des cadavres, œuvres obsessionnelles dépourvues de sagesse, mais qui ne manquaient certainement pas de courage. "

 Le principal mérite de son livre, en fin de compte, c'est qu'il permet de mieux cerner la création célinienne. Prenons la fameuse lettre à Milton Hindus déjà citée : " ... Elle vivait dans un nuage d'alcool, de tabac, de police et de bas gangstérisme avec un nommé Ben Tenkle - sans doute bien connu des services spéciaux. "
  Exagération bien sûr, mais à partir d'une intuition, d'un coup d'œil fulgurants : Benjamin Tankel, que Céline n'a jamais rencontré, n'était pas gangster, mais tout de même agent immobilier à Las Vegas, et sa veuve Elizabeth reconnaît qu' " il avait été élevé dans le rude milieu des immigrants où descendre quelqu'un n'était pas une bien grande affaire " (du moins " par l'intermédiaire d'un tiers ").
  C'est de Céline certainement qu'Henri Mahé tenait que Ben Tankel était juif. Or Elizabeth l'ignorait : " Je n'ai jamais su, il ne m'a jamais dit qu'il était juif. (...) On ne savait pas ces choses-là, parce que personne n'en parlait à l'époque. (...) Son père était russe et sa mère franco-allemande. "
 (Etienne Nivelleau, Le retour de Molly, BC n° 141, juin 1994).

 

 

 

 


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            ARYENS , JUIFS , et COMMUNISTES.

 Aussi les Aryens lui paraissent-t-ils aujourd'hui ne valoir ni plus ni moins que les Juifs. Bien plus, ces derniers " ont payé ", comme lui Céline..., qui découvre (avec un peu de retard) qu'il était fait pour s'entendre avec eux !
  " Eux seuls sont curieux, mystiques, messianiques à ma manière. Les autres sont trop dégénérés... Des traîtres, des ordures ! Je pense des Aryens ce qu'en ont pensé au supplice Vercingétorix et Jeanne d'Arc !... Vivent les Juifs, bon Dieu ! Il y a beau temps qu'ils me sont devenus sympathiques depuis que j'ai vu les Aryens à l'œuvre, Fritz et Français, quels larbins ! Abrutis, éperdument serviles !... Certainement j'irais avec plaisir à Tel Aviv avec les Juifs ! "

  Il est une autre catégorie d'ennemis avec lesquels le polémiste de Bagatelles pour un massacre regrette, non sans ironie, de ne s'être point entendu. Ce sont les communistes : " Il paraît que Staline apprécie beaucoup mes livres, qu'il se régale du Voyage (traduction Aragon) ! Quelle chance j'ai perdue en ne prenant point la suite à Barbusse ! Actuellement, Charbonnières (diplomate français) viendrait me faire mes chaussures. Thorez m'enverrait des bonbons, et Ramadier sa fille ! "

  Verra-t-on un jour prochain l'anti-sémite et l'anti-bolcho n°1 prendre son bâton de pèlerin pour gagner les rives de la Volga ou les monts de Palestine ? Avec un personnage aussi " hénaurme " tout est possible.
  Nous croyons pourtant, quoi qu'il en puisse dire, que Montmartre et les hôpitaux parisiens seraient encore ces lieux de prédilection, malgré la " faune " qui les entoure, s'il était sûr de pouvoir y reprendre tranquillement son double métier de docteur et d'écrivain !
 (Le Phare-Dimanche, 10 octobre 1948, Présentation du Gala des vaches d'Albert Paraz, BC n°36).

 

 

 

 


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          LES CONFERENCES EN BRETAGNE.

 " J'ai été embauché par la Fondation Rockefeller. On parcourait toute la Bretagne en camion. Avec nous, il y avait un Breton canadien qui trimbalait sa femme et ses cinq enfants.
   On faisait des conférences dans les écoles sur la tuberculose. On en faisait jusqu'à cinq ou six par jour. Les paysans à qui on s'adressaient et qui parlaient surtout patois ne comprenaient pas toujours nos explications... Ils écoutaient sagement, sans rien dire... Ils regardaient surtout les films... Très instructifs, les films... On voyait des mouches se promener sur le lait... La pellicule cassait toutes les cinq minutes, ou sautait. Ça ne faisait rien... On réparait... "
  (Claude Bonnefoy, L.-F. Céline raconte sa jeunesse, Ed Dynamo, Liège, 1961).
 
 

 


 

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              DEPART POUR BADEN-BADEN.

