CÉLINE et MONTMARTRE
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" Retour sur la butte " par Laurent DUPEYROUX (2011)
Qui fuit la foule des touristes serait plutôt tenté d'éviter « le mont des Martyrs
», où, d'un bout l'autre de l'année, grouillent et pullulent les visiteurs, tels des
chenilles processionnaires sur l'arbre qu'elles parasitent. Pourtant, au
promeneur avisé sachant ignorer le funiculaire, les marches de la basilique et la
place du Tertre, Montmartre accepte de montrer sa face cachée, son côté
villageois, provincial et même agreste.
C'est par le versant nord, face aux banlieues rouges, qu'il faut gravir la colline
pour évoquer la « commune libre » de Montmartre et le « maquis » qui la
flanquait avant qu'il ne rétrécît comme peau de chagrin sous la poussée des
lotissements. Dès 1900, en effet, ce terrain vague glaiseux et pentu, semé de
baraques en planches – embryon de favela à la française – avait cédé la place
aux nouvelles constructions : maisons individuelles pour la plupart, celles-ci
permirent néanmoins de maintenir l'illusion de la campagne à Paris. |
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Le cabaret Au Lapin agile |
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Avant la Grande Guerre,
Montmartre paraissait encore un
village endormi, dont subsistent
aujourd'hui quelques jardins
clos de murs, de terrasses
fleuries, une sente pavée où
claquaient les fers des chevaux
se rendant à l'abreuvoir, un
carré de vignes indolentes
flirtant avec pêchers et roses
trémières, deux ou trois nobles
bâtisses qu'ombrent des arbres
centenaires, un modeste
cimetière à flanc de colline. La
toponymie est éloquente : rue
des Saules, rue de l'Abreuvoir,
clos des Abesses, château des
Brouillards. |
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Aussi n'est-il pas étonnant que
poètes et rapins, écrivains et
musiciens se trouvèrent attirés
par ce village « en altitude »,
où l'on respirait un air plus
propice à la création. Ils s'y
fixèrent de plus en plus
nombreux, jusqu'à former une
véritable colonie pendant
l'entre-deux-guerres.
Mais qui donc croisait-on dans
ce Montmartre artiste et bohème
? Quelles figures, en route pour
la renommée, en fréquentaient
alors les cafés et les rues ?
On trouvait d'abord, parmi les
soiffards gravitant autour du
Lapin agile, Roland
Dorgelès, Pierre Mac Orlan et
Francis Carco, chantres
enamourés de leur
colline. En ce temps-là, Utrillo
plantait son chevalet à tous les
coins de rues, tandis que
Pascin, juif errant ayant
rencontré la fortune sans
trouver le bonheur, préférait la
beauté graveleuse des femmes de
Pigalle qui peuplent ses toiles. |
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Figure emblématique de l'artiste
arrivé, donc marginal parmi les
marginaux, cet exilé bulgare
traînait son désenchantement
sous un éternel chapeau melon,
qu'il portait incliné sur le
front, comme un fêtard. Généreux
jusqu'à l'insouciance, il avait
coutume de régaler amis et
inconnus de bar en bar avant de
s'abandonner aux cajoleries
stipendiées des entraîneuses et
filles de joie. Ce qui ne
l'empêcha pas, finalement, une
nuit d'hiver, de se pendre dans
son atelier du boulevard Clichy.
Entre-temps, Max Jacob, Picasso
et Juan Gris, qui croyaient
comme Baudelaire que les
parfums, les couleurs et les
sons se répondent, avaient
trouvé refuge au
Bateau-Lavoir, phalanstère
ouvert à tous les talents. |
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Gen Paul, Céline et P. Labric le
maire de Montmartre |
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Dans les années 1930, Marcel
Aymé, Céline et le peintre Gen
Paul
menaient joyeuses beuveries en
l'atelier de ce dernier, dont le
piano faisait
quelquefois office d'urinoir
lors de soirées trop arrosées. A
tout ce joli monde se
mêlaient comédiens en quête de
reconnaissance, chanteurs de
bastringue et,
bien sûr, modèles offertes au
plus offrant sinon au plus
aimant.
