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                                                                                  TEMOIGNAGES

    

  Habitant Nice durant de nombreuses années, tu as eu la chance de bien connaître  Pierre Monnier qui y a pris sa retraite. Voudrais-tu évoquer cette rencontre et dire ce qu'elle t'a apporté ?

 Je n'ai pas rencontré Pierre à Nice, mais à Paris, lors d'une " Journée Céline " que le Bulletin célinien organisait alors chaque année depuis 1991. Ma bibliothèque célinienne s'était étoffée depuis des années passées dans les Pyrénées, à Carcassonne, en Lozère et, à cette époque, à Nice où je venais d'être muté.
  Montant à Paris pour accompagner mon épouse, " Salon dentaire ", je joignais l'utile à l'agréable en écumant les bouquinistes des quais (bonjour André Bernot et Jacques Giraudo !...) Saint-Michel, Saint-Germain et tout le quartier Saint-Sulpice.
  Abonné au Bulletin célinien, je connaissais l'existence de Pierre Monnier et son rôle éminent joué auprès de Céline, tant au Danemark qu'après son retour avec Gaston Gallimard, mais je l'ai rencontré pour la première fois en 1995 pour la " Journée Céline " où le professeur Juilland était l'invité vedette. Intimidé, j'avais osé, lors d'une pause où je venais d'acheter Ferdinand furieux, lui demander de le dédicacer en lui disant quelques mots de respect et de sympathie.
  Il me dit alors qu'il se partageait entre Paris et Nice, où il se promettait de prendre sa retraite et nous sommes vite tombés d'accord pour se retrouver soit place Cigalusa, tout en bas de chez lui ou bien à mon bureau de poste sur les quais du Port Lympia où j'exerçais depuis trois ans maintenant.

  Débuta là une merveilleuse et si attachante amitié, forte d'histoires, d'histoires de notre France, remplie d'anecdotes vécues, de faits historiques, politiques, narrés dans leur contexte avec la précision d'un historien paternel. Comme tout cela me permit enfin de comprendre pourquoi et comment les chapes de plomb se referment inexorablement sur tel auteur et pourquoi et comment les portes de la renommée sont offertes à tel autre !...
  Que de soirées passées ensemble avec sa charmante épouse Renée... Que de magrets au feu de bois dégustés au " Vieux Four " !... Il avait été surnommé, je ne sais plus par qui " le James Stewart dégingandé ". Lumineux, enjoué, merveilleux conteur, il rayonnait, pétillait de finesse et d'intelligence. Il connaissait tout, avait tout vécu : la guerre, le Front populaire, le 6 février 34, l'Action française, le journalisme avec Thierry Maulnier et L'Insurgé, Vichy, puis le dessin de presse chez Paul Lévy, directeur de Aux Ecoutes, avant de terminer brillamment sa carrière chez Loréal.

  Imaginez un seul instant mon état d'esprit lorsqu'il évoquait celui qu'il appelait Ferdinand...
- " Pierre, comment était-il dans la vie, réellement ?
- Tu sais, c'est difficile de décrire un tel génie. Il avait connu tellement d'évènements, de bouleversements des mœurs avec le désarroi des petits commerçants devant la révolution technologique, la guerre surtout (clef de son œuvre...), la S.D.N. où il avait démasqué " les tireurs de ficelles ", l'Afrique, l'Amérique, sa médecine, la Fondation Rockefeller, la montée du Front populaire, les dessous de la 2ième Guerre Mondiale, la gloire en 32, l'URSS et ses horreurs, la trouille pour sa vie, Sigmaringen, la prison, tant d'années...
  C'était surtout un homme de contradictions et il connaissait l'existence de son talent. Imaginer les champs de bataille se remplir à nouveau de milliers de cadavres français lui était insupportable... Il lui fallait réagir... "
 (Entretien avec Michel Mouls, BC n°345, octobre 2012).

                                                              

                                                                                               Cours Saleya à Nice 
                                                                    Alphonse Boudard, Louis Nucéra et Pierre Monnier dégustent la socca

 

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                               Pierre MONNIER

                  Un homme d’amitié et de fidélité

 

Nous l’avons annoncé dans Présent du 30 mars 2006 : Pierre Monnier est décédé le mardi 28 mars, à Nice, où il passait, depuis la fin des années soixante-dix, une retraite heureuse (et laborieuse), auprès de sa famille et de ses amis.

 

D’origine nantaise, né en 1911, Pierre Monnier a quatre ans quand son père, officier de carrière, est tué à « la Main de Massiges », durant les combats de l’année 1916. Orphelin de guerre… Voilà sans doute qui contribuera à orienter son engagement à la fois nationaliste et pacifiste… Souvent aux risques de l’histoire !