 Effectivement c'est le 17 juin 1944, quelques jours après le débarquement des alliés, que Céline avait quitté Montmartre pour Baden-Baden, disait à qui voulait l'entendre qu'il se rendait à un congrès. " Curieux congrès, note Lucien Rebatet, pour lequel le docteur Destouches était parti avec vingt malles, dont une douzaine, selon son intime Ralph Soupault, remplies de fers à chevaux, de fers de pioches, de fil barbelé, haches, bassines, serpes, harnais, pour le troc alimentaire avec les cultivateurs teutons (trois pièces de la rue Girardon étaient paraît-il bourrées de matériel agricole dans le même dessein). Ainsi se crée les légendes. Une chose est sûre, Céline part en emmenant Bébert, le chat de Le Vigan, qui sera le témoin montmartrois de son exil. Pendant les années passées au Danemark : " Chaque soir, racontait Lucie, sa femme, il éparpille sur la table des livres montmartrois, des chansons, des photos, il passe des heures avec ses souvenirs. La nostalgie de la Butte le rend fou... "

   Ce que confirme un journaliste : " Car Céline, à Copenhague, a découvert l'idée de la patrie. Céline devient enragé. Un cafard colonial le travaille jour et nuit. Mais à la vérité, cette patrie qui le fait délirer, ce n'est pas la France, ce n'est même pas Paris, c'est la Butte. " D'exil, il écrit à Victor Carré : " Quand on est demi-morts comme nous, tout ce qui touche au dernier endroit où on a vécu devient infiniment précieux. " Il a deux livres qu'il relit constamment. A travers Montmartre et La Vie à Montmartre ; il souhaiterait aussi s'abonner au Bulletin de la Société d'histoire du vieux Montmartre " s'il existe encore. "
 (Magazine Littéraire, Nouveaux regards, octobre 2012).

 

 

 

 

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                  MUSSOLINI PARLE DE CELINE.

  J'ai lu le livre de Céline que vous m'avez apporté de France. Voyage au bout de la nuit deviendra un classique de notre siècle. Céline, vous me le confirmez, est un admirateur de la révolution. Son argot boulevardier est la langue des communards que j'ai apprise en lisant Lissagaray, Malon, Vaillant. Les faits racontés par Céline sont ce qu'ils sont. Mais son style est décidément révolutionnaire. Céline m'a fait savoir par Canudo, par Antona Traversi, par Antonio Aniante, que l'Europe de demain, quelle que soit l'issue d'une guerre mondiale future -, et ce serait trop beau de ne pas croire en cette déflagration -, sera fasciste. Il m'a fait savoir, en son temps, par Cerruti, que le texte de mon article " Le péril jaune ", réédité par vous, Yvon, dans La strada verso il popolo, l'a impressionné. Il a demandé à Cerruti de me dire que la fin de l'Europe pourrait survenir de l'Est.

  Depuis votre retour de France, vous me parlez toujours de l'écrivain Céline. J'ai lu l'argot en bouillie de Voyage au bout de la nuit. Ecriture jacobine, insatisfaction termidorienne, désir de reconstituer l'absolutisme du type anarchiste, chemin précis vers l'absolutisme de type tzariste. Faites-le vivre longtemps, un type comme Céline, et la postérité en verra des belles !
  Je ne sais pas si cet écrivain est capable d'amour. Il est prêt à exploser de rancœur. Mais que diable l'humanité lui a donc fait ? Il n'a pas compris grand-chose à Nietzsche. Et il n'a rien compris à Blanqui. Proudhon lui ronge le cerveau comme un ver. Mais comment est-il possible qu'un personnage comme Céline soit médecin ?
 (Benito Mussolini, Taccuini mussoliniani rassemblés par Yvon De Begnac, Ed. établie par Francesco Perfitti, coll. Storia Memoria, Bologne, Ed. Il Mulino, 1990, dans BC n°214).

 

 

 

 

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               FRANCOIS GIBAULT  PORTRAITISTE.

  François Gibault, biographe de Céline et avocat de renom, vient de publier son second roman, Un cheval, une alouette (La Table ronde). Roman ou confession ?

  Avec sa grande gueule et sa jambe de bois, quand il était saoul, Gen Paul pissait pour un oui ou pour un non et dans les endroits les plus insolites, sur la porte des commissariats de police, aussi bien que sur des femmes du monde ou des voitures d'enfants. " C'est le diable en personne ", disait Madame, restée très imprégnée de ce qu'en avait écrit Monsieur.
  C'est vrai qu'avec son rire jaune, ses mains longues et ses yeux électriques il y avait du Satan chez lui, surtout quand le vin de Bordeaux lui donnait des ailes qui n'avaient rien d'angéliques. C'était là surtout qu'il déconnait et pissait à tort et à travers, c'était là aussi qu'il peignait admirablement les gens comme il les voyait, et comme ils sont, déhanchés, tordus et dansants, des tronches, les yeux hors de la tête et congestionnés comme s'ils allaient exploser. Il a commencé mon portrait vingt fois, en toge, il est venu m'entendre aux Assises de Versailles, pour un assassinat, et m'a fait des petits cadeaux pour que je n'écrive pas trop de mal de lui.
  (François Gibault, BC n° 208, avril 2000).

 

 

 

 

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              AUDIARD ET CELINE.

