CHALEUR HUMAINE, GENTILLESSE
et TENDRESSE...
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Absolument aucune de ces
qualités ne figure dans le gros
pavé de 1180 pages, pesant 1,3
kg paru en 2017... " Céline,
la race, le Juif
", de Pierre-André
Taguieff, Annick Duraffour
ET POURTANT :
Loin des discours convenus, des
jugements superficiels, des a
priori jaloux et
mesquins d'un Sartre, ou des
rodomontades d'un Vailland, il
faut écouter, une bonne
fois, ceux qui ont approché
Céline, l'ont fréquenté, ont été
des témoins privilégiés de ses
activités professionnelles ou
plus intimes.
On découvre vite un Céline
insoupçonné. Ceux-là, médecins
ou militaires,
compagnons de route ou
adversaires, notabilités ou gens
ordinaires de toutes
tendances et de divers horizons,
ont volontiers souligné la
singularité du personnage, sa
riche personnalité, envahissante
parfois mais si séduisante,
au-delà des boutades
incongrues, des emportements et
des anathèmes jetés en vrac ; je
pense à des
camarades de guerre, Milon ou
Camus, au professeur Debré, à
Rajchman et à bien
d'autres praticiens, à d'anciens
malades, à des journalistes de
diverses opinions : tous
ont insisté sur l'impression de
chaleur humaine que dégageait
Céline, ont dit sa
gentillesse et la tendresse dont
il faisait preuve.
C'est le docteur Morin,
condisciple de PCN en 1919 et
familier des années suivantes,
qui garde le souvenir d'un "
tendre " déçu déjà par
l'absence de chaleur humaine,
mais noyant ses regrets "
dans une atmosphère riante
d'invectives ". Ou le
docteur juif Robert Brami
soulignant la bonté et la
simplicité de Céline : |
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" Il aimait l'homme, l'être
humain et rêvait toujours de
cette justice qui n'existe pas.
"
Ou Clément Camus, cet autre
médecin, affirmant la passion de
Céline pour la vie, pour la
condition humaine, et relatant
le souvenir de sa dernière
visite à Meudon :
" Je garde de cet instant le
souvenir et l'émoi d'une grande
tendresse, visible,
illuminante.
"
Ce sont aussi des écrivains
proches ou non de Céline, et
touchés et subjugués. Paul
Morand, par exemple ou Jack
Kerouac, René Schwob ou Michel
Déon. Ou Marcel Aymé
le voisin de la Butte et le
fidèle visiteur de Meudon,
affirmant que Céline "
n'était pas
homme au coeur dur
", et parlant " d'une
générosité de sentiments ". |
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Ce sont encore des
personnalités étrangères au
milieu célinien et s'exprimant
avec
force. Ainsi le pasteur Löchen
ou Ole Vinding, témoins de
l'exil danois.
Médecins, écrivains,
personnalités de rencontre, et
puis critiques littéraires ou
journalistes. Encore quelques
voix, dont l'emphase, dans
certains cas, ne doit pas
masquer la pertinence de
l'observation. Marc Hanrez voit
en Céline " un moine
blasphémateur et généreux
". Robert Poulet montre " un
écrivain forcené sous l'armure
duquel se dissimulait un homme
tendre et bon ". Pierre
Ducrocq décrit " un être de
bonté et de fraternité pour les
misères du monde... "
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Laissons la parole aux femmes,
souvent plus sensibles, aux
femmes célèbres ou
anonymes. S'il existe un
témoignage précieux, c'est bien
celui d'Elizabeth Craig.
Elle rencontre Céline à Genève
et partage son existence
quelques années.