 Réfugié avec sa mère à Bordeaux, le jeune Pierre révèle très tôt un tempérament d’esthète, épris de peinture et de littérature. C’est à l’Ecole des Beaux-Arts qu’à l’âge de dix-sept ans il se liera avec un autre bordelais, le futur dessinateur Chaval, auquel il consacrera plus tard un ouvrage, Avant Chaval (éditions de La Butte aux cailles).

  Etudiant, Pierre Monnier milite à l’Action française. C’est dans les rangs royalistes qu’il rencontrera Thierry Maulnier et Jean-Pierre Maxence, avec lesquels il participera à la fondation, en 1936, de L’Insurgé, hebdomadaire vigoureusement opposé à la coalition du Front populaire.

  Cette période d’engagement à la pointe du combat politique, dans une époque de troubles et de passions exacerbées, Pierre Monnier l’a racontée avec brio dans A l’ombre des têtes molles paru en 1987 (1) aux éditions de La Table ronde.
  Dans ce livre, l’auteur nous relate son passage à l’Action française, sa participation à la Cagoule et l’aventure de presse mouvementée que fut L’Insurgé. Tout cela sur fond de deux idéologies en train de s’affronter : communisme et fascisme.

  Au passage l’auteur portraiture de façon très vivante et très colorée des hommes qu’il a, durant cette période de grande agitation, croisés, approchés ou avec lesquels il s’était lié d’amitié : Charles Maurras, Thierry Maulnier, Maurice Blanchot, Kléber Haedens, Claude Roy, Pierre Boutang, Robert Brasillach, et quelques autres…

  Mobilisé en 1939, Pierre Monnier participe durant l’Occupation à la création  et au développement des « centres d’apprentissage de jeunes Français », créés par le gouvernement de Vichy en zone occupée.
  Après-guerre, Pierre Monnier se consacre, sous le pseudonyme de Chambri, au dessin de presse. Il collabore notamment à l’hebdomadaire de Paul Lévy, Aux Ecoutes. Puis il crée les éditions Frédéric Chambriand
dont le principal objectif était de publier les écrits de Louis-Ferdinand Céline, proscrit parmi les proscrits, alors en exil au Danemark.

  Céline autre grande affaire dans la vie de Pierre Monnier. « Je suis de ceux qui ont lu Le Voyage au bout de la nuit à l’appel de Léon Daudet dans l’Action française du 22 décembre 1932. » Depuis, son admiration pour l’écrivain Céline et son affection pour le docteur Destouches ne se sont jamais démenties.

  La conspiration de la haine judéo-stalinienne contre l’auteur de Mort à crédit et de Bagatelles pour un massacre durera onze années : de 1944 à 1955. Onze années durant lesquelles, raconte Pierre Monnier dans son Ferdinand furieux, « nous avons formé une équipe minuscule de fidèles, connus ou inconnus, attachés, avec bien du mal à la sauver de l’oubli : Albert Paraz, Daragnès, Marcel Aymé, André Pulicani, Arletty… » De cette dernière, il deviendra également l’ami, le confident et le biographe : Arletty (chez Stock).

  C’est d’ailleurs la grande comédienne qui le poussera à publier Ferdinand furieux (1979, à L’Age d’Homme), livre-culte parmi les céliniens. Il contient les 313 lettres (commentées par l’auteur) que, de son exil danois, Céline a envoyées à Pierre Monnier. Des lettres qui nous dépeignent « dans sa crudité et quotidienneté le Céline de l’exil en proie à l’amertume, au délaissement et à ses ruminations dont sa vie durant il tira la littérature de génie que l’on sait ». Une époque où, à gauche comme à droite, qu’on le déplore ou non « l’invective avait force de loi ».

  Les années « Frédéric Chambriand » sont aussi celles de sa rencontre avec un autre monstre sacré de la littérature : Marcel Jouhandeau. Pierre Monnier édita Marcel Jouhandeau et ses personnages. Et lui-même consacra à l’auteur des Journaliers une plaquette intimiste : En écoutant Godeau (Editions du Lérot).

  Au début des années cinquante, notre dilettante impénitent eut brusquement charge de famille. Le dessin et l’édition ne suffisant plus pour subvenir pécuniairement à sa nouvelle situation, Pierre entra, à 42 ans, comme cadre commercial chez l’Oréal, où il demeura vingt-cinq ans. Une expérience professionnelle qu’il a racontée avec beaucoup de verve dans Irrévérence gardée (1999).
                                                                                                                                                                                                                                             Lucette par Chambri.

