TEMOIGNAGES
Habitant Nice durant
de nombreuses années, tu as eu la chance de bien
connaître Pierre Monnier qui y a pris sa
retraite. Voudrais-tu évoquer cette rencontre et
dire ce qu'elle t'a apporté ?
Je n'ai pas rencontré Pierre à Nice, mais à Paris, lors d'une " Journée
Céline " que le Bulletin célinien
organisait alors chaque année depuis 1991. Ma
bibliothèque célinienne s'était étoffée depuis
des années passées dans les Pyrénées, à
Carcassonne, en Lozère et, à cette époque, à
Nice où je venais d'être muté.
Montant à Paris pour accompagner mon épouse, " Salon dentaire ", je
joignais l'utile à l'agréable en écumant les
bouquinistes des quais (bonjour André Bernot et
Jacques Giraudo !...) Saint-Michel,
Saint-Germain et tout le quartier Saint-Sulpice.
Abonné au Bulletin célinien, je connaissais l'existence de Pierre
Monnier et son rôle éminent joué auprès de
Céline, tant au Danemark qu'après son retour
avec Gaston Gallimard, mais je l'ai rencontré
pour la première fois en 1995 pour la "
Journée Céline " où le professeur Juilland
était l'invité vedette. Intimidé, j'avais osé,
lors d'une pause où je venais d'acheter
Ferdinand furieux, lui demander de le
dédicacer en lui disant quelques mots de respect
et de sympathie.
Il me dit alors qu'il se partageait entre Paris et Nice, où il se
promettait de prendre sa retraite et nous sommes
vite tombés d'accord pour se retrouver soit
place Cigalusa, tout en bas de chez lui ou bien
à mon bureau de poste sur les quais du Port
Lympia où j'exerçais depuis trois ans
maintenant.
Débuta là une merveilleuse
et si attachante amitié, forte d'histoires,
d'histoires de notre France, remplie d'anecdotes
vécues, de faits historiques, politiques, narrés
dans leur contexte avec la précision d'un
historien paternel. Comme tout cela me permit
enfin de comprendre pourquoi et comment les
chapes de plomb se referment inexorablement sur
tel auteur et pourquoi et comment les portes de
la renommée sont offertes à tel autre !...
Que de soirées passées ensemble avec sa charmante épouse Renée... Que de
magrets au feu de bois dégustés au " Vieux
Four " !... Il avait été surnommé, je ne
sais plus par qui " le James Stewart dégingandé
". Lumineux, enjoué, merveilleux conteur, il
rayonnait, pétillait de finesse et
d'intelligence. Il connaissait tout, avait tout
vécu : la guerre, le Front populaire, le 6
février 34, l'Action française, le journalisme
avec Thierry Maulnier et L'Insurgé,
Vichy, puis le dessin de presse chez Paul Lévy,
directeur de Aux Ecoutes, avant de
terminer brillamment sa carrière chez Loréal.
Imaginez un seul instant
mon état d'esprit lorsqu'il évoquait celui qu'il
appelait Ferdinand...
- " Pierre, comment était-il dans la vie,
réellement ?
- Tu sais, c'est difficile de décrire un tel
génie. Il avait connu tellement d'évènements, de
bouleversements des mœurs
avec le désarroi des petits commerçants devant
la révolution technologique, la guerre surtout
(clef de son œuvre...),
la S.D.N. où il avait démasqué " les tireurs
de ficelles ", l'Afrique, l'Amérique, sa
médecine, la Fondation Rockefeller, la montée du
Front populaire, les dessous de la 2ième Guerre
Mondiale, la gloire en 32, l'URSS et ses
horreurs, la trouille pour sa vie, Sigmaringen,
la prison, tant d'années...
C'était surtout un homme de contradictions et il connaissait l'existence
de son talent. Imaginer les champs de bataille
se remplir à nouveau de milliers de cadavres
français lui était insupportable... Il lui
fallait réagir... "
(Entretien avec Michel Mouls, BC n°345, octobre 2012).
Cours Saleya à Nice
Alphonse Boudard,
Louis Nucéra et Pierre Monnier dégustent la
socca
***
Pierre MONNIER
Un homme d’amitié et de
fidélité
Nous l’avons annoncé dans Présent du
30 mars 2006 : Pierre Monnier est décédé le
mardi 28 mars, à Nice, où il passait, depuis la
fin des années soixante-dix, une retraite
heureuse (et laborieuse), auprès de sa famille
et de ses amis.
D’origine nantaise, né en 1911, Pierre Monnier a
quatre ans quand son père, officier de carrière,
est tué à « la Main de Massiges », durant les
combats de l’année 1916. Orphelin de guerre…
Voilà sans doute qui contribuera à orienter son
engagement à la fois nationaliste et pacifiste…
Souvent aux risques de l’histoire !