Avec sa Féerie pour une autre
fois, Céline se fera plus
tard le chroniqueur
savoureux du petit peuple de la
Butte confronté aux misères de
la guerre et
contraint plus souvent qu'à son
tour, pendant les alertes
aériennes, à se
réfugier dans les caves, les
escaliers d'immeubles ou la
station de métro
Lamarck-Caulaincourt. |
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Montmartre, par Gen Paul |
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En effet, depuis le 3 mars 1942
– premier bombardement allié sur
Paris occupé, visant les usines
Renault de Boulogne-Billancourt
-, les
bombardiers anglais, puis
américains multiplient les raids
aériens sur la capitale, et les
dégâts « collatéraux » sont
monnaie courante. En 1944, le
dépôt ferroviaire de la Chapelle
et celui des Batignolles,
l'aéroport du Bourget et les
usines de la banlieue nord
deviennent des cibles
privilégiées, entraînant
régulièrement le survol de la
Butte à plus ou moins haute
altitude. |
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Céline, donc, rythme son récit
au gré des alertes et, de la
promiscuité forcée dans les
abris, fait le ressort de scènes
cocasses, triviales ou
grinçantes, qui confinent
souvent au burlesque. Aucune
plaque ne rappelle son souvenir
au passant. La prévention
légitime que peuvent inspirer
ses Bagatelles pour un
massacre ne saurait pourtant
occulter l'ensemble d'une œuvre
multiple et foisonnante, que
d'aucuns
voudraient en vain réduire aux
dimensions d'un pamphlet
venimeux.
On ne saurait non plus ignorer
le dévouement exemplaire du
médecin des pauvres que Céline
fut aussi, soulageant les
malades du voisinage, comme ceux
affluant dans les dispensaires
de banlieue où il officia sans
relâche pendant toute la guerre.
Justice ayant été rendue, en son
temps, elle ne lui sera vraiment
rendue que le
jour où l'on pourra lire sur la
façade du 4, rue Girardon, son
dernier domicile
montmartrois :
ICI VÉCUT DE 1941 À 1944
LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT
CÉLINE,
HOMME DE L'ART ET DES LETTRES,
BÉNI DES INDIGENTS,
HONNI DES BIEN-PENSANTS
(Le Petit Célinien, 15 janvier
2014, Rêveries d'un promeneur) |
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LES
AMIS de la BUTTE
Montmartre... Céline y vécut de
1929 à 1944 quasiment. Il y
trouve les artistes bohèmes, et
la faune demi-mondaine qui
tournent autour de la Butte...
Céline a ses habitudes dans les
bistrots du coin. Au Pigall's
Café, il rédige sa
correspondance sur du papier à
en-tête. Il fréquente Chez
Manière le
café-tabac-restaurant, et
retrouve chez Janie Pomme,
Chez Pomme rue Lepic, le
plus célèbre bistrot de la Butte
de l'avant-guerre, tous ceux qui
comptent à Montmartre.
Au Rêve,
95 rue Caulaincourt, se
retrouvaient Céline, Marcel Aymé
et Gen Paul.
Céline adopte d'autant plus
facilement Montmartre que
l'adolescent truculent et
itinérant était de toute
évidence fait pour se faire
adopter par cet espace urbain.
A Montmartre, où l'on vit
défiler au début de ce siècle
l'avant-garde de l'époque -
cubistes, fauves, abstraits,
membres de l'école de Paris et
leurs défenseurs littéraires -,
succède à partir des années
trente la Rive gauche : celle-ci
devient le quartier
d'élection des peintres et des
poètes, le lieu privilégié des
écrivains et des
intellectuels, et va le rester
pendant plus de vingt ans. |
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La Rive gauche leur offre les
divertissements des cafés de
Saint- Germain-des-Prés (Deux
Magots, Flore, brasserie Lipp),
des galeries et des théâtres
(Vieux Colombier), leur assure
l'activité intense des maisons
d'édition (La Nouvelle Revue
Française, Grasset et Rieder) et
des revues (Voilà, Marianne, La
Revue universelle, La Revue
critique) concentrées à
Saint-Germain-des-Prés ; elle
assure même à l'intérieur du
quartier Latin, qui regroupe les
établissements d'éducation les
plus prestigieux (Sorbonne,
Ecole normale), |
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Au
Rêve, rue Caulaincourt |
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la reproduction de la génération
suivante, celle qui prendra le
relais de ses aînés. Alors donc
que Montparnasse devient le pôle
d'attraction des intellectuels,
le milieu bohème montmartrois
est constitué par une catégorie
professionnelle toute
différente. La vie de bohème,
dont Pierre Mac Orlan, Roland
Dorgelès et Francis Carco ont
contribué à forger l'identité
précise, y est essentiellement
animée par la population des
illustrateurs et caricaturistes,
des chanteurs et des acteurs de
spectacles, dont les habitués du
" salon " de Gen Paul
constituent un échantillon
représentatif.