  Toujours jovial, courtois et chaleureux, d’une originalité désinvolte, la curiosité sans cesse en éveil, Pierre était avant tout un homme de fidélité. Fidélité à ses admirations, à la France et à son passé, à ses amis – l’amitié, ce vin de la vie qui réchauffe les cœurs -, mais aussi à ses détestations : « Je suis antigaulliste depuis juin 40 » aimait-il à répéter… Le « lobby qui n’existe pas » lui inspirait le même ressentiment.

  J’avais fait la connaissance de Pierre Monnier en 1980, sous les auspices de Philippe Colombani (Aramis). Pierre se partageait alors entre Paris et Nice. Puis, au fil des ans, ses séjours dans la capitale se firent plus rares et plus brefs. Passant généralement mes vacances dans les Alpes-Maritimes, je continuais néanmoins à le rencontrer, toujours avec la même joie et le même plaisir, au moins une fois ou deux par an.
  A Nice, Pierre avait instauré une sorte de rite : chaque matin, il faisait sa revue de presse en prenant son café dans un petit bistrot de la place Barel, Présent toujours largement déployé. C’est là que souvent des amis le rejoignaient, comme l’écrivain Raoul Mille ou le libraire Jean-Pierre Rudin. Et bien sûr, lorsqu’ils séjournaient à Nice, Louis Nucéra et Alphonse Boudard.
Alphonse surtout, l’ami intime, le « pote inoxydable » qui avait trouvé chez Pierre et Renée Monnier comme un second port d’attache.
  Alphonse (mon voisin de Paris) que Pierre admirait sans réserve, tous deux unis par une fraternité d’esprit, faite de compréhension, d’indulgence, d’humour et d’ironie frondeuse. « L’homme dont le caractère se confond avec le nôtre vaut mieux que mille parents ».

  Point central de cette géographie de l’amitié (tous ou à peu près habitaient le vieux Nice), le petit bistrot de la place Barel était aussi le passage obligé des amis venus de Paris (n’est-ce pas Roger Granjean, Philippe Colombani, Serge de Beketch) ou d’ailleurs. Je me souviens tout particulièrement d’une matinée solennelle, du mois de juin 1993 avec, autour de la même table, Pierre Monnier, Alphonse Boudard, Louis Nucéra, et, rentrant tous deux de Nouvelle-Calédonie, bronzés comme des statues de vielle or, A.D.G. et Pierre Durand.

  De cette assemblée cordiale et rieuse je suis aujourd’hui le seul survivant. A un certain âge, disait Céline, votre carnet d’adresses commence à ressembler à un cimetière. Le mien sans doute plus que d’autres. Une nécropole où mes souvenirs dansent, certains soirs, comme des feux follets. Dans ce cimetière où nul cyprès ne frissonne, je commence à me sentir bien seul.
  Comme nous l’enseigne la Bible, « les jours de l’homme sont plus rapides que la navette du tisserand » (Job VII, 6). Et le temps humain fuit sans retour, emportant ceux que l’on aime…
               Adieu, Pierre !
      A ton épouse Renée, à tes enfants Frédéric et Sophie, j’envoie, de tout cœur, toute ma tendresse.
                                                                                                                                                    Jean COCHET
                                                                                                                                         
(Présent, samedi 8 avril 2006).



 

                                                                                                                                  ***
 

 

  Dès que la triste nouvelle se répandit, nombreux furent ceux qui manifestèrent leur émotion, amis connus ou inconnus. Nous voudrions les associer à cet hommage en les citant tout simplement ici : le romancier Raoul Mille qui prononça, le 3 avril, une émouvante allocution lors de la messe funèbre à l'église Notre-Dame du Port ; François Gibault qui adressa aussitôt ses condoléances à Renée Monnier et qui fit part du décès à Lucette Destouches ; Michel Mouls, l'ami niçois qui déposa une couronne mortuaire au nom du Bulletin célinien ; Gérard Silmo, autre fidèle célinien qui informa les amis du décès via internet ; Florient et Yvonne Morési, de Reims, très affectés par la nouvelle de la disparition de leur ami ; Serge de Beketch, P.-L. Moudenc et Jean Cochet, les seuls journalistes qui rendirent hommage à Pierre dans leur journal respectif ; et ces lecteurs du BC qui nous firent part de leur émotion, tel Eric Petit.