Réfugié avec sa mère à Bordeaux, le
jeune Pierre révèle très tôt un tempérament
d’esthète, épris de peinture et de littérature.
C’est à l’Ecole des Beaux-Arts qu’à l’âge de
dix-sept ans il se liera avec un autre
bordelais, le futur dessinateur Chaval, auquel
il consacrera plus tard un ouvrage, Avant
Chaval (éditions de La Butte aux cailles).
Etudiant, Pierre Monnier milite à
l’Action française. C’est dans les rangs
royalistes qu’il rencontrera Thierry Maulnier et
Jean-Pierre Maxence, avec lesquels il
participera à la fondation, en 1936, de
L’Insurgé, hebdomadaire vigoureusement
opposé à la coalition du Front populaire.
Cette période d’engagement à la
pointe du combat politique, dans une époque de
troubles et de passions exacerbées, Pierre
Monnier l’a racontée avec brio dans A l’ombre
des têtes molles paru en 1987
(1)
aux éditions de La Table ronde.
Dans ce livre, l’auteur nous relate son
passage à l’Action française, sa
participation à la Cagoule et l’aventure de
presse mouvementée que fut L’Insurgé.
Tout cela sur fond de deux idéologies en train
de s’affronter : communisme et fascisme.
Au passage l’auteur portraiture de
façon très vivante et très colorée des hommes
qu’il a, durant cette période de grande
agitation, croisés, approchés ou avec lesquels
il s’était lié d’amitié : Charles Maurras,
Thierry Maulnier, Maurice Blanchot, Kléber
Haedens, Claude Roy, Pierre Boutang, Robert
Brasillach, et quelques
autres…
Mobilisé en 1939, Pierre Monnier participe
durant l’Occupation à la création et au
développement des « centres d’apprentissage de
jeunes Français », créés par le gouvernement de
Vichy en zone occupée.
Après-guerre, Pierre Monnier se consacre, sous
le pseudonyme de Chambri, au dessin de presse.
Il collabore notamment à l’hebdomadaire de Paul
Lévy, Aux Ecoutes. Puis il crée les
éditions Frédéric Chambriand dont le principal objectif était de
publier les écrits de Louis-Ferdinand Céline,
proscrit parmi les proscrits, alors en exil au
Danemark.
Céline autre grande affaire dans
la vie de Pierre Monnier. « Je suis de ceux qui
ont lu Le Voyage au bout de la nuit à
l’appel de Léon Daudet dans l’Action
française du 22 décembre 1932. » Depuis, son
admiration pour l’écrivain Céline et son
affection pour le docteur Destouches ne se sont
jamais démenties.
La conspiration de la haine
judéo-stalinienne contre l’auteur de Mort à
crédit et de Bagatelles pour un massacre
durera onze années : de 1944 à 1955. Onze années durant lesquelles, raconte
Pierre Monnier dans son Ferdinand furieux,
« nous avons formé une équipe minuscule de
fidèles, connus ou inconnus, attachés, avec bien du mal à la sauver de
l’oubli : Albert Paraz, Daragnès, Marcel Aymé,
André Pulicani, Arletty… » De cette dernière, il
deviendra également l’ami, le confident et le
biographe : Arletty (chez Stock).
C’est d’ailleurs la grande comédienne qui le
poussera à publier Ferdinand furieux
(1979, à L’Age d’Homme), livre-culte parmi les
céliniens. Il contient les 313 lettres
(commentées par l’auteur) que, de son exil
danois, Céline a envoyées à Pierre Monnier. Des
lettres qui nous dépeignent « dans sa crudité et
quotidienneté le Céline de l’exil en proie à
l’amertume, au délaissement et à ses ruminations
dont sa vie durant il tira la littérature de
génie que l’on sait ». Une époque où, à gauche
comme à droite, qu’on le déplore ou non
« l’invective avait force de loi ».
Les années « Frédéric Chambriand »
sont aussi celles de sa rencontre avec un autre
monstre sacré de la littérature : Marcel
Jouhandeau. Pierre Monnier édita Marcel
Jouhandeau et ses personnages. Et lui-même
consacra à l’auteur des Journaliers une
plaquette intimiste : En écoutant Godeau
(Editions du Lérot).
Au début des années cinquante,
notre dilettante impénitent eut brusquement
charge de famille. Le dessin et l’édition ne
suffisant plus pour subvenir pécuniairement à sa
nouvelle situation, Pierre entra, à 42 ans,
comme cadre commercial chez l’Oréal, où il
demeura vingt-cinq ans. Une expérience
professionnelle qu’il a racontée avec beaucoup
de verve dans Irrévérence gardée (1999).
Lucette par Chambri.