  " Mort à crédit est le seul film à faire depuis dix ans si on veut réveiller le cinéma qui est en train de devenir la maison de campagne de la télévision ", annonça sentencieusement Audiard.
  Les choses s'emballèrent. Michel aussi. Une date de début de tournage fut même annoncée : 15 mars 1968.
 " Je garderai le plus possible des dialogues de Céline, promit l'initiateur du projet. Des pages entières de description seront dites par un commentateur tandis que défileront les images. Je tournerai en couleurs dans Paris et dans la périphérie. Beaucoup de paysages de nuit. C'est formidable la nuit à Paris. Dans mon film, comme dans le roman, il y aura du délire. "

   Il était aux anges, le Michel. Enfin, il allait pouvoir réaliser l'un de ses rêves et rendre hommage à ce Céline qu'il vénérait. Hélas, mille fois hélas, tout ce qui touchait à cet écrivain brûlait comme du soufre. Cette future œuvre, dont Audiard imaginait les plans principaux, ne put se faire. La production hésita, les acteurs furent réclamés par d'autres contrats, le scénario tardait à paraître, tout se liguait contre cette Mort à crédit.
  Déçu, aigri, Michel jeta l'éponge. Ce nouvel échec sonna le glas de la transposition à l'écran de l'œuvre de Céline. Le voyage restait inachevé, le crédit non recouvert...

  Quelques jours avant la sortie de son film Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques, Michel concrétisa un rêve d'enfant. Une folie. Il acheta une librairie rue des Grands Augustins. La Mandragore, autrefois spécialisée dans la littérature fantastique. Oh, pas une immense bâtisse, sorte de supermarché du livre où le papier se vend à la tonne et non à l'attrait, mais une petite boutique surmontée d'un appartement à peine plus grand.
  Nul dessein mercantile mais une fantaisie de bibliophile. La preuve : il voua entièrement ce lieu au culte de Céline ! Lucette Almanzor lui confia des exemplaires numérotés ainsi que des éditions originales et, pièces rares, des manuscrits.
  Audiard caressa l'envie de coupler une activité d'éditeur à ses nouvelles fonctions, publiant des inédits de son auteur fétiche. Mais face au peu d'engouement que suscita ce vœu, il renonça, l'âme blessée. Céline continuait d'être maudit et Audiard de l'aimer.
  (Philippe Durant, Michel Audiard, La vie d'un expert, préface de Jean-Paul Belmondo, Dreamland éd. 2001, dans BC n°223).


 

 

 

 

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             LA MISSION AMERICAINE EN ILLE-ET-VILAINE.

 La Mission, après un séjour à Montfort, durant lequel elle a poursuivi de la façon la plus active son rôle de propagande, va quitter cette ville pour se diriger dans le Nord du Département.
  Une conférence solennelle a été donnée à Montfort dimanche soir, dans une grande cour d'école publique. Le cinéma avait été installé en plein air, ainsi que la tribune où prirent place : M. Chantal, sous-préfet, qui présidait, entouré de M. le Docteur Vincent, Secrétaire Général des Missions Rockefeller dans le monde entier ; M. le Professeur Gunn, de l'Université de Boston ; M. le Docteur Follet, Président du Comité d'Ille-et-Vilaine des " Blessés de la Tuberculose " ; MM. Bahon, Bitouzé, et Mme Tessier, du même Comité ; M. Porteu, député de l'arrondissement, etc...
   Une foule immense se pressait sous les arbres, et les orateurs qui prirent successivement la parole furent chaleureusement applaudis. Ce fut d'abord M. le Sous-Préfet qui souhaita en termes excellents la bienvenue aux membres de la Mission et du Comité, puis M. le Professeur Gunn qui, dans un langage émouvant rappela tout ce que l'Amérique veut faire pour la France ; M. le Docteur Follet traça ensuite à grands traits l'Œuvre qu'il s'agit de mener à bien, et enfin M. Destouches, le brillant conférencier, sut à la fois charmer et instruire son auditoire. La séance de cinéma retint les assistants jusqu'à 11 heures du soir.
  La Mission Rockefeller va porter la bonne parole dans les localités suivantes : à Bécherel, le 5 mai, où sera organisée, de concert avec le Comité de l'Œuvre Grancher, sous la direction de M. Laurent, premier adjoint au Maire de Rennes, une réunion-conférence où seront présentés les enfants de l'Œuvre Grancher. Puis la Mission ira à Combourg les 8 et 9 mai pour atteindre Dol les 10, 11 et 12 mai, et arriver enfin à Saint-Malo le 14 mai. A cette date, nous donnerons tous les détails nécessaires de son action dans les quatre villes de Saint-Malo, Paramé, Saint-Servan et Dinard.
  (Le Nouvelliste - Rennes - 1er mai 1918, BC n° 222). 

 

 

 

 

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            CELINE, DE L'AUTRE COTE DE LA VIE.