  Notre compatriote Christopher Gérard, animateur de la revue Antaios, a diffusé le communiqué suivant : " Pierre Monnier est mort : il était le dernier survivant des milieux non conformistes des années 30, lui qui avait côtoyé Maulnier, Blanchot (le premier !), Brasillach, Drieu et bien entendu Céline, qu'il défendit bec et ongles. C'était un vieux civilisé, ironique, un homme épatant à l'esprit éveillé, comme j'ai pu m'en rendre compte lors d'une rencontre parisienne (chez d'autres non conformistes). Relisons A l'ombre des grandes têtes molles, son chef-d'œuvre (La Table ronde) : sans doute l'un des tableaux les plus justes des années 30 et 40, que je comparerais à Sol Invictus d'Abello. Sit tibi terra levis.
  Quand à Philippe Colombani, auteur du beau portrait de couverture, il nous écrit que " dans sa fixité, ce dessin est bien incapable de traduire l'incroyable vitalité qui habitait cet éternel jeune homme. On appartient, dit-on, d'abord à sa génération : celle de Pierre, pour étrange que cela paraisse, courait sur un siècle. Le même regard bleu, le même sourire, le même enthousiasme pour Maurras, Maxence, Maulnier, Céline, Chaval, Arletty, Boudard et Nucéra.
  La même exigence du regard qui lui faisait aimer la peinture de Matisse ou de Nicolas de Staël. Pierre fut en fait une sorte de passe-muraille imperméable à la bêtise, la bassesse, la vulgarité et sur lequel on avait fini par croire que le temps lui-même glissait. "
                                                                                                                                                  M.L.

     

 

                                                                                                        ***

 


 

            Quand l’ami Pierre Monnier remonte

                       la rue du temps passé

             Des souvenirs aussi sympathiques qu’irrévérencieux

 

Comme c’est beau la jeunesse ! Agé aujourd’hui de quatre-vingt-huit printemps, ou quelque chose d’approchant, Pierre Monnier n’a certes rien perdu de l’enthousiasme d’un éternel adolescent.
  Il reste à jamais l’étudiant des Beaux-Arts de Bordeaux qui posait un regard curieux sur le monde et avait décidé une fois pour toutes que l’ironie et le sérieux
pouvaient faire bon ménage, pourvu que brûle la flamme de l’enthousiasme.
  On sent qu’il a aimé les farces estudiantines, les copinages festifs et aussi le sain désir d’épater le bourgeois.

 Pourtant, en 1936, l’année du Front populaire triomphant, il devait fonder avec ses amis Thierry Maulnier et Jean-Pierre Maxence, un curieux brûlot : L’Insurgé.
 Il faut dire qu’il s’était trouvé un maître, Charles Maurras. Il ne cache pas d’être resté fidèle à son enseignement politique, à ses maximes comme à ses phobies, à cette perpétuelle recherche d’un parfait système qui résoudrait tous nos problèmes de la vie en société dans cette France qu’il fallut quarante rois pour bâtir.
   Et il y tient, Pierre Monnier, à cette France « de quinze siècles », qu’il lui plaît d’imaginer intangible au milieu d’un monde assez hostile, comme la petite « Ile » originelle des premiers Capétiens.

  Appliquant la vieille « grille » maurassienne à toute analyse de la planète telle qu’elle évolue sous nos yeux, l’auteur de ce petit livre, qui tient des Mémoires et du pamphlet, exhale la lumineuse certitude des croyants.
  N’allez pas croire pour autant que son ouvrage soit rébarbatif, car Pierre Monnier possède un incontestable talent de mémorialiste, plus convaincant parfois que sa rigueur de polémiste.
  Il continue donc à nous donner à voir, car Irrévérence gardée est le troisième tome d’une alerte trilogie qui fut commencée par A l’ombre des grandes têtes molles, aux éditions de La Table Ronde, et Les pendules à l’heure chez Flammarion (avant d’être repris par Le Flambeau).
  Ce dernier avatar d’une longue promenade s’inscrit donc dans une perspective plus vaste, qui devait s’appeler Rue du temps passé.

  On y découvre vite que Pierre Monnier est un personnage plus complexe que ne le fait croire son ancien engagement militant dans les « Camelots du roi ». Il est en effet grand amateur de jazz, de rugby, de cinoche, de peinture…
  Ce charmant vieux monsieur
d’une étonnante jeunesse ne ressemble en rien au nervi fascisant des caricatures. On le découvre sympathique, affable, indulgent (même avec ses adversaires), séduisant en un mot.