Toujours jovial, courtois et
chaleureux, d’une originalité désinvolte, la
curiosité sans cesse en éveil, Pierre était
avant tout un homme de fidélité. Fidélité à ses
admirations, à la France et à son passé, à ses
amis – l’amitié, ce vin de la vie qui réchauffe
les cœurs -, mais aussi à ses détestations :
« Je suis antigaulliste depuis juin 40 »
aimait-il à répéter… Le « lobby qui n’existe
pas » lui inspirait le même ressentiment.
J’avais fait la connaissance de Pierre Monnier
en 1980, sous les auspices de Philippe Colombani
(Aramis). Pierre se partageait alors entre Paris
et Nice. Puis, au fil des ans, ses séjours dans
la capitale se firent plus rares et plus brefs.
Passant généralement mes vacances dans les
Alpes-Maritimes, je continuais néanmoins à le
rencontrer, toujours avec la même joie et le
même plaisir, au moins une fois ou deux par an.
A Nice, Pierre avait instauré une sorte de
rite : chaque matin, il faisait sa revue de
presse en prenant son café dans un petit bistrot
de la place Barel, Présent toujours
largement déployé. C’est là que souvent des amis
le rejoignaient, comme l’écrivain Raoul Mille ou
le libraire Jean-Pierre Rudin. Et bien sûr,
lorsqu’ils séjournaient à Nice, Louis Nucéra et
Alphonse Boudard. Alphonse surtout, l’ami intime, le
« pote inoxydable » qui avait trouvé chez Pierre
et Renée Monnier comme un second port d’attache.
Alphonse (mon voisin de Paris) que Pierre
admirait sans réserve, tous deux unis par une
fraternité d’esprit, faite de compréhension,
d’indulgence, d’humour et d’ironie frondeuse. « L’homme
dont le caractère se confond avec le nôtre vaut
mieux que mille parents ».
Point central de cette géographie
de l’amitié (tous ou à peu près habitaient le
vieux Nice), le petit bistrot de la place Barel
était aussi le passage obligé des amis venus de
Paris (n’est-ce pas Roger Granjean, Philippe
Colombani, Serge de Beketch) ou d’ailleurs. Je
me souviens tout particulièrement d’une matinée
solennelle, du mois de juin 1993 avec, autour de
la même table, Pierre Monnier, Alphonse Boudard,
Louis Nucéra, et, rentrant tous deux de
Nouvelle-Calédonie, bronzés comme des statues de
vielle or, A.D.G. et Pierre Durand.
De cette assemblée cordiale et rieuse je suis
aujourd’hui le seul survivant. A un certain âge,
disait Céline, votre carnet d’adresses commence
à ressembler à un cimetière. Le mien sans doute
plus que d’autres. Une nécropole où mes
souvenirs dansent, certains soirs, comme des
feux follets. Dans ce cimetière où nul cyprès ne
frissonne, je commence à me sentir bien seul.
Comme nous l’enseigne la Bible, « les jours de
l’homme sont plus rapides que la navette du
tisserand » (Job VII, 6). Et le temps humain
fuit sans retour, emportant ceux que l’on aime…
Adieu, Pierre !
A ton épouse Renée, à tes enfants Frédéric
et Sophie, j’envoie, de tout cœur, toute ma
tendresse.
Jean COCHET
(Présent, samedi 8 avril 2006).
***
Dès que la triste nouvelle se répandit, nombreux
furent ceux qui manifestèrent leur émotion, amis
connus ou inconnus. Nous voudrions les associer
à cet hommage en les citant tout simplement ici
: le romancier Raoul Mille qui prononça, le 3
avril, une émouvante allocution lors de la messe
funèbre à l'église Notre-Dame du Port ; François
Gibault qui adressa aussitôt ses condoléances à
Renée Monnier et qui fit part du décès à Lucette
Destouches ; Michel Mouls, l'ami niçois qui
déposa une couronne mortuaire au nom du Bulletin
célinien ; Gérard Silmo, autre fidèle célinien
qui informa les amis du décès via internet ;
Florient et Yvonne Morési, de Reims, très
affectés par la nouvelle de la disparition de
leur ami ; Serge de Beketch, P.-L. Moudenc et
Jean Cochet, les seuls journalistes qui
rendirent hommage à Pierre dans leur journal
respectif ; et ces lecteurs du BC qui nous
firent part de leur émotion, tel Eric Petit.
Notre compatriote Christopher Gérard, animateur
de la revue Antaios, a diffusé le communiqué
suivant : " Pierre Monnier est mort : il était
le dernier survivant des milieux non
conformistes des années 30, lui qui avait côtoyé
Maulnier, Blanchot (le premier !), Brasillach,
Drieu et bien entendu Céline, qu'il défendit bec
et ongles. C'était un vieux civilisé, ironique,
un homme épatant à l'esprit éveillé, comme j'ai
pu m'en rendre compte lors d'une rencontre
parisienne (chez d'autres non conformistes).