  Bien que le sentiment de reconnaissance n'étrangle pas plus Céline aujourd'hui qu'hier, il n'a tout de même pas oublié certains articles parus dans Carrefour en 1952, où Roger parlait de lui comme d'un " bouc émissaire d'un grand nombre de gens " et, encore moins, du cri provocateur du même Nimier : " Donnez le Nobel à Céline ! " qui avait fait sursauter, en octobre 56, les paisibles lecteurs des Nouvelles littéraires.

  L'ardeur qu'a mis Nimier à préparer la sortie d'Un château l'autre parviendra même à impressionner Chardonne qui, dans le passé, lui avait donné ce conseil : " Ne lisez pas Céline. Vous ne buvez que de l'excellent cognac. Inutile de vous adonner à cette vodka. On en boit quand on veut s'enivrer ou en mangeant des steacks tartares. "

  A présent, au contraire, il défaille d'admiration : " Votre lancement de Céline sera mémorable. C'est un tremblement de terre. " Chardonne n'a pas changé d'opinion sur l'auteur du Voyage - dont il n'a vraisemblablement jamais lu une ligne -, mais il admire l'exploit de Nimier qui, avec la complicité amoureuse de Madeleine Chapsal, a réussi à décrocher ce " scoop " : une longue et explosive interview de Céline dans L'Express qui se veut être la voix de la France progressive.

  On a du mal aujourd'hui, si l'on n'a pas vécu cette période, à imaginer le raffut qu'a pu produire cette interview, dans le Landerneau journalistico-politico-littéraire. On s'en fera néanmoins une idée si l'on sait qu'au cours des années qui précédèrent, un Albert Béguin, " grande conscience chrétienne ", traitait Céline de " chien servile, gluant de bave rageuse ", un André Breton l'accusait de " faire appel à ce qu'il y a de plus bas au monde ", un Roger Vailland regrettait de ne pas l'avoir exécuté en 1944, un Pierre Hervé, dans L'Humanité, l'accusait, le plus sérieusement du monde, d'avoir été un " agent de la Gestapo ", et qu'un journaliste comme Bernard Lecache qui, plus tard, se taillera une réputation dans la défense des Droits de l'Homme et de la Laïcité, menaçait, tranquillement : " Qu'il revienne, Céline ! Nous l'attendrons à la gare ! "
 (Christian Millau, Editions de Fallois, BC n°196 mars 1999).


 

 

 

 

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               DERNIER REGARD SUR CELINE.

  Dans le même ordre d'idées, quand tout s'offrait à lui de ce que poursuivent généralement les petits Rastignacs : un avenir assuré dans le confort et la respectabilité bourgeoise, une médecine provinciale avec chaire à la Faculté, dîners de têtes et ruban rouge, il ne s'est pas tenu sur ses gardes, loin de là. Bien sûr, le temps n'est pas loin où le coup d'éclat du Voyage va le séparer à jamais de ce monde trop bien établi, mais, en 1919, ce n'est pas par l'opération du Saint-Esprit qu'il s'est trouvé marié à cette bien fade Edith Follet, fille du directeur de l'Ecole de Médecine de Rennes.

  On ne le forçait pas, à vingt-cinq ans, à effectuer, avec un toupet monstre et sans d'ailleurs avoir le grade de docteur, la consultation  en lieu et place de son beau-père.
  Il faut croire qu'à un moment Céline s'est trouvé un goût certain, ou pour le moins une certaine complaisance, envers cette marmelade de bons sentiments, ce provincialisme ubuesque. L'homme, alors, a réagi. Céline innocent ? Oui, mais un innocent qui connaît le goût du péché et qui se rachète par la force purifiante du cri. Il a voulu fuir une part native de lui-même - cette byzance intime -, et le célinisme a jailli d'un mouvement d'effroi.
 (Christian Dedet, Les Cahiers de la Licorne, avril 1964).  

 

 

 

 

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             AUTODIDACTE.

  (...) En outre, le fait que l'adolescence de Destouches fut très tôt éloignée du cocon familial a contribué, d'une façon durable, à forger la sensibilité de l'écrivain : l'existence débraillée du jeune Destouches s'explique en effet par sa formation effectuée loin de l'autorité parentale. Dès qu'il échappe à la tutelle austère de son père, le petit Louis semble donner libre cours à son attirance pour les milieux interlopes.
  Marcel Brochard, proche de la famille, nous apprend : " On t'envoie en Allemagne à 14 ans en vue d'apprendre la langue et le commerce. Précoce, tu couches avec ta logeuse et te fais renvoyer. On t'expédie en 1909 en Angleterre, où des aventures de même genre te font " rendre à tes parents ".
 Le service militaire, que Destouches commence en 1912, fut justement un des expédients auxquels eut recours un père désespérant d'introduire plus de discipline dans l'existence légère de son rejeton, dans l'optique de lui bâtir un avenir honorable. Celui-ci était d'ailleurs tout tracé grâce à l'assurance d'un poste commercial dans la bijouterie de Lacloche, grande maison de réputation internationale.