Nicholas Hewitt donne des
précisions sur les
caractéristiques communes des
ces bohèmes montmartrois : ils
sont tous des anciens
combattants (Céline, Gen Paul,
Marcel Aymé, Mac Orlan, Gus Bofa,
Roland Dorgelès, Président de
l'Association des Ecrivains
Anciens Combattants), revenus
pacifistes des champs de
bataille mais qui n'en restent
pas moins cocardiers : " Pour
s'être permis une innocente
plaisanterie, Pascin fut rossé
de belle façon par le graveur
Daragnès. Haïssant la guerre,
ils en parlaient sans cesse,
très fiers du courage qu'ils
avaient montré, de l'astuce qui
leur avait permis de survivre. "
(N.Hewitt, Images of
Montmartre in French writing, La
Bohème réactionnaire 1920 1960). |
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Une tendance politique
réactionnaire se forme parmi
eux. La bohème de la Butte "
comme village essentiellement
représentatif d'une France
profonde en lutte avec le
cosmopolitisme croissant de la
Rive gauche ", n'est pas exempte
de racisme, voire
d'antisémitisme. Le
caricaturiste Géo Sim commente
le passage du peintre Modigliani
de Montmartre à Montparnasse en
ces termes : " Un soir de
beuverie au Lapin A.
Gill, complètement écœuré, il
abandonnera la Butte comme la
plupart des métèques ; ne
cachant point son origine
israélite, il s'en ira rejoindre
les " Bicots du Montparno ".
(Nicholas Hewitt, Le
Montmartre de Céline, p.107). |
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GEN
PAUL
« [...] Moi, j’ai connu
Ferdinand, il parlait pas
l’argot. [...] Je me souviens
quand il a écrit Guignol’s
band, il voulait décrire les
docks de Londres. Un jour, il
descend. Il me poire: " Dis
donc, je cherche un mot. Un mot
qui n’est ni une odeur animale,
ni une odeur humaine." Tu sais,
quand tu vas dans les docks, ça
renifle, ça a une odeur. Alors,
je cherche, on cherche... Il me
dit : "Je veux un mot mais qui
monte en l’air ! " |
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Ça faisait partie de sa musique.
Tu dis café , c’est à ras de
terre, poivre, c'est à ras de
terre, thé, c'est à ras de
terre, muscade, c'est à ras de
terre.
Alors, on cherche, on cherche...
Puis, je me suis souvenu que...
dans mes voyages en Espagne, la
pâtisserie était aromatisée à la
cannelle. Je lui dis: "
Cannelle." Ah, il s'exclame: "
C’est ça que je voulais !
Cannelle !!! " »
« Entretien avec Gen Paul »,
Propos recueillis par Alphonse
Boudard et Michel Polac.
Émission Bibliothèque de poche :
D'un Céline l'autre (1969). |
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LA MESSE CHEZ GEGENE.