Relisons A l'ombre des grandes têtes molles,
son chef-d'œuvre
(La Table ronde) : sans doute l'un des tableaux
les plus justes des années 30 et 40, que je
comparerais à Sol Invictus d'Abello.
Sit tibi terra levis. "
Quand à Philippe Colombani, auteur du beau portrait de couverture, il
nous écrit que " dans sa fixité, ce dessin est
bien incapable de traduire l'incroyable vitalité
qui habitait cet éternel jeune homme. On
appartient, dit-on, d'abord à sa génération :
celle de Pierre, pour étrange que cela paraisse,
courait sur un siècle. Le même regard bleu, le
même sourire, le même enthousiasme pour Maurras,
Maxence, Maulnier, Céline, Chaval, Arletty,
Boudard et Nucéra.
La même exigence du regard qui lui faisait aimer la peinture de Matisse
ou de Nicolas de Staël. Pierre fut en fait une
sorte de passe-muraille imperméable à la bêtise,
la bassesse, la vulgarité et sur lequel on avait
fini par croire que le temps lui-même glissait.
"
M.L.
***
Quand l’ami Pierre Monnier remonte
la rue du temps
passé
Des souvenirs aussi
sympathiques qu’irrévérencieux
Comme c’est beau la jeunesse ! Agé
aujourd’hui de quatre-vingt-huit printemps, ou
quelque chose d’approchant, Pierre Monnier n’a
certes rien perdu de l’enthousiasme d’un éternel
adolescent.
Il reste à jamais l’étudiant des Beaux-Arts de
Bordeaux qui posait un regard curieux sur le
monde et avait décidé une fois pour toutes que
l’ironie et le sérieux
pouvaient faire bon ménage, pourvu
que brûle la flamme de l’enthousiasme.
On sent qu’il a aimé les farces estudiantines,
les copinages festifs et aussi le sain désir
d’épater le bourgeois.
Pourtant, en 1936, l’année du Front populaire
triomphant, il devait fonder avec ses amis
Thierry Maulnier et Jean-Pierre Maxence, un
curieux brûlot : L’Insurgé.
Il faut dire qu’il s’était trouvé un maître,
Charles Maurras. Il ne cache pas d’être resté
fidèle à son enseignement politique, à ses
maximes comme à ses phobies, à cette perpétuelle
recherche d’un parfait système qui résoudrait
tous nos problèmes de la vie en société dans
cette France qu’il fallut quarante rois pour
bâtir.
Et il y tient, Pierre Monnier, à cette France
« de quinze siècles », qu’il lui plaît
d’imaginer intangible au milieu d’un monde assez
hostile, comme la petite « Ile » originelle des
premiers Capétiens.
Appliquant la vieille « grille » maurassienne
à toute analyse de la planète telle qu’elle
évolue sous nos yeux, l’auteur de ce petit
livre, qui
tient des Mémoires et du pamphlet, exhale la
lumineuse certitude des croyants.
N’allez pas croire pour autant que son ouvrage
soit rébarbatif, car Pierre Monnier possède un
incontestable talent de mémorialiste, plus
convaincant parfois que sa rigueur de polémiste.
Il continue donc à nous donner à voir, car
Irrévérence gardée est le troisième tome
d’une alerte trilogie qui fut commencée par A
l’ombre des grandes têtes molles, aux
éditions de La Table Ronde, et Les pendules à
l’heure chez Flammarion (avant d’être repris
par Le Flambeau).
Ce dernier avatar d’une longue promenade
s’inscrit donc dans une perspective plus vaste,
qui devait s’appeler Rue du temps passé.
On y découvre vite que Pierre Monnier est un
personnage plus complexe que ne le fait croire
son ancien engagement militant dans les
« Camelots du roi ». Il est en effet grand
amateur de jazz, de rugby, de cinoche, de
peinture…
Ce charmant vieux monsieur d’une étonnante jeunesse ne
ressemble en rien au nervi fascisant des
caricatures. On le découvre sympathique,
affable, indulgent (même avec ses adversaires),
séduisant en un mot.
Ce petit livre qui commence sous une IVe
République, devenue bien préhistorique pour les
jeunes générations, se poursuit jusqu’à nos
jours, où l’on constate qu’un
certain Breton a remplacé le défunt Provençal
dans le panthéon politique de notre auteur. Il
n’est pas besoin d’avoir en poche une carte de
militant pour se situer aussi vigoureusement à
contre-courant de l’idéologie dominante et de la
pensée unique. En témoigna, voici peu, un
curieux portrait intitulé Le Pen, le peuple
et la petite fille Espérance, qui avait le
premier mérite d’exprimer une admiration sans
flagornerie. Ce sont souvent les plus solides et
les plus fidèles. Pas de plan dans ce nouveau
livre, qui n’est qu’une promenade où l’on
rencontre de nombreux amis, dont quelques-uns
inattendus dans ce qu’on nomme nos milieux.