  L'expérience londonienne où les rencontres douteuses (proxénètes, danseuses) constituent la trame de l'existence du militaire Destouches, et où son premier mariage avec une " entraîneuse de bar " " suppose, comme le remarque Godard, une fréquentation du milieu plus que superficielle ", renforce son penchant pour la vie aventureuse des " affranchis " et des " hors-la-loi ".
  L'exploration de ce milieu insolite où le jeune et instable Destouches a jeté l'ancre, vient naturellement nourrir en profondeur la toile de fond de l'esthétique et de l'éthique de l'écrivain Céline, qui prétendra, non sans exagération, " avoir tout pour être maquereau ".
  (Mie-Kyong Shin, BC n° 249, janvier 2004).

 

 

 

 

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              CHRISTIAN DEDET ET L'HERNE.

  Anecdote plaisante, pour terminer : fin octobre, Christian Dedet voit Dominique de Roux " en bavardage avec une bonne dame blonde à la stature d'athlète, à l'accent wallon, qu'il m'avait présentée comme une ancienne maîtresse de Céline : Evelyne Pollet, venue lui apporter sa correspondance avec l'auteur du Voyage. Pas tardé à sentir un peu d'embarras - enfin amusement, de la part de D. qu'on verrait mal embarrassé de quoi que ce soit : cette dame arrivait tout droit de la gare du Nord avec sa valise et pensait que notre ami la logerait.
  Aussitôt, D. suggère que je l'emmène chez moi. Mais l'exiguïté d'un studio ? Il s'est donc résolu à lui trouver un petit hôtel, entre Cayré et Pont-Royal - le lui a offert, j'espère ? Et aujourd'hui, billet par pneu, pour me faire la nique : "
La Belge s'est extasiée sur toi. Elle a acheté Le Plus Grand des Taureaux. "
(1)

  Et Dedet de commenter malicieusement : " Oui, mais à supposer que j'aie hébergé, et réussi à pousser mon avantage avec cette personne qui dut avoir 30 ou 35 ans de moins que son illustre amant, encore nantie de forts beaux restes, je suis sûr que le fantôme de Céline m'aurait paralysé ! "
 
(1) Roman qui marqua la bibliographie taurine et hispanique des années soixante.
  (Christian Dedet, Sacrée jeunesse, Chronique des " sixties ", Les Ed. de Paris, 2003).

 

 

 

 

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              SOUVENIR D'ALBERT.

 (...) Un jour, nous trouvant à Meudon, ma femme et moi, nous acceptâmes l'invitation de Paraz et nous allâmes le voir à l'auberge-infirmerie de Vence où il régnait. Reçus à bras ouverts, environnés de menues crises d'hilarité comme un lapin-chasseur est environné de champignons, nous passâmes une drôle de journée aux côtés du pacha, dans de continuelles allées et venues.
  Il avait l'air d'un obèse dégonflé, d'où émanait une gaieté tranquille, entretenue par des acclamations féminines. Car, par toutes les portes, entraient de jeunes femmes qui se mêlaient au jeu, en se regardant entre elles plus ou moins de travers. Et le roi Albert de se tourner tantôt vers l'une, tantôt vers l'autre avec un sourire Pausole... Toutes se précipitaient pour lui offrir un gâteau, un coussin, un livre. Il répondait par une pluie de calembours.
 
  Quelques mois après, il vint à Paris, avec deux cannes et une personne de son harem. Nous en profitâmes pour pousser jusqu'à Meudon, où je vis Paraz intimidé et affligé par l'attitude de Bardamu, qui lui adressait à peine la parole. Or, durant l'exil danois des Destouches, Paraz s'était prodigué, se compromettant à fond pour défendre l'exilé, lui envoyant quantité de choses, échangeant avec lui une correspondance fervente, et l'accablant de conseils qui n'étaient pas suivis.

  L'expérience montrait qu'il ne fallait pas, avec l'auteur de Mort à crédit, jouer la familiarité, sans quoi les relations finissaient par tourner mal.
  Ce jour-là, mon Albert s'en alla fort déconfit, mais sa dévotion célinienne demeura intacte. Sa vie ne tenait malheureusement plus que par un fil. Je crois qu'il mourut l'année suivante. La position qu'il avait prise l'avait fait mettre sur toutes les listes noires.
   C'était l'habituel châtiment des non-conformistes : on ne parlait plus d'eux dans les journaux et du coup leurs livres ne se vendaient plus.
   (Robert Poulet, dans le BC n° 163, avril 1996).

 

 

 

 

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            JEAN d'ORMESSON, DE BORA BORA à BOULDER.