Sur la Butte, Céline retrouve
aussi ses vieux amis : le
peintre Gen Paul, dont l'atelier
est en contrebas de son
domicile, l'acteur Le Vigan qui
loge juste à côté, Marcel Aymé,
en voisin, avenue Junot, le
dessinateur Ralph Soupault... Le
dimanche matin, ce petit monde
se réunit dans l'atelier de Gen
Paul et fait renaître, pour
quelques heures, l'esprit
frondeur montmartrois. Au milieu
de ces amis et d'une faune
interlope, dans un bric-à-brac
indescriptible, on parle de tout
et de rien en toute liberté,
comme le raconte Pierre Vals, un
témoin de l'époque : " Gen Paul
- Gégène pour les intimes -
recevait des amis en qui il
avait confiance [il fallait se
méfier de la Gestapo], le
dimanche matin dans son atelier
au 2 de l'avenue Junot. Nous
appelions ces réunions " la
messe chez Gégène ". |
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En fait c'était Céline qui
prêchait. Et Gen Paul servait la
messe. Céline discourait dans
son langage si particulier,
Gégène approuvait tout en
regrettant que Céline tienne le
" crachoir ". " Si on
enregistrait ce mec, disait Gen
Paul, on aurait un bouquin de
plus en librairie. " Chaque
dimanche, Ferdinand demandait
qu'il y ait un invité surprise,
quelqu'un qui avait vécu une
aventure étonnante, en langage
célinien " un branque " qui dise
des choses vraies, mais aussi
des conneries. |
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C'était quelquefois un ouvrier
de travail obligatoire en
Allemagne, un spécialiste du
marché noir, ce marchand de vin
qui vendait aux Allemands une
affreuse piquette qu'il appelait
" pommero " en changeant les
étiquettes. L'invité le plus
pittoresque, ce fut le petit
homme qui ressemblait au "
Topaze " de Marcel Pagnol qui a
réussi à vendre à l'état-major
allemand qui manquait de bois de
chauffage, cinq hectares de la
forêt de Fontainebleau.
Il a falsifié le cadastre, fait
un piquetage en forêt sur la
parcelle avec des |
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Gen Paul au piano |
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pancartes " Propriété privée ".
Il s'est fait passer pour le
propriétaire après la visite sur
place des acheteurs. Il les a
traités royalement dans une
auberge du " marché noir " des
environs, muni d'un confortable
chèque en acompte...
Il a disparu après nous avoir
raconté son exploit et le bois
n'a jamais été livré.
Après ces réunions
dominicales, Céline rentrait
chez lui rue Girardon. Nous
allions, Gen Paul, Zavaroni et
Soupault, à la recherche d'un
steak-frites, denrée très rare à
Montmartre, avant de nous
séparer. Gen Paul, imitant
Céline, nous demandait de ne pas
oublier un " connard " pour le
dimanche suivant. " Parfois, à
défaut de " steak-frites ", les
complices se retrouvent Au
Rêve, un bistrot du " bas
Montmartre ", sis 89, rue
Caulaincourt, et qui existe
encore aujourd'hui, zinc et
ambiance garantis d'époque.
(David Alliot, Le Paris de
Céline, Editions Alexandrines,
janvier 2017, p.84). |
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Bugles, trompettes et
palettes... |
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Au milieu d'un amoncellement de
chevalets, de bidons, de
matelas, de toiles inachevées,
de cartons éventrés, de
palettes, sous des quantités de
clairons, bugles, trompettes
accrochés aux murs, se
retrouvent ceux du lieu, Marcel
Aymé, l'acteur Robert Le Vigan,
Henri Mahé, Daragnès le graveur,
Ralph Soupault le dessinateur,
et les visiteurs du moment,
Vlaminck, l'actrice Marie Bell,
le comédien Michel Simon, la
chanteuse réaliste Damia... "
Vers 1937-1938, quand il
commence à publier les
pamphlets, Mea culpa,
Bagatelles pour un massacre,
L'Ecole des cadavres, il y a
messe tous les dimanches et même
vêpres si l'assistance en
redemande.
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Le
médecin de banlieue a viré
prophète. Il a lâché le tweed
anglais pour une grosse
canadienne doublée de peau de
mouton. Il arrive en moto, ses
gants accrochés autour du cou
par une ficelle. Ce n'est plus
un atelier mais une grotte. Ça
déborde sur le trottoir. A
l'affiche, il y a tous les
cavaliers de l'Apocalypse : les
soviets, les juifs, les
francs-macs, les anglishes...
tous faux-derches et cie. Selon
l'un des participants, " il
prédisait pour la fin de l'été
des des catastrophes, des
guerres puantes, des coulées
d'abcès monstrueux crevant sur
le monde. "
(Paris-Céline, Patrick
Buisson, 2012). |
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Le
soir, il entraîne Elizabeth dans
des soirées où la fantaisie joue
aux quilles avec les tabous en
compagnie d'une petite bande
d'artistes pétulants que la nuit
transforme en noceurs éméchés.