Pierre Monnier, qui partage le goût populaire
pour la chanson, y clame, entre autres, son
admiration pour Georges Brassens. On le
comprend.
Ce sera sans doute une révélation
pour ceux qui croyaient connaître Pierre Monnier
de découvrir qu’il fut, pendant vingt-deux ans,
un des cadres commerciaux de la société l’Oréal
et qu’il visita en voyageur insistant des
centaines de salons de coiffure. Nous abordons
ainsi tout un monde où les VRP sont souvent
pittoresques et fort accortes les clientes.
La République, cinquième du nom,
va beaucoup moins plaire à notre ami que la
précédente. Il y découvre vite le visage de la
haine et le spectre de la guerre civile. A lui
faire regretter Mendès France et surtout le bon
président Coty.
Pierre Monnier ne tarde pas à nous avouer une
habitude qui est devenue chez lui une seconde
nature : celle de noircir des petits carnets de
notes qui ne le quittent jamais. Il y en aurait
ainsi quatre ou cinq mille pages : « Des
bribes, des babioles, des broutilles, des
souvenirs, des tendresses et des rencontres, et
des humeurs… »
Patriote, catholique, anglophobe
et eurosceptique, voici un homme qui n’a jamais
mis son drapeau dans sa poche. Même si je ne
partage pas sa conception du nationalisme,
éloigné tout autant de la diversité des patries
charnelles que de l’unité d’un continent
réconcilié dans un commun espoir, je ne pense
jamais à Pierre Monnier sans beaucoup d’amitié.
Quel bon copain ! Et drôle ! Et fidèle !
(Jean Mabire, National hebdo n°773, 13 au
19 mai 1999).
***
Un souvenir
Je n’ai
rencontré Pierre Monnier que deux ou trois fois
mais je garde le souvenir de quelqu’un
d’attachant et de passionné. C’est en me rendant
à Bruxelles (ville de mes « ancêtres »), à ma
première réunion du Bulletin, que j’avais
fait sa connaissance.
J’étais parti en oubliant de
prendre l’adresse du rendez-vous. En parcourant
le train dans l’espoir de rencontrer un autre
célinien, je suis tombé sur deux messieurs, un
peu moins jeune que moi, qui discutaient
paisiblement. En les voyant, j’ai deviné qu’ils
se rendaient en Belgique pour les mêmes raisons
que moi. Je ne les avais pourtant jamais vus. Il
s’agissait – je l’ai compris assez vite – de
Pierre Monnier et de Paul Chambrillon. J’aurais
pu tomber plus mal. Et quand je leur demandai
s’ils avaient l’adresse de la réunion, ils
s’aperçurent qu’ils n’en savaient pas plus que
moi.
Arrivé à la gare, Monsieur
Chambrillon passa un coup de fil à Paris et on
lui indiqua enfin le lieu de rendez-vous. Nous
prîmes un taxi ensemble. Et c’est comme ça que
je suis arrivé (en retard) à la réunion
bruxelloise du Bulletin célinien
accompagné de la plus belle et de la plus
réjouissante des escortes.
Quand nous avons pénétré dans la salle, Marc
Laudelout est arrivé vers nous les bras ouverts.
Bien sûr, c’était pour accueillir ses deux
invités prestigieux…
Je me suis assis discrètement et
j’étais bien ravi tout de même. Ceci est une
minuscule anecdote sans intérêt pour quiconque.
En revanche c’est un souvenir personnel auquel
je tiens beaucoup. Je trouve que mon entrée dans
le monde célinien était plutôt réussie. Pierre
Monnier me fit, quelques temps après, une belle
dédicace de Ferdinand furieux. C’était le
jour où il avait disparu de l’estrade pendant
qu’il nous racontait ses souvenirs avec Céline.
Nous avions eu peur mais lui, ne s’était même
pas arrêté de parler et était réapparu illico.
Merci à Pierre Monnier de nous avoir fait
partager son émotion. Nous pensons très fort à
lui. Et merci au Bulletin célinien de
nous l’avoir fait connaître et rencontrer.
Eric PETIT.