 Un jour, je lus dans " La Sélection du Monde " que Jean d'Ormesson avait été élu à l'Académie. Dans l'hydravion de Papeete à Bora Bora, j'avais rencontré un petit type en jeans qui prétendait avoir perdu ses bagages et qui disait s'appeler Jean d'Ormesson.
  D'Ormesson était un nom connu, on se souvenait de Wladimir. Jean n'existait pas encore et je pris ce Jean d'Ormesson pour un cousin pauvre, un routard de bonne souche, " hopping around ". Quand on amerrit dans l'île, il sauta le premier sur le débarcadère où nous attendaient deux gendarmes de la République, enfourcha un vélo et disparut. Quelque temps après, il vint me demander l'usage de ma salle de bain. Il s'était logé " en ville ", et son faré n'avait pas l'eau courante. Moi, mon bungalow était en bordure de plage, et au retour de chaque baignade, je m'émerveillais de ne jamais retrouver la trace de mes pas, c'est dire la qualité du service.

  Après sa douche, on marchait un peu, et je me souviens de conversations dans la cocoteraie qu'on arpentait un œil en l'air sur les arbres. La chute des noix de coco était un des dangers de l'île, comme les crabes quand on roulait à vélo. Il semblait connaître tout le monde à Paris, et je lui avais raconté la récente promotion à Réalités qui me valait ce tour du monde en première classe. Depuis, j'avais manqué les enchaînements, et ce Jean d'Ormesson, directeur du Figaro, élu à l'Académie française, me donna le vertige qu'éprouve le Narrateur du Temps retrouvé retrouvant le monde au sortir de sa maison de santé. Il s'agissait certainement d'une homonymie. Les d'Ormesson étaient peut-être aussi nombreux que les Monod ou les Borgeaud, et ils se partageaient les prénoms.

   (...) Bien plus tard, dans un débat à " France-Culture ", je verrai son œil bleu toujours pur de tout parti -pris aller d'un " spécialiste " à l'autre, de Godard à moi, comme à Roland Garros on suit la balle, impartialement, sans parti-pris.
    A la FNAC d'Angers où je le suivais de peu, il m'avait déjà annoncé : " Vous verrez ".
    (Philippe Alméras, BC n°236, nov. 2002).

 

 

 


 

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               NADEAU et CELINE.

 Lorsque Céline était en exil, Maurice Nadeau fit preuve de générosité envers lui. Il correspondit avec le paria et n'hésita pas à lui ouvrir les colonnes de Combat pour lui permettre de répondre à ses détracteurs.
  Au fil du temps, cette mansuétude pour l'homme s'amenuisa pour aboutir, en 1994,à un article très hostile, largement inspiré par la biographie de Ph. Alméras.
  En revanche, son admiration pour l'écrivain est toujours intacte. Dans un récent ouvrage d'entretiens, il évoque la période où il prit sa défense : " A Combat, en 1946, il était difficile de parler de Céline. Et son antisémitisme me répugnait comme à tout autre. Je ne pleurais pas sur son sort, mais si je prenais la défense d'Henry Miller au nom du droit d'expression, l'écrivain Céline - on ne peut lui refuser cette qualité - devait-il en être exclu ?
  J'ai donc publié un reportage de Massin qui venait d'aller le voir au Danemark et ce, dans Combat, quotidien de la Résistance, qui, je vous le rappelle, était dirigé par Pascal Pia qui lisait tous les articles avant impression.
  Céline - dont on était en train d'instruire le procès - m'avait écrit qu'il voulait rentrer à Paris. " Je voudrais aller sur la tombe de ma mère et voir l'Arc de triomphe ". En dépit des libelles féroces qu'il publie contre tel ou tel, des gémissements dont il fait le meilleur usage pour apparaître comme une " victime ", son procès se termine au mieux pour lui. Il s'installe à Meudon comme médecin et continue d'écrire.
 On veut me faire inviter chez lui. Je refuse, parce que je ne tiens pas à le rencontrer. L'homme Céline - que je crois pourtant profondément malheureux - ne m'intéresse pas. C'est l'écrivain que j'admire et que je continuerai d'admirer ".
  A noter que le reportage de Massin n'a pas été publié dans Combat, mais dans La Rue.
   (Maurice Nadeau, Une vie en littérature, Conversations avec Jacques Sojcher, Ed. Complexe, coll. L'ivre examen, BC n°238).    

 

 

 

 

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                NATIONAL SANS ETRE NATIONALISTE.