  Ce petit livre qui commence sous une IVe République, devenue bien préhistorique pour les jeunes générations, se poursuit jusqu’à nos jours, où l’on constate qu’un certain Breton a remplacé le défunt Provençal dans le panthéon politique de notre auteur. Il n’est pas besoin d’avoir en poche une carte de militant pour se situer aussi vigoureusement à contre-courant de l’idéologie dominante et de la pensée unique. En témoigna, voici peu, un curieux portrait intitulé Le Pen, le peuple et la petite fille Espérance, qui avait le premier mérite d’exprimer une admiration sans flagornerie. Ce sont souvent les plus solides et les plus fidèles. Pas de plan dans ce nouveau livre, qui n’est qu’une promenade où l’on rencontre de nombreux amis, dont quelques-uns inattendus dans ce qu’on nomme nos milieux.
  Pierre Monnier, qui partage le goût populaire pour la chanson, y clame, entre autres, son admiration pour Georges Brassens. On le comprend.

  Ce sera sans doute une révélation pour ceux qui croyaient connaître Pierre Monnier de découvrir qu’il fut, pendant vingt-deux ans, un des cadres commerciaux de la société l’Oréal et qu’il visita en voyageur insistant des centaines de salons de coiffure. Nous abordons ainsi tout un monde où les VRP sont souvent pittoresques et fort accortes les clientes.

  La République, cinquième du nom, va beaucoup moins plaire à notre ami que la précédente. Il y découvre vite le visage de la haine et le spectre de la guerre civile. A lui faire regretter Mendès France et surtout le bon président Coty.
  Pierre Monnier ne tarde pas à nous avouer une habitude qui est devenue chez lui une seconde nature : celle de noircir des petits carnets de notes qui ne le quittent jamais. Il y en aurait ainsi quatre ou cinq mille pages : « Des bribes, des babioles, des broutilles, des souvenirs, des tendresses et des rencontres, et des humeurs… »

  Patriote, catholique, anglophobe et eurosceptique, voici un homme qui n’a jamais mis son drapeau dans sa poche. Même si je ne partage pas sa conception du nationalisme, éloigné tout autant de la diversité des patries charnelles que de l’unité d’un continent réconcilié dans un commun espoir, je ne pense jamais à Pierre Monnier sans beaucoup d’amitié. Quel bon copain ! Et drôle ! Et fidèle !
  (Jean Mabire, National hebdo n°773, 13 au 19 mai 1999).


 

                                                                                                      ***

 

 

        Un souvenir

 Je n’ai rencontré Pierre Monnier que deux ou trois fois mais je garde le souvenir de quelqu’un d’attachant et de passionné. C’est en me rendant à Bruxelles (ville de mes « ancêtres »), à ma première réunion du Bulletin, que j’avais fait sa connaissance.

  J’étais parti en oubliant de prendre l’adresse du rendez-vous. En parcourant le train dans l’espoir de rencontrer un autre célinien, je suis tombé sur deux messieurs, un peu moins jeune que moi, qui discutaient paisiblement. En les voyant, j’ai deviné qu’ils se rendaient en Belgique pour les mêmes raisons que moi. Je ne les avais pourtant jamais vus. Il s’agissait – je l’ai compris assez vite – de Pierre Monnier et de Paul Chambrillon. J’aurais pu tomber plus mal. Et quand je leur demandai s’ils avaient l’adresse de la réunion, ils s’aperçurent qu’ils n’en savaient pas plus que moi.

  Arrivé à la gare, Monsieur Chambrillon passa un coup de fil à Paris et on lui indiqua enfin le lieu de rendez-vous. Nous prîmes un taxi ensemble. Et c’est comme ça que je suis arrivé (en retard) à la réunion bruxelloise du Bulletin célinien accompagné de la plus belle et de la plus réjouissante des escortes.
  Quand nous avons pénétré dans la salle, Marc Laudelout est arrivé vers nous les bras ouverts. Bien sûr, c’était pour accueillir ses deux invités prestigieux…

  Je me suis assis discrètement et j’étais bien ravi tout de même. Ceci est une minuscule anecdote sans intérêt pour quiconque. En revanche c’est un souvenir personnel auquel je tiens beaucoup. Je trouve que mon entrée dans le monde célinien était plutôt réussie. Pierre Monnier me fit, quelques temps après, une belle dédicace de Ferdinand furieux. C’était le jour où il avait disparu de l’estrade pendant qu’il nous racontait ses souvenirs avec Céline. Nous avions eu peur mais lui, ne s’était même pas arrêté de parler et était réapparu illico.
  Merci à Pierre Monnier de nous avoir fait partager son émotion. Nous pensons très fort à lui. Et merci au Bulletin célinien de nous l’avoir fait connaître et rencontrer.
                                                                                                                                  Eric PETIT.