Magnifiquement Français
Pierre Monnier a été le parrain, l’âme,
l’inspirateur du Libre Journal qui est
donc, très modestement un enfant mal élevé de
L’Insurgé qu’il anima aux côtés de Maxence
et Maulnier. Il m’a ouvert la porte de la vraie
culture populaire, m’a fait aimer Matisse,
Maillol, et découvrir la poésie. Il m’a légué la
devise du Connétable du Guesclin : « Puisque
sommes vilains, seront bien hardis ».
Lui aussi était un être fort, lumineux,
patient, délicat. Un pédagogue, un modeleur
d’âme, de goût, d’idées. Sans aucun argument
d’autorité. Avec son seul sourire, sa formidable
culture non pas
formidable culture non pas acquise
mais comme co-naturelle à son être, son bon goût
si profondément français et cette délicatesse,
cette discrétion qui, jamais, n’imposait rien,
mais forçait l’attention et l’interrogation.
Je me souviens de son sourire
indulgent et de son mouvement de tête, cette
belle tête aux yeux vifs et couronnée de boucles
blanches, lorsque je pérorais, jeune crétin, sur
Céline que j’avais décrété illisible (pour ne
pas dire comme ADG qui l’idolâtrait).
Il savait bien que ça ne pouvait pas durer.
Nous avions fondé un club
ultra-secret et ultra-sélect puisque nous en
étions les deux seuls membres : le Cercle
Apollinaire où la seule condition d’adhésion se
résumait à être Français d’origine étrangère… ou
pas.
Le « ou pas » était une concession imposée par
l’évidence que Pierre était totalement,
irrémédiablement, absolument, radicalement,
incurablement, magnifiquement Français.
Pierre était avant tout un homme
d’une rigueur morale absolue. Lorsque je
préparais le numéro du Crapouillot sur
« Mitterrand très secret », je le taraudais, sachant qu’il avait approché de
très près la mystérieuse Cagoule, pour qu’il me
dise une bonne fois si oui ou non le vieux
satrape avait été, dans sa folle jeunesse,
membre du mouvement de Deloncle.
- Nous avons juré de ne jamais révéler
l’appartenance d’un membre, me répondait-il.
- Mais enfin, Pierre, ce serment a cinquante
ans, c’est de l’histoire ancienne !
- J’ai juré, tu sais.
Ce fut tout ce que j’obtins.
Serge de BEKETCH
(Le Libre Journal, 5 avril 2006)
Un homme lucide et fervent
Si l’on veut avoir un éclairage
original sur la période qui va de 1938 à 1952,
il faut lire Pierre Monnier. Les Pendules à
l’heure, second volet d’un récit
autobiographique entamé avec A l’ombre des
grandes têtes molles, offre un témoignage
plein de verve, résolument non-conformiste, que
nombre de nos lecteurs qui ont vécu ces temps
difficiles pourraient corroborer.
Il appelle un chat un chat, et De
Gaulle « le général La Caution ». Son
franc-parler donne à ses souvenirs une saveur
particulière. Il dénonce les impostures, prend à
rebrousse-poil les vérités consacrées. Bref, il
ne s’embarrasse ni de révérence, ni de
circonlocutions. De la version des évènements
donnée a posteriori par les vainqueurs, il ne
subsiste rien, ou presque. Les mythes colportés
depuis un demi-siècle, mythes auxquels le temps
et les multiples complicités confèrent une
manière d’intangibilité confortée par le
matraquage officiel, s’écroulent comme châteaux
de cartes.
Simplement parce qu’il raconte, sans idées
préconçues, sans en fausser la perspective par
des réajustements malhonnêtes, ce qu’il a vécu,
à l’instar d’un grand
nombre
de Français de bonne foi. Hérétique, certes,
mais « par rapport au mensonge
institutionnalisé ». Son livre est en quelque
sorte, un contrepoison. Il s’adresse en priorité
aux jeunes gens d
priorité aux jeunes gens dont les
yeux ont grand besoin d’être dessillés. C’est
une œuvre pédagogique, dans le meilleur sens du
terme.
Le rôle pernicieux de l’Angleterre, son
écrasante responsabilité dans la déclaration de
guerre, le double jeu des communistes, la
lâcheté et les compromissions du personnel
politique, les profits illicites tirés tant de
l’Occupation que de la Résistance, les
vengeances sordides, la persécution des élites,
tout cela, qui demeure soigneusement occulté par
les prébendiers de tout poil et leurs
successeurs, apparaît en pleine lumière.
Sans doute Pierre Monnier n’est
pas le premier à révéler que le roi est nu. Mais
son propos, animé d’un bout à l’autre d’une
allégresse frondeuse, jouant sur tous les
registres, de l’humour à l’ironie la plus
cinglante, acquiert une portée d’autant plus
dévastatrice qu’il se défie des grandes
professions de foi idéologiques. Plus parlantes,
les anecdotes, les rencontres, les réflexions
notées au jour le jour.