Ils sont des habitués des
spectacles de Charles Dullin à
l'Atelier, vont applaudir
Isadora Duncan aux
Folies-Bergère. |
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Mais
la taule préférée de Ferdine
c'est L'Européen, un
ancien café-concert devenu "
music-hall " en 1925. Située à
deux pas de la place Clichy, la
salle accueille tous les genres
de spectacles que Céline
affectionne particulièrement.
A l'affiche de l'Européen se
succèdent les animateurs de
revues comme Fragson, Dearly,
Mayol ou encore son ami Max
Revol pour lequel il composera
deux chansons " Règlement
" et " A nœud coulant "
et les grands noms de la
chanson populaire tels Fréhel,
Damia ou le fantaisiste Georgius,
l'immortel auteur du " Lycée
Papillon " et de " La plus bath
des javas " qui mélange avec
bonheur la loufoquerie cinoque
et la parodie surréaliste. "(Paris-Céline,
Patrick Buisson, 2012). |
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HENRI MAHÉ
Louis emmène aussi Elizabeth "
l'Impératrice " sur la " Malamoa
" la péniche d'Henri Mahé, où
son portrait trône dans le
salon. Celui-ci, livre un très
beau témoignage en forme de
portrait de la danseuse : "
Elizabeth Craig... Lili... De
grands yeux verts cobalt... Un
petit nez fin... Une bouche
rectangulaire sensuelle... De
longs cheveux or roux tombent en
boucle sur les épaules... De
petits seins fermes et
arrogants... Le cul aussi bien
haut !... Des jambes de
danseuse... A s'en faire un
collier... (...) Elle ne marche
pas, elle glisse, très droite.
Sa petite tête fière ne bouge
pas. S'écroule la terre !...
Elle ne parle pas, elle murmure,
alors ses yeux et ses paupières
tressaillent. Dans la rue, elle
est souvent suivie, accostée.
Flegmatique, sans même un
regard, elle dit simplement : "
C'est cent francs ! " Radical !
" |
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Céline sur le bateau du peintre
Henri Mahé, St Malo, 1936. |
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Henri Mahé raconte aussi dans
La Brinquebale avec Céline,
" Qu'elle n'accordait ses
faveurs qu'aux vieux amis et aux
jeunes amies de Louis, si ça
amusait Louis. " Et ça l'amusait
souvent. Henri Mahé, marié à
Rennes en 1927 avec Maguy
Malosse est breton comme Louis,
il vit un temps à Montmartre,
puis achète une péniche en 1928,
La Malamoa, qu'il amarre
quai de Bourbon. C'est la vie de
bohème. Maguy pratique le piano
cinq heures par jour, Henri
peint et apprend l'accordéon. |
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Immense écrivain, il a été
attaqué surtout par ceux qui ne
supportaient pas que ses romans
décrivent assez crûment la
France des années quarante et
l'épuration. Celui qui met sur
le même pied les collaborateur
monstrueux et les revanchards
sinistres, qui décrit avec une
exactitude désinvolte le marché
noir, les dénonciations, les
règlements de comptes (Le
Chemin des écoliers, Uranus)...
Au vrai, ce ne sont pas ses
écrits qui lui valurent
l'accusation de collaboration,
mais la défense de ses amis,
Robert Brasillach en 1945,
Maurice Bardèche en 1949 et
Céline en 1950. Le 8 mars 1951,
profitant d'une représentation
de Clérambard au
Danemark, Marcel Aymé rendra
visite à Céline dans la
propriété de Me Mikkelsen à
Klarskovgraard. |
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Un autre phénomène apparaît sur
la Butte en 1934, au 12 de la
rue Girardon, l'acteur Robert Le
Vigan. Robert-Charles-Alexandre
Coquillaud dit Le Vigan joue des
quantités de petits rôles,
interprète Molière et Georges
Bernard Shaw, rencontre Julien
Duvivier qui le fait jouer dans
Les Cinq Gentlemen maudits.