  Le celtisme, le mysticisme et l'exaltation de l'âme immortelle, qui fournissent à l'auteur de L'Ecole un alibi culturel à un choix politique, celui du racisme, semblent en rapport étroit avec l'influence d'Olier Mordrel, chef du mouvement autonomiste breton. Né à Paris d'une famille catholique bourgeoise et fils d'un général de l'armée coloniale, Olier Mordrel - de son vrai nom, Olivier Mordrelle - a fondé en 1919 le journal, Breiz Atao (" Bretagne toujours "), devenu en 1927 organe du parti national breton.
  Agitateur politique dans les années vingt - il a dirigé l'organisation Gwenn Ha Du (" Blanc et noir ", les couleurs du drapeau breton) perpétrant avant-guerre certains attentats dans la région -, et lié à partir de 1927 aux autonomistes alsaciens, dont Hermann Bickler alors étudiant en droit, Mordrel évolue rapidement vers un séparatisme celtique fondé sur une théorie ethno-raciste. Condamné à mort par contumace en 1940, il fonde à Berlin, où il se réfugie, un fantomatique " gouvernement breton " dans l'espoir d'obtenir des Allemands la création d'un Etat breton.
  Rentré en Bretagne après la défaite, il participe à la création d'un Conseil national breton et à la rédaction de L'Heure bretonne qui en devient l'organe. Dans cet organe, Mordrel écrit en 1941 : " Nous ne pouvons adopter l'idée de l'unité raciale des Bretons, des Toulousains, des Berbères et des Congolais ".
 
Dans Stur (" Le Gouvernail ") qu'il a fondé en 1934 et relancé en 1942, il affirme que le fascisme italien, " phénomène typiquement latin ", n'a rien à apprendre au " barbare païen celto-germain " et que le national-socialisme est d'authentique essence nordique : " L'idée de la liberté de la Bretagne [doit] avoir la pureté et la violence du mythe "
   (Stur, n°1, 1942).

  Considérant le catholicisme comme le cheval de Troie de la francisation, Mordrel veut instaurer, dans son rêve d'une fédération celtique, une église néo-païenne teintée de folklore druidique. Céline fait la connaissance de Mordrel en Bretagne, lieu natal fantasmé, où il rédige une bonne partie de Bagatelles ainsi que de L'Ecole.
  L'ouvrage d'Henri Mahé, La Brinquebale avec Céline, témoigne de fait à maintes reprises de l'intérêt particulier que l'écrivain porte au mouvement séparatiste breton.       (Mie-Kyong SHIN, BC n° 242).

 

 

 

 

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                    LE RÊVEUR BLESSÉ.

 Révélation du célèbre film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, et auteur du Rêveur casqué (4 millions d'exemplaires vendus), Christian de La Mazière avait défrayé la chronique voici trente ans en évoquant son engagement dans la division Charlemagne et sa campagne de Poméranie.
  Les céliniens savent aussi qu'il a inspiré un roman à Frédéric Vitoux, L'Ami de mon père. Ils apprendront que Le Rêveur casqué incita Brassens à écrire Mourir pour des idées...
  Ce pétulant jeune homme nous revient avec la suite de ses aventures, depuis sa sortie du bagne de Clairvaux en 1948 " jusqu'à nos jours ", ai-je envie d'écrire, tant le monde des années 40, 50 et 60 qu'il décrit avec talent paraît lointain aujourd'hui. Les Halles et leurs clandestins, les débuts du Siècle, les milieux du cinéma (Clair, Gabin, Audiard, Guitry : il les a tous côtoyés), la dolce vita (Gréco et Dalida, ses amies de cœur), mais aussi Nimier, Goscinny ou Héduy : c'est toute une galerie de portraits qui nous est proposée.

  Tour à tour cocasse et bouleversant (les pages sur les chagrins d'enfant), ce " soldat d'occasion par fidélité à un idéal blessé et [un] prisonnier politique par malaventure " dresse un tableau bigarré des cinquante dernières années, de la Provence au Togo, en passant par le Figaro-Magazine et Le Choc du mois.
  Le passage le plus émouvant pour les céliniens est celui où il parle de Le Vigan, son ami depuis 1942. C'est La Mazière qui trouvera la filière permettant à l'acteur de quitter la France pour l'Espagne, grâce à un ami condamné à mort par contumace... mais présent au procès de Pétain sous une fausse identité !
  L'ancien aspirant de la Waffen SS rend visite à La Vigue peu avant son départ pour l'Argentine, un voyage payé par des amis dont Pierre Fresnay. La Mazière travaille même un moment à un projet éditorial du plus haut intérêt : la publication de la trentaine de lettres échangées entre l'acteur exilé et Céline.
  Tout le livre, grave et léger à la fois, illustre un type d'homme en voie d'occultation : le gentilhomme européen.
    (Christophe Gérard, Christian de La Mazière, Le Rêveur blessé, Ed. de Fallois, 2003, dans BC n° 243).

 

 

 

 

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          LA LIBRAIRE de CELINE.