 

            Magnifiquement Français

Pierre Monnier a été le parrain, l’âme, l’inspirateur du Libre Journal qui est donc, très modestement un enfant mal élevé de L’Insurgé qu’il anima aux côtés de Maxence et Maulnier. Il m’a ouvert la porte de la vraie culture populaire, m’a fait aimer Matisse, Maillol, et découvrir la poésie. Il m’a légué la devise du Connétable du Guesclin : « Puisque sommes vilains, seront bien hardis ».
  Lui aussi était un être fort, lumineux, patient, délicat. Un pédagogue, un modeleur d’âme, de goût, d’idées. Sans aucun argument d’autorité. Avec son seul sourire, sa formidable culture non pas

formidable culture non pas acquise mais comme co-naturelle à son être, son bon goût si profondément français et cette délicatesse, cette discrétion qui, jamais, n’imposait rien, mais forçait l’attention et l’interrogation.

  Je me souviens de son sourire indulgent et de son mouvement de tête, cette belle tête aux yeux vifs et couronnée de boucles blanches, lorsque je pérorais, jeune crétin, sur Céline que j’avais décrété illisible (pour ne pas dire comme ADG qui l’idolâtrait).
  Il savait bien que ça ne pouvait pas durer.

 Nous avions fondé un club ultra-secret et ultra-sélect puisque nous en étions les deux seuls membres : le Cercle Apollinaire où la seule condition d’adhésion se résumait à être Français d’origine étrangère… ou pas.
 Le « ou pas » était une concession imposée par l’évidence que Pierre était totalement, irrémédiablement, absolument, radicalement, incurablement, magnifiquement Français.

  Pierre était avant tout un homme d’une rigueur morale absolue. Lorsque je préparais le numéro du Crapouillot sur « Mitterrand très secret », je le taraudais, sachant qu’il avait approché de très près la mystérieuse Cagoule, pour qu’il me dise une bonne fois si oui ou non le vieux satrape avait été, dans sa folle jeunesse, membre du mouvement de Deloncle.
- Nous avons juré de ne jamais révéler l’appartenance d’un membre, me répondait-il.
- Mais enfin, Pierre, ce serment a cinquante ans, c’est de l’histoire ancienne !
- J’ai juré, tu sais.
 Ce fut tout ce que j’obtins.
                                                                                                                                                               Serge de BEKETCH
                                                                                                                          
(Le Libre Journal, 5 avril 2006)

 


      Un homme lucide et fervent

 Si l’on veut avoir un éclairage original sur la période qui va de 1938 à 1952, il faut lire Pierre Monnier. Les Pendules à l’heure, second volet d’un récit autobiographique entamé avec A l’ombre des grandes têtes molles, offre un témoignage plein de verve, résolument non-conformiste, que nombre de nos lecteurs qui ont vécu ces temps difficiles pourraient corroborer.

  Il appelle un chat un chat, et De Gaulle « le général La Caution ». Son franc-parler donne à ses souvenirs une saveur particulière. Il dénonce les impostures, prend à rebrousse-poil les vérités consacrées. Bref, il ne s’embarrasse ni de révérence, ni de circonlocutions. De la version des évènements donnée a posteriori par les vainqueurs, il ne subsiste rien, ou presque. Les mythes colportés depuis un demi-siècle, mythes auxquels le temps et les multiples complicités confèrent une manière d’intangibilité confortée par le matraquage officiel, s’écroulent comme châteaux de cartes.

  Simplement parce qu’il raconte, sans idées préconçues, sans en fausser la perspective par des réajustements malhonnêtes, ce qu’il a vécu, à l’instar d’un grand nombre de Français de bonne foi. Hérétique, certes, mais « par rapport au mensonge institutionnalisé ». Son livre est en quelque sorte, un contrepoison. Il s’adresse en priorité aux jeunes gens d

priorité aux jeunes gens dont les yeux ont grand besoin d’être dessillés. C’est une œuvre pédagogique, dans le meilleur sens du terme.
  Le rôle pernicieux de l’Angleterre, son écrasante responsabilité dans la déclaration de guerre, le double jeu des communistes, la lâcheté et les compromissions du personnel politique, les profits illicites tirés tant de l’Occupation que de la Résistance, les vengeances sordides, la persécution des élites, tout cela, qui demeure soigneusement occulté par les prébendiers de tout poil et leurs successeurs, apparaît en pleine lumière.

  Sans doute Pierre Monnier n’est pas le premier à révéler que le roi est nu. Mais son propos, animé d’un bout à l’autre d’une allégresse frondeuse, jouant sur tous les registres, de l’humour à l’ironie la plus cinglante, acquiert une portée d’autant plus dévastatrice qu’il se défie des grandes professions de foi idéologiques. Plus parlantes, les anecdotes, les rencontres, les réflexions notées au jour le jour.