Puis il tourne dans La
Bandera, les Bas-Fonds
et le Quai des brumes qui
le rendent célèbre. Céline le
rencontre après qu'il venait de
jouer le Christ dans Golgotha
où il s'était fait arracher 8
dents et limer quelques autres
pour mieux ressembler au visage
de celui-ci. Colette dira, après
l'avoir vu jouer que Le Vigan
était un acteur " saisissant,
immatériel, sans artifice, quasi
céleste ".
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Entre les deux " monstres ",
l'amitié s'installe, elle sera
scellée avec le chat Bébert
acheté à La Samaritaine,
offert par Le Vigan à Céline.
Quant à l'écrivain, il lui
apportera une postérité qui
dépassera le succès du cinéma,
avec la figure de " La Vigue "
magistralement évoquée dans
D'un château l'autre et
Nord.
LA GUERRE à MONTMARTRE
PARIS, L'OCCUPATION
ALLEMANDE.
Les troupes allemandes occupent
maintenant Montmartre. On voit
des quantités de " vert-de-gris
", appareils photos en
bandoulière, à la recherche de "
saucisses " (femmes à boches).
On ne célèbre plus la " messe
chez Gégène " le dimanche.
L'atelier du peintre n'est plus
fréquenté que par des amis sûrs.
Céline reçoit du courrier de la
part de la Résistance, des
boîtes d'allumettes peintes en
noir, avec une croix blanche,
autant de menaces de cercueil...
Du cinquième, Céline sait
parfaitement ce qui se passe
juste à l'étage au-dessous. Il
soignera même, un beau jour, un
résistant que lui amène
Champfleury, torturé par la
Gestapo. |
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La ville de Paris est déclarée
ville
ouverte et va être occupée, de
la
débâcle jusqu'au 25 août 1944.
La vie
quotidienne y est plus difficile
mais
reste à peu près la même
qu'avant la
guerre. Les salles de cinéma
présentent des films à succès,
les
salles de spectacle, les
cabarets, les
restaurants, les théâtres
restent
ouverts. Le " tout-Paris "
fréquente
l'hôtel particulier de Sacha
Guitry. |
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Montmartre sous l'occupation |
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Le quartier de Montmartre va
conserver sa vocation
touristique, 200 maisons closes
environ fonctionnent. Vainqueurs
dans une guerre facile, ayant
conquis une capitale sans
ruines, les soldats allemands
font du Gay Paris un but
d'excursion et dès la seconde
semaine de juillet 39, prennent
le chemin du Lido, du
Casino de Paris, des
Folies-Bergères, du
Concert Mayol, de toutes ces
salles, qui par la plume et la
cuisse prouvent abondamment que
" Paris reste toujours Paris ".
Pour les grandes manœuvres
galantes, Paris est divisé en
trois secteurs : Montmartre,
Montparnasse, Champs-Elysées...
Lorsque tant de Français ont
faim et froid, dans ce cruel
hiver 1941, par exemple,
certains journaux évoqueront
sans
dignité ce club où, " les murs,
rose et or, enclosent
précieusement une atmosphère
tiède, où " le rayon du
projecteur sent l'orange
cependant que le tintement de la
glace dans les seaux meuble les
brefs silences de l'orchestre...
" |
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Officiers allemands au
spectacle |
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Tous les jours comme
avant-guerre, à l'heure de
l'apéritif, Jean d'Esparbès et
moi-même retrouvions L.F.
Céline, Gen Paul et Le Vigan au
Taureau ou au Maquis.
Le café était tenu par une
actrice du
cinéma muet, qui avait joué dans
La Loupiotte. Le dessinateur
Poulbot s'y
rendait quelquefois, ainsi que
le bougnat Madamour qui habitait
5 rue d'Orchampt. Je connaissais
Jean d'Esparbès, un ancien des
Corps-Francs, mi anarchiste, mi
bonapartiste, un montmartrois
cultivé, un poète et surtout un
bon peintre. Son " Buveur
d'Absinthe " avait fait sa
gloire : à peine sec il était
vendu. |
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Jean était entré au M.L.N. avec
moi. Céline ne manquait jamais
de lui poser mille questions sur
la légende impériale. Gen Paul
ne disait rien. Il avait deux
passions : peindre et boire.