Dans ces pages pleines de passion,
on croise mille personnages, de Brasillach à
Albert Paraz, de Thierry Maulnier au dessinateur
Ben, de Chaval, son condisciple aux Beaux-Arts,
à François Sentein. Toutes figures plus ou moins
familières, croquées de main de maître – comme
ces caricatures dont Monnier, qui signait
Chambri, fournit quelque temps à Paul Lévy, le
patron de l’hebdomadaire Aux Ecoutes. Et
Céline, bien sûr, à qui il rendit visite dans
son exil danois avant de devenir son éditeur.
Le tableau qu’il brosse d’une des
plus sombres époques de notre histoire
contredit, et fort éloquemment, le manichéisme
professé par les historiens. Il sera mal reçu
dans les salons de la gauche caviar. On lui
opposera le mur du silence. Une technique qui a
fait ses preuves. Mais les murs finissent
toujours par céder, et c’est à des gens tels que
Pierre Monnier qu’on le doit.
P.-L. MOUDENC
(Rivarol, 12 avril 1993)
***
UNE BRASSEE D'HOMMAGES FERVENTS ET MERITES...
"
Une brassée d'hommages fervents et mérités
", écrit l'hebdomadaire Rivarol (2 juin
2006) à propos de notre numéro dédié à Pierre
Monnier. Nous avons été surtout touchés par la
réaction de la fille et du fils de notre ami
disparu. Sophie Monnier nous a écrit ceci
:
" Je vous remercie infiniment pour le très bel hommage que vous avez
consacré à mon père. Il aurait aimé cette
amitié, cette tendresse, et surtout l'humour. Je
l'ai retrouvé au fil de vos pages, avec un
sourire empreint de mélancolie. Il restera
quelque chose de lui dans tous ces souvenirs, il
était le dernier d'une sacrée bande qui manquera
à tous les amoureux de l'ironie et du respect. "
Frédéric Monnier a, lui aussi, pris
la plume : " J'ai lu le BC avec l'émotion que
tu imagines. Merci de tout cœur
pour ce bel hommage rendu à mon père. Les
témoignages que tu as rassemblés constituent un
portrait très juste et très émouvant. C'était en
effet un homme d'une qualité peu courante. Je
croyais, étant enfant, que tout le monde devait
être comme ça. J'en suis revenu ! Ma mère se
joint à moi dans le grand " merci " que je
t'adresse. "
Vera Maurice (Paris) : " Les
propos de Pierre Monnier reproduits à la page 10
du BC de mai - " Je connais peu de choses
plus difficiles que d'écrire une vingtaine de
lignes sur L.-F. Céline " - m'ont aidée à
comprendre pourquoi les hommes entiers et
authentiques sont toujours une leçon. Ces propos
m'ont aussi apporté un éclairage important sur
mes prédilections pour certains auteurs
brésiliens sur lesquels je travaille toujours :
presque tous persécutés, exilés, emprisonnés,
mais jamais lâches. Ils ont en commun génie et
authenticité. A l'époque où j'enseignais le
portugais au Brésil, ils étaient proscrits,
souvent pour des raisons opposées, tel Céline à
l'Alliance française.
Aucun doute, Pierre Monnier est une LEÇON
d'intégrité et d'honnêteté à tous les points de
vue. "
Pierre Lainé (Rennes) : " Le décès de Pierre
Monnier m'a attristé. Je l'ai bien connu, à
Nice, à Paris, en Bretagne et au Maroc où Renée
et lui étaient venus me voir. "
Marcella Maltais (Paris) : " Dans mon
Hôtel crève-cœur,
pp.76 à 86, ce promeneur du Canal Saint-Martin
qui a bien voulu me rapprocher de Céline et
d'Arletty, n'est nul autre que Pierre Monnier.
Avec sa générosité habituelle, il a su nourrir
ce chapitre, sans lequel mon livre n'aurait pas
été ce qu'il est. Qu'il en soit remercié (il l'a
été) ainsi que de toutes les rencontres fertiles
avec son épouse Renée, où la littérature, la
peinture, l'histoire étaient vérifiées par ses
connaissances. J'ai eu beaucoup de chance
d'avoir un tel ami, que je n'ai pas fini de
regretter. "
Odile Barckicke (Pavillons-sous-Bois) : " Je
garde un souvenir émerveillé de la réunion
célinienne à laquelle vous l'aviez convié à
Bruxelles. J'ai pu ainsi faire un peu la
connaissance de Pierre. Au retour vers Paris,
j'ai eu la chance de partager son compartiment.