  Dans ces pages pleines de passion, on croise mille personnages, de Brasillach à Albert Paraz, de Thierry Maulnier au dessinateur Ben, de Chaval, son condisciple aux Beaux-Arts, à François Sentein. Toutes figures plus ou moins familières, croquées de main de maître – comme ces caricatures dont Monnier, qui signait Chambri, fournit quelque temps à Paul Lévy, le patron de l’hebdomadaire Aux Ecoutes. Et Céline, bien sûr, à qui il rendit visite dans son exil danois avant de devenir son éditeur.

  Le tableau qu’il brosse d’une des plus sombres époques de notre histoire contredit, et fort éloquemment, le manichéisme professé par les historiens. Il sera mal reçu dans les salons de la gauche caviar. On lui opposera le mur du silence. Une technique qui a fait ses preuves. Mais les murs finissent toujours par céder, et c’est à des gens tels que Pierre Monnier qu’on le doit.
                                                                                                                                                                P.-L. MOUDENC
                                                                                                                                                             (Rivarol, 12 avril 1993)

 

 

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    UNE BRASSEE D'HOMMAGES FERVENTS ET MERITES...

 " Une brassée d'hommages fervents et mérités ", écrit l'hebdomadaire Rivarol (2 juin 2006) à propos de notre numéro dédié à Pierre Monnier. Nous avons été surtout touchés par la réaction de la fille et du fils de notre ami disparu. Sophie Monnier nous a écrit ceci :
 " Je vous remercie infiniment pour le très bel hommage que vous avez consacré à mon père. Il aurait aimé cette amitié, cette tendresse, et surtout l'humour. Je l'ai retrouvé au fil de vos pages, avec un sourire empreint de mélancolie. Il restera quelque chose de lui dans tous ces souvenirs, il était le dernier d'une sacrée bande qui manquera à tous les amoureux de l'ironie et du respect. "

  Frédéric Monnier a, lui aussi, pris la plume : " J'ai lu le BC avec l'émotion que tu imagines. Merci de tout cœur pour ce bel hommage rendu à mon père. Les témoignages que tu as rassemblés constituent un portrait très juste et très émouvant. C'était en effet un homme d'une qualité peu courante. Je croyais, étant enfant, que tout le monde devait être comme ça. J'en suis revenu ! Ma mère se joint à moi dans le grand " merci " que je t'adresse. "

  Vera Maurice (Paris) : " Les propos de Pierre Monnier reproduits à la page 10 du BC de mai - " Je connais peu de choses plus difficiles que d'écrire une vingtaine de lignes sur L.-F. Céline " - m'ont aidée à comprendre pourquoi les hommes entiers et authentiques sont toujours une leçon. Ces propos m'ont aussi apporté un éclairage important sur mes prédilections pour certains auteurs brésiliens sur lesquels je travaille toujours : presque tous persécutés, exilés, emprisonnés, mais jamais lâches. Ils ont en commun génie et authenticité. A l'époque où j'enseignais le portugais au Brésil, ils étaient proscrits, souvent pour des raisons opposées, tel Céline à l'Alliance française.
  Aucun doute, Pierre Monnier est une LEÇON d'intégrité et d'honnêteté à tous les points de vue. "

  Pierre Lainé (Rennes) : " Le décès de Pierre Monnier m'a attristé. Je l'ai bien connu, à Nice, à Paris, en Bretagne et au Maroc où Renée et lui étaient venus me voir. "

  Marcella Maltais (Paris) : " Dans mon Hôtel crève-cœur, pp.76 à 86, ce promeneur du Canal Saint-Martin qui a bien voulu me rapprocher de Céline et d'Arletty, n'est nul autre que Pierre Monnier. Avec sa générosité habituelle, il a su nourrir ce chapitre, sans lequel mon livre n'aurait pas été ce qu'il est. Qu'il en soit remercié (il l'a été) ainsi que de toutes les rencontres fertiles avec son épouse Renée, où la littérature, la peinture, l'histoire étaient vérifiées par ses connaissances. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir un tel ami, que je n'ai pas fini de regretter. "

  Odile Barckicke (Pavillons-sous-Bois) : " Je garde un souvenir émerveillé de la réunion célinienne à laquelle vous l'aviez convié à Bruxelles. J'ai pu ainsi faire un peu la connaissance de Pierre. Au retour vers Paris, j'ai eu la chance de partager son compartiment. Jamais voyage ne m'a paru plus court ! J'étais littéralement sous le charme. "