Anarchiste, il détestait les
particules. Il ne portait pas de
décorations : sa jambe droite
amputée suffisait.
Le Vigan était l'acteur du trio.
Il jouait aux illuminés en
racontant sa vie. Toujours
survolté, il se faisait
remarquer. |
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Ici vécut Louis-Ferdinand Céline |
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Avec son amie Tinou, il
communiquait par gestes et
signes cabalistiques,
hermétiques à autrui. Marcel
Aymé venait parfois, mais il
pouvait rester des heures sans
dire un mot. De son voyage en
Amérique, il n'avait envoyé aux
copains que des cartes postales
représentant des cimetières, et
il avait tout dit. "
(Pierre Pétrovitch, Céline à
Montmartre sous l'Occupation, La
Revue célinienne, 1981)
MONTMARTRE SOUS LES BOMBES.
2 heures du matin, le 22 avril
1944, les avions anglais et
américains bombardent le nord et
le sud-est de Paris. Est visé,
le centre de chemins de fer de
La Chapelle. La cible est ratée
et Montmartre, la Butte sont
dévastés : 259 morts avec plus
de 200 blessés uniquement pour
le 18ième arrondissement.
Céline ne peut passer à côté
d'un tel évènement... " En
arrière, Lili ! en arrière Trois
pas avec elle, arrière !...
c'est des confettis qui
crépitent ... pas des confettis
ordinaires !... le plancher
hoque, |
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Aujourd'hui on enterre tout le
monde |
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gode... un avion remonte juste
hurlant
du gouffre Marcadet... ils
rentrent
chez eux direction nord !...
entre le
Sacré-Cœur et le Beffroi... le
Beffroi "
broum " ! des grandes messes
!... des
enterrements d'archevêques !...
broum !... aujourd'hui on
enterre tout
le monde ! broum !... deux
avions
encore jaillissent du fond
Caulaincourt
!... ils ont lâché une marmite !
deux !
trois... elles éclatent en
s'étalant !... en
flaque... brrrroum !... vous
savez !... en
mare de mitraille qui s'étale...
"
" Je lâche pas la rampe, je veux
tout
voir !... "
- Jamais on retrouvera le
Sacré-Cœur !
Je prédis ! alors un immeuble
comme
le nôtre !... briques !
mosaïques !...
ascenseur ! où qu'on ira ? même
d'une |
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mine à certaine distance on
volera aux cieux ! construction
d'une époque légère !... même la
façon que les avions frisent,
frôlent nos gouttières !... tout
tremble ! tuiles ! fondations !
assiettes ! alors ? j'ai
l'instinct que tout va être
englouti ! belle aventure, les
catacombes ! et nous fonçons
sans un pli ! des fulgurations
pareilles dépassent les moyens
humains ! n'importe qui reste
baba, s'attend au pire... bon !
Lili
aussi...mais je lui demande
pas... un déluge remue ciel et
terre... c'est un spectacle et
puis c'est tout... les shrapnels
piquent dans les brasiers,
éclosent en bleu, en jaune... en
rouge...
- Tiens-moi ! elle me demande,
tiens-moi ! "
(Féerie pour une autre
fois).
Bien après la guerre et cet
évènement, Céline va utiliser
tout son génie pour retracer ces
moments dantesques bien dignes
de son talent. Le chroniqueur va
alors relier ceux-ci à ce qu'il
estime la " trahison " de Gen
Paul. Le peintre s'était répandu
en propos acerbes contre lui, en
répétant, qu'après la
Libération, il n'avait plus pu
vendre une seule toile à cause
de son antisémitisme... Dans son
Féerie pour une autre fois,
Céline va représenter Gen Paul
en affreux unijambiste, dans son
fauteuil à roulettes, au dessus
du Moulin de la Galette, en
train de devenir le chef
d'orchestre diabolique,
organisateur de ces
déchaînements... " ... c'est le
Jules, je le jurerais sur la Foi
! c'est le Jules qu'est
responsable de tout !... un
néfaste comme on en voit peu...
artiste carabosse lubrique !...
il incante ! il incante, voilà !