  Mme Thomassen, qui tenait à l'époque la Librairie française de Copenhague, Bad Stuestraede 6, et erre encore, bougonnante et bien crounie, comme aurait dit Bardamu, dans les rayons aujourd'hui tenus par sa fille, n'est pas tendre envers Céline : " Il prétendait qu'il n'avait rien à manger. Je lui apportais de la viande, du porc. Un jour, je me suis aperçue que c'était son chien qui la mangeait. Je n'acceptais pas qu'il m'achète des livres, je les lui donnais. Eh bien, quand il est rentré en France, en 1951, il est parti sans dire au revoir ni merci. Je lui ai écrit, il ne m'a jamais répondu. Il avait beau m'écrire " ma géniale libraire " du temps où je pouvais lui rendre des services : pour lui, sans doute, je n'étais qu'une libraire de province. J'en ai bien eu un peu d'amertume. "

 Le moins qu'on puisse dire, pourtant, est que Mme Thomassen n'éprouve pas de réticence envers le Céline de Bagatelles : " Moi je n'ai jamais pu lire le Voyage... je le lui avais dit, d'ailleurs. Il était très en colère. Il était très fier de ce livre. Ce qui me plaisait, c'étaient les pamphlets. Je trouvais ça très amusant. "
 
Eh bien, les choses sont claires. Mme Thomassen en rit encore, à petits coups, secouant ses joues creuses, effondrées autour des chicots disparus, à la manière des grand-mères de Chaval. La bonne blague... Assise sur une chaise au fond sombre du magasin, les larges mains posées bien à plat sur sa vieille robe noire, l'œil assez vif quand même, Mme Thomassen ramone sa mémoire : " Une chose, par exemple, il était grossier comme un pain d'orge. Il avait remarqué que je détestais les gros mots, alors il en remettait, j'essayais de rester bien impassible, il me regardait sous le nez en disant : " Tiens, elle bronche pas ".
 
Mme Thomassen s'amuse à ce souvenir comme à celui des désopilantes Bagatelles pour un massacre... Elle surveille les allées et venues de sa fille, ronchonne parce qu'elle ne sert pas assez vite les clients. " Elle voudrait m'empêcher de travailler... mais la librairie, chez moi, c'est un virus. "
   (Chère et géniale libraire, Lettres à Denise Thomassen (1949-1951), Ed. Capharnaüm et La Pince à linge, dans BC n° 244).


 

 

 

 

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            C'EST UN BELGE !

  J'ai connu Céline en 1934, dans un bistrot rue Lepic. On s'est tout de suite tutoyés avec la même cordialité et le même abandon que maintenant. Il anticipait avec une simplicité d'extra-lucide quinze ans d'amitié, je précise qu'il n'avait pas été question de présentations, il me prenait pour un client quelconque qui vient boire son café en vitesse. Plus tard, je lui ai donné le manuscrit de Bitru, il l'a lu et m'a dit : " Va voir le père Denoël, c'est un Belge ! "

  Il me disait c'est un Belge comme il eût dit c'est un faible, ou un demi-fou, ou un faisan, ou un pigeon, quelque chose de tout à fait morphologique et déterminé mais va savoir en quoi ? C'est un des mots de Céline les plus hermétiques, que j'ai pas encore élucidé, mais qui, nonobstant, m'a rendu d'énormes services. Un maître mot, un mot magique : quand j'avais des discussions avec Denoël je me disais : t'en fais pas, c'est un Belge !
   (Albert Paraz, Le Gala des vaches, 1948, dans BC n° 248, décembre 2003).

 

 

 

 

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           A SON PERE.

 C'était en 1973 au micro de Jacques Chancel (" Radioscopie "). Jean Guenot, qui venait alors d'éditer son premier livre sur Céline, confie que son père a tenté de l'en dissuader. Même l'épouse de l'auteur a été circonvenue. En vain.
  Aujourd'hui, à l'occasion du quinzième anniversaire de la mort de son père, il lui consacre un livre de plus de trois cents pages sous le titre Voilà, voilà... (Lettres à Charles) dans lequel il s'adresse directement à lui.
  Portrait cruel et tendre à la fois qui fait irrésistiblement penser au meilleur Jules Renard. Cette France provinciale évoquée ici appartient à un monde aujourd'hui révolu, et ce n'est pas le moindre charme de ce livre.

  Charles Guenot, fervent lecteur de Jaurès et d'Anatole France, tenait Céline dans le plus profond mépris. " Céline est une ordure ! ", et c'était tout. Plus de dix ans après la parution de ce livre, il y eut pourtant ce commentaire inattendu : " Tu sais, Jean, il est bon, ton livre sur Céline. "
  Celui-ci l'est tout autant, dans un genre bien différent : Guenot, passé maître dans l'art d'analyser les écritures, le qualifie lui-même fort à propos d' " écrit intime brut de première pression et marqué par l'émotion. "
  Il faut saluer l'auteur d'être parvenu à ne pas être le jouet de la vive admiration qu'il porte à Céline. Son style en est aussi éloigné que possible, et c'est tant mieux. Impossible de ne pas être touché par ce dialogue avec le père disparu où tout ce qui ne fut pas dit de son vivant se décline avec pudeur et sincérité.
   (Jean Guenot, Voilà, voilà... Lettres à Charles, Ed. Guenot, chez l'auteur, BC n° 249).