  Robert Le Blanc (Paris) : " J'ai lu avec grand plaisir votre numéro consacré à Pierre Monnier. Cela me touche qu'il ait évoqué, en 1997, son professeur de troisième de 1925 à Bordeaux, Paul Avisseau, citant dans un discours de distribution des prix des vers que je tiens à rectifier. La première citation vient des Complaintes (1885) de Jules Laforgue, charmant poète que Charles Dantzig (qui ne craint pas le ridicule) voudrait substituer à Céline comme inventeur de la modernité littéraire : " Celle qui doit me mettre au courant de la Femme ! / Nous lui dirons d'abord, de mon air le moins froid : / La somme des angles d'un triangle, chère âme, / Est égale à deux droits. "
 
La seconde citation est le début d' " Outwards " dans Cartes postales de H.J.M. Levet (1874-1906), - vers qui n'étaient connus que depuis 1921 : " L'Armand-Béhic (des Messageries Maritimes) / File quatorze noeuds sur l'Océan Indien... "
 (Marc Laudelout, BC n°275, mai 2006).

 


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     IRREVERENCE GARDEE

  Né en 1911, fondateur avant la dernière guerre de L'Insurgé avec Thierry Maulnier, sous la direction de Jean-Pierre Maxence, dessinateur de presse sous le nom de Chambri, éditeur de Céline, il est " entré en littérature " en 1988, avec Ferdinand furieux (L'Age d'Homme). Ont suivi des ouvrages sur ses amis - Arletty, Chaval, Jouhandeau - avant le récent Céline et les têtes molles (Ed. Le Bulletin célinien). Sans compter deux recueils de chroniques, A l'ombre des grandes têtes molles (La Table ronde) et Les Pendules à l'heure (Ed. Le Flambeau), qui constituent d'irremplaçables témoignages sur la période d'après 1930.  

  C'est que Monnier est, avant tout, un homme libre. D'une indépendance d'esprit et d'une honnêteté sourcilleuses. Doté, ce qui ne gâte rien, du sens de l'humour. Tout le contraire d'un idéologue à œillères. Il pose sur les êtres et les choses un regard aigu, mais dénué de méchanceté. Politiquement incorrect, dans la mesure où la sottise et l'imposture le hérissent. Soyons assurés qu'il n'en a cure.

   Irrévérence gardée - joli titre ! - est le troisième et dernier volet de son triptyque de chroniques. Digne en tous points des précédents. Même verve, même vagabondage (cette fois de la Quatrième à nos jours) mêlant portraits, anecdotes, témoignages, commentaires. Avec pour fil conducteur le récit d'une vie qui lui a permis de côtoyer les gens les plus divers, Pierre Monnier fait le point, sans amertume, sans jouer les donneurs de leçons. Son propos est direct et coloré, animé toujours d'une chaleur qui fait qu'une connivence s'établit d'emblée avec son lecteur. Il aborde avec la même simplicité tous les sujets, l'art ou la littérature, la politique ou la philosophie. Sans oublier sa vie professionnelle chez l'Oréal à laquelle il consacre des chapitres savoureux. Des carnets qu'il a remplis au jour le jour tout au long de son existence, il tire la substance de son livre. C'était la méthode de Montaigne.

  Ses détestations, on les devine : une anglophobie dûment étayée par des références à Jean-Louis Forain, Hugo, Barbey, Béraud et Céline. Le communisme, mais aussi le capitalisme apatride. Le résistantialisme et son avatar, le moralisme démocratique. Bref, la Pensée unique et son catéchisme. A l'inverse, dans son Panthéon personnel, nombre de divinités au culte desquelles, majeures ou secondaires, on s'associe volontiers. Au sommet de l'Olympe, Ferdinand, ce qui ne saurait surprendre. Mais aussi Brassens, Louis Armstrong et Fats Waller, qu'il célèbre avec un enthousiasme juvénile. En peinture, il admire Matisse et tient pour un faux La Guerre du Douanier Rousseau. Parmi ses prédilections littéraires, Anouilh, Vialatte et Jacques Perret. C'est assez dire que nous nous trouvons en présence d'un auteur de bonne compagnie.

  On ne résume pas un tel livre. Sa diversité même interdit une telle gageure. On s'y plonge avec le plaisir de découvrir à chaque page le détail qui fait réfléchir, la formule frappante dont on eût aimé être l'auteur - voire des fable-express dont les meilleures sont évidemment les plus approximatives... Le plaisir, surtout de retrouver, un écrivain de la famille et de partager, l'espace d'une lecture, son expérience et sa culture.

                                                                                                                                             P.-L. MOUDENC
                                                                                                                                         (Rivarol, 21 mai 1999)