il incante sans cannes à présent
!... |
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par la force des gestes ! il est
placé, vous pensez !... tout au
sommet des
incendies ! c'est miraculeux
qu'il
flanche pas, qu'il crève pas
enfin sa
rampe... chavire pas au brasier
autour... tous les bosquets
crépitent
assez ! vert... rouge... y a du
surnaturel dans Jules, la façon
qu'il
s'équilibre, redresse, surnage,
roule
et redéroule ! hue ! dia !
pivote !
pirouette !... ce qu'il faisait
admirer
comme chefs-d'œuvre dans son
atelier, ses effets
abracadabrants...
enfin, d'après ma jugeotte...
c'était
rien à côté de l'actuel ! de ce
qu'il
nous faisait voir sur Paris ! la
façon qu'il
tenait la tempête, qu'il
barbouillait le
ciel, bleu, vert, jaune ! qu'il
faisait
éclater les geysers !... où il
voulait !
comme il voulait ! à la canne !
au
geste !... précipiter les
aravions ! les
charges qui s'entrecroisaient
!... et
qu'il faisait sauter les usines
!...
renverser les églises au ciel
!...
clochers retournés ! "
(Féerie pour une autre fois). |
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La façon qu'il tenait la
tempête, à la canne, au geste,
sauter les usines !... |
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Si vous cherchez Céline à
Montmartre, vous trouverez
Dalida. |
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Le 5ième étage du 4 rue Girardon |
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La rue Girardon à Montmartre
abrite le spectre de
Louis-Ferdinand Céline, qui y a
vécu de 1941 à 1944, mais aussi
celui de la chanteuse Dalida...
Aujourd'hui, on part pour un
lieu à la fois touristique et à
la fois pas du tout :
l'appartement de Louis-Ferdinand
Céline au 4 de la rue Girardon,
à Montmartre dans le 18ème
arrondissement de Paris. J'y
suis donc allé, hier, poussé par
la quête de l'esprit des lieux.
L'immeuble est tout à fait
massif. Mais on ne peut
évidemment pas y accéder. J'ai
donc attendu un peu, scruté le
cinquième étage, croisé un
groupe qui semblait s'adonner à
une sorte d’escape game avec des
casques et des applis : " on est
bien rue Girardon là, il faut
continuer par là je pense…" et
aussi un certain nombre de
touristes, comme il est d'usage
dans ce quartier un lundi 9
août. Rien cependant n'y indique
la présence de l'écrivain.
Aucune plaque, aucun signe ne
marque son passage dans le
quartier, et cette absence fait
débat chez les céliniens, comme
les non-céliniens. |
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En continuant ma route,
légèrement déçu, au bout de la
rue Girardon, j’arrive sur une
petite place circulaire à
l'ombre de quelques arbres. On
peut ici y admirer un buste :
celui de Lolanda Gigliotti, plus
connue sous le nom de Dalida.
Cette dernière a en effet vécu
au n° 11 bis de la rue d'Orchampt,
où une plaque de marbre honore
sa mémoire : " Dalida a vécu
dans cette maison de 1962 à
1987, ses amis Montmartrois ne
l'oublieront pas. " Il se
joue, sur la petite montagne
parisienne |
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Dalida, son buste à Montmartre |
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et à même la pierre, une
bataille des mémoires
artistiques.
Mais l'affaire se complexifie
d'un tour supplémentaire, quand
on apprend que dans cette maison
de la rue d'Orchampt, Céline a
aussi vécu, mais avant d’habiter
rue Girardon ! Et ce dès 1929,
avec sa compagne précédente,
Elizabeth Craig.
Céline et Dalida ont donc vécu
dans la même maison, à trente
ans d’intervalle. On pourrait
longtemps imaginer des ponts et
gloser sur les liens mystérieux
qui unissent Céline et Dalida,
la chanteuse populaire et
l'auteur maudit : l'avait-elle
lu ? Savait-elle qu'il avait
habité là ? Et lui, mort en
1961, peut-être a-t-il entendu
Bambino à la radio, tube
de 1956 ? Du travail pour les
biographes...
(R. de Becdelièvre, Radio
France, Esprit des lieux, 10
août 2021). |
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