Jamais voyage ne m'a paru plus court ! J'étais
littéralement sous le charme. "
Robert Le Blanc (Paris) : " J'ai lu avec
grand plaisir votre numéro consacré à Pierre
Monnier. Cela me touche qu'il ait évoqué, en
1997, son professeur de troisième de 1925 à
Bordeaux, Paul Avisseau, citant dans un discours
de distribution des prix des vers que je tiens à
rectifier. La première citation vient des
Complaintes (1885) de Jules Laforgue,
charmant poète que Charles Dantzig (qui ne
craint pas le ridicule) voudrait substituer à
Céline comme inventeur de la modernité
littéraire : " Celle qui doit me mettre au
courant de la Femme ! / Nous lui dirons d'abord,
de mon air le moins froid : / La somme des
angles d'un triangle, chère âme, / Est égale à
deux droits. "
La seconde citation est le début d' " Outwards " dans Cartes
postales de H.J.M. Levet (1874-1906), - vers
qui n'étaient connus que depuis 1921 : "
L'Armand-Béhic (des Messageries Maritimes) /
File quatorze noeuds sur l'Océan Indien... "
(Marc Laudelout, BC n°275, mai 2006).
***
IRREVERENCE GARDEE
Né en 1911, fondateur avant la dernière guerre
de L'Insurgé avec Thierry Maulnier, sous
la direction de Jean-Pierre Maxence, dessinateur
de presse sous le nom de Chambri, éditeur de
Céline, il est " entré en littérature " en 1988,
avec Ferdinand furieux (L'Age d'Homme).
Ont suivi des ouvrages sur ses amis - Arletty,
Chaval, Jouhandeau - avant le récent Céline
et les têtes molles (Ed. Le Bulletin
célinien). Sans compter deux recueils de
chroniques, A l'ombre des grandes têtes
molles (La Table ronde) et Les Pendules à
l'heure (Ed. Le Flambeau), qui constituent
d'irremplaçables témoignages sur la période
d'après 1930.
C'est
que Monnier est, avant tout, un homme libre.
D'une indépendance d'esprit et d'une honnêteté
sourcilleuses. Doté, ce qui ne gâte rien, du
sens de l'humour. Tout le contraire d'un
idéologue à œillères.
Il pose sur les êtres et les choses un regard
aigu, mais dénué de méchanceté. Politiquement
incorrect, dans la mesure où la sottise et
l'imposture le hérissent. Soyons assurés qu'il
n'en a cure.
Irrévérence gardée - joli titre ! - est le troisième et
dernier volet de son triptyque de chroniques.
Digne en tous points des précédents. Même verve,
même vagabondage (cette fois de la Quatrième à
nos jours) mêlant portraits, anecdotes,
témoignages, commentaires. Avec pour fil
conducteur le récit d'une vie qui lui a permis
de côtoyer les gens les plus divers, Pierre
Monnier fait le point, sans amertume, sans jouer
les donneurs de leçons. Son propos est direct et
coloré, animé toujours d'une chaleur qui fait
qu'une connivence s'établit d'emblée avec son
lecteur. Il aborde avec la même simplicité tous
les sujets, l'art ou la littérature, la
politique ou la philosophie. Sans oublier sa vie
professionnelle chez l'Oréal à laquelle il
consacre des chapitres savoureux. Des carnets
qu'il a remplis au jour le jour tout au long de
son existence, il tire la substance de son
livre. C'était la méthode de Montaigne.
Ses
détestations, on les devine : une anglophobie
dûment étayée par des références à Jean-Louis
Forain, Hugo, Barbey, Béraud et Céline. Le
communisme, mais aussi le capitalisme apatride.
Le résistantialisme et son avatar, le moralisme
démocratique. Bref, la Pensée unique et son
catéchisme. A l'inverse, dans son Panthéon
personnel, nombre de divinités au culte
desquelles, majeures ou secondaires, on
s'associe volontiers. Au sommet de l'Olympe,
Ferdinand, ce qui ne saurait surprendre. Mais
aussi Brassens, Louis Armstrong et Fats Waller,
qu'il célèbre avec un enthousiasme juvénile. En
peinture, il admire Matisse et tient pour un
faux La Guerre du Douanier Rousseau.
Parmi ses prédilections littéraires, Anouilh,
Vialatte et Jacques Perret. C'est assez dire que
nous nous trouvons en présence d'un auteur de
bonne compagnie.
On ne
résume pas un tel livre. Sa diversité même
interdit une telle gageure. On s'y plonge avec
le plaisir de découvrir à chaque page le détail
qui fait réfléchir, la formule frappante dont on
eût aimé être l'auteur - voire des fable-express
dont les meilleures sont évidemment les plus
approximatives... Le plaisir, surtout de
retrouver, un écrivain de la famille et de
partager, l'espace d'une lecture, son expérience
et sa culture.
P.-L. MOUDENC
(Rivarol, 21 mai 1999)
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