Celle que l'écrivain et ses amis
appellent l'Impératrice,
danseuse inspirée, demeure pour
la postérité le grand amour de
Céline ; son inspiratrice aussi,
le modèle de Molly et de
quelques autres femmes fées
illuminant les romans :
" Quel génie que cette femme
! Je n'aurais jamais rien été
sans elle - Quel esprit,
quelle finesse... Quel
panthéisme douloureux et
espiègle à la fois. Quelle
poésie... Quel mystère... Elle
comprenait tout avant qu'on n'en
ait dit un mot. "
Retrouvée
en 1988, en Californie, par
Alphonse Juilland, Elizabeth
révèle les
obsessions céliniennes de la
misère côtoyée dans les
dispensaires :
" Il avait trop conscience de la
souffrance humaine ", ou encore
: " il a toujours été pour les
pauvres. Il était médecin et il
n'a jamais pris un sou à ses
malades... Il était toujours en
train de combattre pour
l'humanité et se voulait le
défenseur des petites gens, des
gens qui souffrent, les exclus
qui n'ont pas le droit à la
parole. " |
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Alphonse Juilland et Elizabeth
Craig |
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Arletty ne dit pas autre chose ;
je me souviens des rencontres
avec elle et de son insistance à
souligner la générosité et la
tendresse de Céline ; elle
rappelle volontiers à ses
visiteurs que Céline n'hésitait
pas à traverser une partie de la
ville, sous l'Occupation, une
fois la nuit tombée, afin de
porter médicaments et nourriture
aux malades de Clichy. |
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J'ajoute un autre récit
féminin, recueilli tout à fait
par hasard à Yaoundé, au
Cameroun, il y a plus de
vingt-cinq ans ; une vieille
dame me raconta comment,
bousculée et blessée par des
membres de la Gestapo, en 1942
ou 1943, près de la rue
Girardon, elle fut soignée par
le docteur Destouches ; elle
conservait, trente ans après, un
souvenir ému de la sollicitude,
de la gentillesse de celui dont
elle ignorait
alors l'œuvre et la notoriété. |
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Céline et Lucette durant l'exode
avec l'ambulance du dispensaire |
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Bien d'autres anecdotes ou
récits de témoins s'imposent à
ma mémoire et confirment
cette certitude de l'attachement
de Céline à la misère et à la
souffrance des autres, des
pauvres et des exclus en
particulier. Par exemple, les
narrations et les confidences
reçues d'Henri Mahé, rue Greuze,
avant son départ en Amérique,
sur les pratiques et les
habitudes de Céline au
dispensaire de Clichy, les
relations amicales ou familières
entretenues avec les malades,
avec ceux venus chercher un peu
de réconfort.
Ou l'épisode de juin 1940 lorsque Céline et Lucette accompagnent en exode,
jusqu'à La Rochelle, l'ambulance
du dispensaire emmenant une
vieille femme et de très jeunes
enfants. Ou encore celui du
passage au Danemark et des
enfants infirmes que Céline aide
et entoure de ses soins. |
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Louis Pauwels interroge Céline
" le gros plan ne pardonne
pas... |
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Dans " En français dans le
texte ", 1961
il révèle le secret des visages. "
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Max
Descaves relève également cette
" amitié " avec laquelle Céline
prodigue ses
soins. Dans L'œuvre, Léon
Deffoux rappelle une lettre de
Céline précisant :
" Un jour quand je serai
vieux, je ferai un livre dans ce
sens à la recherche des choses
au cœur qui s'en vont.
"
Le
livre n'est pas venu mais les
choses du cœur, pour l'écrivain
fatigué et
prématurément vieilli, ne s'en
sont pas allées pour autant,
au-delà des colères
exprimées et de l'apparente
volonté de Céline d'accabler ses
contemporains et le
monde entier, de les vouer aux
gémonies une fois pour toutes ;
l'entretien télévisé
réalisé en 1959 par la R.T.F. en
donne une sorte d'illustration :
Louis Pauwels écrit en
effet, à propos du film, qu' "
un gros plan nous révèlera un
sourire bon, un peu triste, et
un regard où il y a plus de
douceur qu'il ne le voudrait
" ; et Pauwels ajoute :
" Le gros plan ne pardonne
pas, il révèle sans erreur le
secret des visages. "
Laissons le dernier mot à
Céline, comme il convient, à
Céline livrant, quelques mois
avant sa mort, cette confidence
à André Brissaud :
" Parfois ça me remonte à la
gorge. Je ne suis pas si carne
qu'on croit. J'ai honte de
ne pas être plus riche en
cœur et en tout...
"
Et plus loin : " La condition
humaine, c'est la souffrance,
n'est-ce pas, je n'aime pas la
souffrance ni pour moi ni pour
les autres... Vous comprenez
?... "
(Pierre Lainé, Céline, Qui
suis-je ?, Pardès, Ed. établie
par Arina Istratova et Marc
Laudelout, novembre 2005). |
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Pierre Lainé, " Qui suis-je ?
" , chez Pardès |
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Pierre Lainé aux " Journées
Céline " à Puget-sur-Argens
en juin 2009. |
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